Ras G
Brotha From Anotha Planet

La première partie de son parcours de producteur, Ras G l'a passée à éprouver sa formule à l'exercice classique de l'enchaînement de 12''s. Éprouver et perfectionner. Les deux ne vont pas l'un sans l'auftre. Issu des sous-sols de Los Angeles, le "Space Brotha" offre une poignée de sorties au micro label Poo-Bah Records tout en fréquentant les mêmes espaces musicaux, manipulant les mêmes machines que ses comparses les plus proches. Qu'ils se nomment Flying Lotus, Nobody, Samiyam ou tant d'autres de ces producteurs originaires de la Côte Ouest. Toutes générations confondues, c'est un regroupement de musiciens qui offre ces dernières années à une scène confidentielle quelques unes de ses plus belles pages instrumentales.

Plages après plages, Ras G intègre le mouvement désordonné des astres angelinos et se forge cette identité par laquelle sa musique semble s'exprimer le plus clairement du monde : un subtil mélange d'une idéologie Rastafari liée aux pulsations "dub", forcément la reconnaissance des vertus véhiculées par les anciennes civilisations africaines, le tout mâtiné d'une bonne couche de vernis extra-terrestre, au sens premier du terme.

Ras G est un énième apôtre de l'afro-futurisme, inévitablement disciple du maître à penser, Sun Ra, qu'il semble mêler aux rythmiques d'un hip-hop tourné vers cet Ailleurs que suggérait la musique de Sonny Blount depuis les années 30 jusqu'à son ultime envol il y a 15 ans. Une utopie de l'Espace comme zone de découverte sans fin reprise par les constructions étranges de Ras G. Des bouts de tout soutenus par des claviers cosmiques, les bruits d'une faune exotique qui viennent se mêler aux rondeurs aériennes sur l'entrée en matière, 'Dishwater'. Comme un dépassement de l'horizon direct. Ras G combine sa science du breakbeat avec ses aspirations d'un voyage interstellaire spirituel.

Une préoccupation déjà présente en filigrane depuis ses débuts, reconnue comme objectif musical absolu depuis la création de l'obscur "Afrikan Space Program" auquel le producteur semble s'être rallié. Véritable chef de file, Ras G entraîne ses anonymes compagnons dans "Ghetto Sci Fi" l'année passée, premier envol officiel sur long format qui entérinait cette formule puisant dans un vivier de musiques afro-centrées combinées aux codes implicites exposés par le hip-hop instrumental d'aujourd'hui. A l'image de l'ultime 'Alkebulan' où Ras G exploite cette rythmique jazz, la dédouble, la balafre de quelques bruitages furtifs puis lui fait s'affranchir de l'inanité d'une pulsation sans âme en y ajoutant une double mélodie : claviers aériens et xylophone délicat.

La force de Ras G réside dans cette puissance d'évocation que véhicule sa musique, toute une symbolique mise au service d'un idéal qu'une incursion vocale au début de 'Sun Behind The Clouds' résume de la meilleure des façons : composer pour enseigner, faire passer un message qui pourra influencer l'auditeur. C'est ce son de cloche que "Brotha From Anotha Planet" cherche à exposer sous divers angles. De même que Sun Ra, de son propre aveu originaire de Saturne, Ras G est apparu sur la Côte Ouest pour offrir cette expérience du voyage interstellaire. Hier, déploiement de proto-synthés, aujourd'hui langage binaire sur MPC et samplers. Le sample de The Last Poets utilisé sur 'Nothing But Change' en atteste. Et quand la formule fonctionne, elle offre un 'Desert Fairy' jouissif : sons joués à l'envers, rythmiques pesantes, claviers qui piaillent dans tous les sens, véritable périple mental répétitif et envoûtant à souhait.

Pourtant, pour ce premier album publié par le producteur en version digitale uniquement chez le tout récent label Brainfeeder, Ras G retombe par moments dans les mêmes travers que ceux qui ont empêchés "Ghetto Sci Fi" de se présenter comme l'album instrumental incontournable qu'il aurait pu être. A commencer par un cruel manque de rythme poussé par la confection de beats brefs, intéressants, mais auxquels Ras G ne propose qu'une exposition basique aux oreilles de l'auditeur ; ne prenant pas la peine parfois d'envisager plus loin que ce qui est fait dès les premières mesures. Alors que les treize morceaux de l'album suggèrent un potentiel créatif certain, servi par une imagination sans bornes, Ras G bride par moments ces compositions et leur somme de ne pas trop sortir de leur carcan premier.

Paradoxalement, si "Brotha From Anotha Planet" se dévoile comme un récit raconté avec les doigts, véritable espace où la science des signes s'interprète en notes sur les claviers de multiples machines, l'histoire est décousue, difficile à suivre de bout en bout. Il n'est pas rare de perdre le fil dans ce dédale d'effets électroniques évocateurs. Ras G semble encore manquer d'une qualité nécessaire à la confection d'un album instrumental capable de capter l'auditeur de bout en bout : la simplicité pour contourner l'obstacle de l'ennui. 'Return From The Great Unknown' en est le meilleur exemple : volontairement angoissant, l'univers sonore présenté par Ras G semble s'extirper de ce trou noir, cet Inconnu où se mêlent mysticisme et fantasmagories. Quatre minutes de vagues d'effets en tous genres dont on aurait préféré qu'elles soient immergées dans un tout plus en phase avec ce que l'auditeur vient chercher sur cet album. Le spectre d'une occasion manquée en dépit de la palette d'expression employée.

Une richesse dans le son que Ras G cultive avec justesse, parfois desservie pourtant par ce besoin d'en rajouter un peu plus. A l'image de son précédent travail sur "Ghetto Sci Fi", Ras G propose ici un album avec d'évidentes qualités. A commencer par l'univers développé depuis une poignée de sorties ; un point d'ancrage important qui identifie le producteur et le sort de la masse des bidouilleurs sur machines qui fleurissent un peu partout sur la Toile.

Mais cette identité dans le son n'est pas encore exploitée de la meilleure des façons : ce que l'on sent apparaître par moments semble se dissiper bien rapidement. Ainsi pourrait s'énoncer tout l'enjeu des prochaines sorties du producteur : laisser s'épanouir plus simplement cet indéniable talent que Ras G peine à saisir sur la durée d'un album. Pourtant, il se trouve bien ici, quelque part entre un home studio perdu dans un recoin de la Côte Ouest et les plus lointaines étoiles qui peuplent l'Univers.

Newton
Avril 2009

Si l'on peut déplorer la publication d'une unique version digitale de l'album (via iTunes), pour tous les amateurs de wax il est encore possible d'espérer la sortie d'une poignée de morceaux en maxi l'été prochain. Mais rien n'est moins sûr. A suivre donc.
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Label: Brainfeeder
Production: Ras G
Année: Avril 2009

01. Dishwater
02. Earthly Matters
03. Penny's Confession
04. Shinelight
05. Eunice In White
06. Sun Behind The Clouds
07. Astrohood
08. Nothing But Change
09. I'm Coming
10. Come Down (2 Earth)
11. Desert Fairy
12. Return From The Great Unknown
13. Alkebulan

Best Cuts: 'Desert Fairy', 'Nothing But Change', 'Eunice In White'

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