Beans
Shock City Maverick

On n'arrête plus Beans. Depuis la dissolution Antipop Consortium, Mr. Ballbeam a visiblement décidé d'alimenter constamment les bacs de ses excursions solos. 8 mois à peine après le EP "Now, Soon, Someday" et un mois après le maxi annonciateur 'Down By Law', Beans revient ainsi squatter notre platine avec son second album solo "Shock City Maverick". Une question se pose d'emblée pour les observateurs attentifs de la carrière du contorsionniste verbal d'APC. Beans suivra-t-il la pente ascendante initiée par le superbement créatif "Now, Soon, Someday" ou bien retombera-t-il dans les égarements un peu pompiers de "Tomorrow Right Now"? Allergique aux cases trop étroites dans lesquelles certains voudraient le ranger, il choisit de ne pas vraiment répondre à la question, de mieux la contourner en changeant de costume et en présentant un nouveau look.

Sur la lancée du dernier EP, il a pris en main comme un grand l'ensemble de la production de ce nouvel opus (hormis sa conclusion). "Why explore areas thoroughly surveyed?" Beans refuse la routine et cette fois-ci, à l'image de 'Down By Law', il opte derrière son synthé et sa boîte à rythmes pour un son moins alambiqué que sur ses 2 projets précédents. Un son où la basse et la batterie se font très présents et sont rarement surmontés de plus d'une nappe ou deux. 'Papercut' est le fer de lance le plus aiguisé de cette nouvelle approche: une basse entêtante, une rythmique en forme de marteau pilon, quelques claviers intrigants, un final à la Sun Ra et le flow incontrôlable de l'ancien résident de White Plains. Que du bonheur. Fort de ce parti-pris, l'album fait preuve d'une plus grande cohérence de style. Moins éclaté, "Shock City Maverick" paraît plus homogène que ses prédécesseurs. Mais en contrepartie, le systématisme de la formule employée tend à lasser, une fois étiré sur la quarantaine de minutes qui constituent l'album. Souvent trop statiques au fil des mesures, parfois un peu fades, les productions manquent de ce petit quelque chose qui emballerait une mécanique un peu trop prévisible. Privé de cette étincelle, le minimalisme des compositions de Beans ne parvient pas à recréer chez nous le même enthousiasme et la même fascination que sur "Now Soon Someday" ou "The Ends Against The Middle"… On ne retrouve ici aucun titre de la profondeur de 'Crevice' ou de la complexité de 'Structure Tone'. Les plages s'enchaînent de manière plaisante mais sans à coup. Pas vraiment de surprise, pas vraiment de risques, pas beaucoup d'angles vifs… Même les changements de directions amorcés occasionnellement manquent de naturel.

Le seul point positif qu'on pourrait reconnaître à cette régression, c'est que le côté squelettique d'une bonne partie des productions accentue encore la portée des démonstrations microphoniques renversantes d'un Beans toujours aussi à l'aise. Rimant plus vite que son ombre, Beans "the best dressed homeless" enchaîne les phases magnétiques en nous entraînant dans ses circonvolutions mentales absurdes et improbables ("A torpedo wearing a Speedo on vacation in Afghanistan"?). Prenant sa respiration dans des intervalles inexistants, dévorant le beat avec un appétit insatiable, déformant les syllabes avec talent, il domine de bout en bout les instrus, capable d'appuyer sur l'accélérateur en un éclair. Une main sur le micro et l'autre sur son entrejambe, il a cependant ici la fâcheuse tendance à se regarder un peu trop le nombril. "Big dick mentality, Stunt cock commando, Anal sex assault riffle, Rectum Rambo"… Entre une dizaine d'egotrips, une volée de manifestes anti-wack, quelques couplets renvoyant les critiques dans les cordes et de nombreux rappels concernant son goût prononcé pour les acrobaties sexuelles, il propose un rap masturbateur qui tourne légèrement en rond. Au diable la poésie et l'introspection! Beans est désormais un b-boy poussant à fond le son de son ghetto blaster pour écraser la concurrence, comme la pochette de ce nouvel opus en atteste. Alors, certes, ses egotrips imagés multipliant les métaphores élaborées ne rentrent pas vraiment dans la norme et ont toujours un pouvoir d'attraction hors du commun. Mais, du coup, force est de constater qu'une fois les prouesses vocales du maître de maison digérées, on ressent rapidement un sentiment de vide. On se retrouve seul face à un décor sonore sans réelle profondeur ('Blind Driver', 'City Hawk', 'Down By Law', 'I'll Melt You'…).

Un constat d'autant plus rageant que, tandis que les titres rappés manquent sévèrement de piment, les plages instrumentales proposées montrent Beans en a gardé sous le coude. Les nappes mystérieuses et les murmures du troublant et crépusculaire 'Light of the Damned' ; la symphonie de cloches mortuaires et le charme intrigant du robotique 'You're Dead Let's Disco' ; le violoncelle balbutiant, les claviers galactiques et les scratches extraterrestres d'un 'A Force On The Edge' qui joue virtuosement avec les déséquilibres avant de se lancer dans une savoureuse démonstration electro… Tous méritent le détour. Tous prouvent que Beans sait composer des ambiances intenses et imprévisibles qui font monter la tension d'un cran. De quoi nous faire sérieusement regretter que Beans n'ait pas choisi de poser ses rimes sur des sons inspirés de cet acabit plutôt que sur les confections monotones qui peuplent l'album. De quoi nous faire regretter aussi qu'il n'y ait pas plus de 'Diamond Halo Grenade' au programme. Cachée en fin d'album, l'unique livraison sonore de Mark Pritchard cristallise en effet toutes nos attentes en une puissante déflagration. Hanclaps en avant, motif de synthé imparable, nuée de sons étranges en arrière-plan, refrain simple mais efficace : 'Diamond Halo Grenade' est ce hit heurté et immédiat qu'on attendait depuis le départ… mais qui arrive un peu tard.

Alors, bien entendu, "Shock City Maverick" est un opus respectable, au-dessus de la moyenne même. Mais, dans l'état, les adeptes de longue date de l'architecte de l'alphabet risquent bien de rester sur leur faim sur le plan créatif. Moins aventureux, moins excitant, moins personnel mais aussi moins varié que "Now Soon Someday", ce nouveau LP de Beans attend longtemps un détonateur qui n'arrive malheureusement qu'en fin de course. Malgré quelques bons coups sporadiques, "Shock City Maverick" manque un peu sa cible. A force de trop courir après la montre et les jupes des filles, on espère que Beans n'est pas en train de perdre de vue son art et ce qui se fait sa force. Première mise en garde.

Cobalt
Novembre 2004
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Label: Warp Records
Production: Beans, Mark Pritchard
Année: Octobre 2004

01. Light of the Damned
02. Papercut
03. Blind Driver
04. Shards of Glass (feat. Hava)
05. You're Dead, Let's Disco
06. City Hawk
07. Shock City Maverick
08. Death By Sophistication
09. Interval
10. Down By Law
11. A Force On Edge
12. I'll Melt You
13. Diamond Halo Grenade

Best Cuts: 'Diamond Halo Grenade', 'You're Dead, Let's Disco', 'Papercut'

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