Beans

L'an passé, lors de sa précédente venue en France, nous nous étions déjà longuement entretenu avec Beans. Pourtant, à l'issue d'une année chargée en événement pour lui, il nous a semblé primordial de le retrouver lors de sa nouvelle série de concerts dans nos contrées, maintenant que son deuxième essai solo "Now Soon Someday" vient d'atteindre les bacs, afin de revenir sur certains de ses dires, de tenter de mieux cerner son évolution post-Antipop Consortium mais aussi de mieux comprendre quelques-uns de ses parti-pris artistiques parfois surprenants. Entretien relaxé dans la cave du Gnome et Rhône Café de Lyon avec le Databreaker barbu (depuis peu) quelques heures avant un concert enflammé. English version



Lieu : Gnome et Rhône Café, Lyon, France
Date : Jeudi 26 Février 2004

Hip-Hop Core : Maintenant que "Now Soon Someday" est sorti, je réalise que, lorsque nous nous sommes rencontrés l'an passé, tu avais déjà une idée très exacte de la forme que prendrait ce nouveau EP. Comment ça se fait ?



Beans : Le but du EP était juste de sortir plus de morceaux que j'avais sous le bras à l'époque. Je savais que j'allais travailler sur un EP après le tour de l'an passé. J'ai fini la plus grande partie de "Now Soon Someday" cet été mais, pendant la tournée, j'avais déjà une idée des titres que je voulais y mettre. Certains titres ont quelque peu changé en cours de route, comme 'Gold Skull' qui s'appelait à l'origine 'Smell My Love' et quelques autres petites choses. Mais, oui, j'avais déjà une assez bonne idée de ce que je voulais faire avec ce EP.



HHC : Contrairement à "Tomorrow Right Now", tu as produit "Now Soon Someday" sans aucune aide de Earl Blaize. Doit-on y voir là une réelle volonté d'émancipation de ta part ?



B : Et bien, c'est une étape importante pour moi parce que c'est le premier projet que je produis sans aucune aide et influence extérieure. Je pense que ça montre bien ce qu'est mon son. Le prochain album sera un peu plus uptempo. Mais, pour résumer, le premier album était plus une réunion de titres anciens et de quelques trucs nouveaux. Le dernier titre du LP 'Walking By Night' montrait la direction que j'étais en train de prendre. Quant au EP, il reflète où j'en étais à l'époque où il a été enregistré. A son tour, le prochain album reflètera où j'en suis maintenant. C'est une progression continue pour moi. J'évolue et je change aussi. Mes sons les plus récents vont vraiment de l'avant, en avance rapide si je puis dire… Mais après, le prochain projet sera avec un groupe live !
Comme je suis tout seul maintenant, je dois m'habituer au processus, à tout faire tout seul. Sur "Now Soon Someday", j'ai juste travaillé avec un ingénieur du son. On a fait les séances d'enregistrement et mis en place les fondations et, ensuite, j'y suis retourné tout seul, j'ai superposé les différentes couches et j'ai ajouté ce qu'il fallait. Et au final, ça donne ce que ça donne. J'ai quasiment tout fait tout seul cette fois-ci. Si tu prends le beat de 'Win Or Lose You Lose' par exemple, il a été fait sur un 4 pistes. J'étais furieux, je venais de me disputer avec la mère de ma fille et j'ai écrit ça dans la foulée. J'ai passé toute la journée suivante à l'écrire.





HHC : Qu'est-ce qui t'attires dans les sons minimalistes ?



B : Si j'utilisais beaucoup d'éléments dans mes productions, considérant ma façon de rapper (qui est souvent rapide), vous seriez perdus. Ca n'aurait aucun sens. Ca serait confus, embrouillé. C'est pour ça que je laisse suffisamment de place pour les mots, pour que mes textes ne soient pas perdus. C'est aussi une des raisons pour lesquelles j'ai imprimé les lyrics dans le livret de "Now Soon Someday".



HHC : 'Composition In Void' s'écoute un peu comme une rencontre inopinée entre sonorités old-school et touches avant-gardistes. C'est aussi quelque chose qu'on retrouvait souvent sur le précédent album. Est-ce quelque chose que tu souhaitais réaliser : une sorte de synthèse entre le son du rap des années 80 et celui du futur ?



B : Je ne sais pas. Ce n'est pas quelque chose que je fais de manière vraiment intentionnelle. C'est juste le reflet de là où j'en suis. J'essaie juste de préserver un certain esprit. Après, les gens entendent toujours plein de choses différentes dans la musique…



HHC : Sur 'Win Or Lose You Lose', tu te décris comme une : "Misuderstood presence 2 much future 4 this present". Est-ce que tu penses sincèrement être incompris ?



B : Dans un sens, oui. Je ne pense que les gens comprennent bien ce qui est en train de se passer. Je ne suis pas sûr qu'ils savent exactement où me mettre et comment me classifier. Ils en sont encore à se demander : "Quel type d'artiste est-il ?" ou "Que fait-il exactement ?".



HHC : Qu'est-ce qui t'a donné envie d'écrire la poignante confession 'Crevice' ?



B : J'avais juste envie de parler de certaines choses, de traiter de certaines situations familiales... Je pense que c'était aussi une façon de montrer un peu de vulnérabilité et de montrer que je n'ai pas peur de dévoiler quelques blessures.





HHC : Pourquoi as-tu décidé d'inviter quelques producteurs extérieurs, Prefuse 73 et El-P pour ne pas les nommer, sur "Now Soon Someday" ?



B : Ces titres sur le EP sont juste des remixes. Mais, comme El-P et moi avons le même manager et que je suis souvent en tournée avec Prefuse 73, ça s'est fait assez naturellement. Sinon, de manière générale, je ne suis pas trop enclin à rapper sur des sons d'autres producteurs pour mes albums… Je veux dire, je vais quand même faire quelques trucs avec Dabrye (mais pour son album) et je compte aussi faire quelques titres avec Mark Pritchard pour mon prochain disque… mais seulement 2 titres quoi.



HHC : Le EP devait sortir en Septembre dernier à l'origine. Qu'est-ce qui s'est passé ?



B : Ben, ça a été repoussé. C'est tout. Le EP était fini depuis Septembre mais c'est juste que le planning a changé et que le disque a du être repoussé. C'est des conneries de maisons de disques…



HHC : En 2003, tu as souvent été sur la route. Tu as fait des tournées avec Prefuse 73, Mike Ladd, The Rapture, DJ Krush, etc… Qu'est-ce que ça te fait de faire tant de shows ?



B : En tant qu'artiste, je me dois de tourner. C'est comme ça que je gagne ma vie. Tu ne te fais pas vraiment d'argent avec les seules ventes de disques. Tu gagnes la majorité de ton pognon lorsque tu es en tournée. D'autre part, plus les gens te voient, plus tu vends de disques. Donc plus tu fais des concerts, plus tu gagnes d'argent. J'ai des factures à payer, mec. Je dois faire des tournées, je n'ai pas le choix. En plus, j'adore être en tournée !



HHC : Tous les gens qui t'on vu sur scène s'accordent à dire que tu es "un artiste de scène". Tu as vraiment une présence scénique magnétique et on dirait que tu prends beaucoup de plaisir en concert. D'où te vient cette aisance ?



B : Je pense que c'est juste une question d'expérience, de pratique. Ca fait un bon moment que je fais ça. Je fais des tournées depuis que j'ai 23/24 ans. J'ai 32 ans maintenant. Ca fait un bail. Je me sens à l'aise sur tous les plans maintenant. J'aime le studio autant que la scène. J'aime l'ensemble du processus. Une fois de plus, c'est vraiment une question d'expérience. Avec le temps, je me sens de plus en plus à l'aise avec moi-même… Et puis, je suis très concentré dans tout ce que je fais. Par exemple, j'aime bien rester en studio pendant des heures. Je n'ai pas de home studio chez moi donc quand je vais en studio je me focalise vraiment sur mon travail. Tu vois, j'ai un clavier à la maison et quelques petits éléments mais je n'ai pas encore de quoi tout faire chez moi. Il faut dire que le matériel coûte cher. Parfois, ça devient frustrant parce qu'il y a certaines choses que je voudrais faire sur le moment et, comme je n'en ai pas les moyens, je dois attendre. Donc c'est vraiment une libération lorsque j'enregistre en studio.





HHC : C'est la seconde fois que tu fais une tournée française tout seul. Comment ça s'est passé jusqu'ici ?



B : La tournée a été cool pour l'instant. Vraiment. Hier soir, à Paris, c'était de la bombe. Le public était super. Pour être honnête, j'étais un peu surpris.



HHC : Le label sur lequel tu es, Warp, a créé la subdivision hip-hop Lex depuis quelques temps déjà. Cette filiale a déjà à son actif pas mal d'albums intéressants à comme le dernier Tes ou la compilation "Lexoleum". Pourquoi n'as-tu glissé vers Lex ?



B : Parce que je suis signé chez Warp ! Ca me permet d'avoir la liberté de faire des choses différentes, de pouvoir aller là où bon me semble. Comme ça, je peux aussi bien partir en tournée avec Prefuse 73 qu'avec The Rapture, etc. Je n'ai pas vraiment de contrainte vis-à-vis de ce que je fais. Je peux faire ce que je fais sans me poser de questions. Si j'étais sur Lex, je serais… juste hip-hop. Juste dans une boîte.



HHC : Tu n'as pas fait beaucoup de collaborations depuis la fin d'Anti-Pop Consortium. Comment ça se fait ?



B : Justement, je viens juste de faire un truc avec Dani Siciliano. Mais en dehors de ça, à vrai dire, c'est juste que personne ne me propose des collaborations !



HHC : Parlons un peu du packaging du dernier EP. Une fois de plus, tu as confié l'artwork à Ron Croudy. Pourquoi l'avoir choisi à nouveau et qu'est-ce qui t'a poussé à opter pour ce format hybride entre le livre et le CD ?



B : En fait, ça sera le format pour chacune de mes sorties à partir de maintenant. De cette façon, je peux imprimer les paroles, parce que je ne veux que ce que je dis soit mal interprété. Je veux m'assurer que tout le monde comprenne bien ce que je dis. A part ça, la pochette représente une de mes anciennes copines. J'ai choisi Ron parce que c'est mon pote. Il s'était déjà occupé des deux derniers trucs d'Antipop et de mon premier LP et, comme il a toujours été prêt à me donner un coup de main, je continue à travailler avec lui.



HHC : Maintenant que de l'eau a coulé sous les ponts, quel est l'album d'Antipop Consortium que tu préféres?



B : J'aime celui que personne n'a entendu : "Shopping Carts Crashing". Je pense vraiment que c'est dommage ce qui est arrivé à ce disque, juste parce que Priest et Sayyid ne voulaient pas qu'on le sorte. Je pensais vraiment que c'était une attitude stupide de leur part. Cet album aurait montré qu'il y avait une transition logique entre "Tragic Epilogue" et "Arrhythmia". Si on l'avait sorti de manière correcte, les gens n'auraient pas été si surpris par le fossé qu'il y avait entre "Tragic Epilogue" et "Arrhythmia". Ca aurait permis de montrer une progression graduelle plus agréable. De plus, je pense que "Shopping Carts Crashing" aurait assez rapidement pu attirer les fans de hip-hop vers Antipop. A la sortie de "Arrhtyhmia", le public aurait à ce moment là été beaucoup plus fort et établi. Les albums auraient été comme des petits blocs s'imbriquant bien les uns dans les autres et permettant aux gens de grandir avec Antipop et de mieux voir où on allait. Je pense que ça aurait été bien de montrer ça.
J'aimerais vraiment ressortir "Shopping Carts Crashing" pour qu'il puisse être réellement disponible aux Etats-Unis et que ça ne soit plus uniquement un import japonais que les gens ont peur d'acheter. Je voudrais aussi ressortir "Tragic Epilogue" et y enlever 2 titres pour que ce soit un meilleur album. D'ailleurs, j'enlèverais bien aussi quelques titres de "Shopping Carts", quelques-uns des instrumentaux par exemple. Mais je suis assez fier de "Shopping Carts" dans l'ensemble parce qu'il a été fait en 3 semaines ! On a vraiment dû se dépêcher pour faire cet album, mec, parce qu'on devait le rendre à une certaine date. Quand on a signé le deal, ils nous ont dit : "Pour pouvoir le sortir à telle date, il faut qu'on l'ait entre les mains d'ici tel jour". Au début, on ne devait faire qu'un EP mais après ils ont voulu qu'on fasse un album… Mais comme on avait toujours les mêmes impératifs de date à respecter, on a vraiment dû speeder. En gros, tout le monde faisait des beats chez lui, puis on se retrouvait à la maison d'Earl où Earl mixait le tout et essayer de faire tout ce qu'il pouvait… C'est la plus courte période de temps qu'Antipop ait jamais eu pour faire un disque et il s'est avéré que ça a donné un de nos meilleurs opus.



HHC : Tu viens de nous dire que ton prochain album est déjà en cours de confection…



B : Ouais. Il devrait sortir cet automne. Il s'appellera "Shock City Maverick". A partir de maintenant, je veux mettre en place un planning de sorties alternant successivement album et EP, de façon à ce que je puisse sortir des trucs de manière régulière et être constamment en tournée. Je veux aussi m'assurer que le disque contiendra des chansons un peu plus longues. Long pour moi, c'est 4 minutes. J'aime n'écrire que 2 couplets par titre. Pour faire en sorte que les choses soient toujours en mouvement. La plus grande partie de l'album est terminée. 80% en gros. Je dois juste resserrer quelques boulons. Je pars sur la route pour 3 mois de plus en Mars donc il faudrait que je le finisse avant de repartir sur pour une autre tournée. Il faut que je l'ai bouclé d'ici le mois de Mai.



HHC : Pour finir, une question plus légère. Est-ce que tu enregistres toujours certains de tes textes en matant des films porno ?



B : Oui. C'est que je suis quelqu'un de très branché sexe… (rires).



Interview de Cobalt
Questions de Cobalt et Kreme
Photos de Cobalt
Mars 2004

A l'issue de l'entretien, Beans nous a accordé le privilège d'écouter en exclusivité 5 titres de son prochain album. 15 minutes d'écoute jouissives qui ont confirmé que le natif de White Plains a retrouvé toute sa superbe et est définitivement sur la bonne voie après un départ en solo un peu difficile. Rendez-vous est pris pour Septembre donc avec un "Shock City Maverick" qui devrait faire très mal.

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