Beans

Après avoir ni plus ni moins que révolutionné la vision que l'on avait du hip-hop au sein d'Anti-Pop Consortium, Beans a décidé, suite à la séparation du collectif, de se lancer dans une carrière solo. "Tomorrow Right Now" inaugure donc le bal des projets des ex-APC de belle manière. En tournée en France pour promouvoir ce premier opus, Beans a fait escale à Lyon le Jeudi 17 Avril pour une prestation mémorable. Quelques heures avant le début des hostilités scèniques, nous nous étions entretenu en détail avec Beans de son passé APC mais aussi de son futur… et de la politique américaine.



Hip-Hop Core: Pour commencer, pourrais-tu nous parler un peu de tes débuts avec le Boom Poetic Collective et de ce qui t'as attiré dans la poésie et le rap ?



Beans : Quand j'ai commencé, je voulais être DJ mais je n'avais pas d'argent pour me payer l'équipement. C'était moins cher de commencer avec un crayon et du papier. Alors je me suis mis à l'écriture. Ensuite, j'ai integré de nombreux groupes de White Plains et toute cette zone qui est une sorte de banlieue de New York. A cette époque j'étais avec cette fille qui s'appelait Nine. Elle m'a dit qu'elle avait fait des trucs au Nuyoricans Poet Café et elle m'a emmené là-bas. Ils y faisaient des évènements "Rap Meets Poetry" de manière régulière et c'est là que j'ai vraiment commencé à rentrer en contact avec beaucoup de monde. En fait, à l'origine, le Boom Poetic a été monté par Sha-Key. Priest en faisait déjà partie quand je suis arrivé. Sha-Key faisait déjà son premier album (ndlr : "Headnoddas Journey") avec Earl Blaize à ce moment et c'est sur cet album que Earl, Priest et moi avons travaillé pour la première fois ensemble.



HHC : Comment de cette rencontre en êtes-vous arrivé à former Anti-Pop Consortium ?



B : Et bien à partir de là, les 2 filles, Nine et Sha-Key se sont disputés, comme les femmes tendent à le faire. Le groupe d'amis s'est alors séparé en deux. Il y avait le Boom Poetic d'un côté et Soup de l'autre. Soup a commencé à faire des trucs avec Giant Step et les autres n'avaient pas envie de prendre cette direction. Ils avaient l'impression que c'était vendre son cul que de faire ça. Moi, j'ai décidé de suivre Nine dans Soup et de bosser avec Giant Step au "Souper Club". On était 6 dans Soup : moi, Nine, Cesare, Priest, une autre fille Natasha et une autre fille appelé Jamey. On avait travaillé les enchaînements de nos poèmes avec des interludes et on les présentait comme des pièces de théâtre. De là, après quelques temps, Priest et moi avons quitté le groupe et on a commencé à faire d'autres trucs en parallèle avec un mec nommé Brown. Brown est le fils du saxophoniste Marion Brown qui jouait avec John Coltrane. Priest et moi enregistrions séparément des trucs pour Brown…



HHC : Djinji Brown.



B : Ouais, Djinji Brown de 7Heads. On faisait des trucs pour lui. C'est là que Priest et moi avons vraiment commencé à nous affilier parce qu'on s'est rendus compte qu'on avait à peu près les mêmes objectifs et des idées similaires sur certaines choses. Priest et moi avons alors commencé à travailler au sein d'un groupe : The Blank Slates. C'était moi, Priest, un saxophoniste appelé Mika et un clavier nommé Manni (il est dans le groupe Bizarre maintenant, qui était signé chez Asphodel). On a alors commencé à traîner avec le crew Soundlab et DJ Spooky et plein d'autres mecs de cette mouvance. On a intégré M. Sayyid à notre équipe. C'était en 1997 et on n'arrivait pas à trouver de deal donc Priest a eu l'idée de monter Antipop Recordings. On a sorti une série de mixtapes appelés "Consortiums" (il y en a 4 volumes) et les gens ont commencé à associer le nom du label au nom des cassettes… C'est comme ça qu'on est devenus Anti-Pop Consortium.





HHC : Après le succès de "Tragic Epilogue", pourquoi avez-vous décidé de ne sortir "Shopping Carts Crashing" qu'au Japon ?



B : On l'a sorti avec un label japonais. Pour être honnêtes, Priest et Sayyid ne voulaient pas le sortir. Ils trouvaient que ce n'était pas une bonne suite à "Tragic Epilogue". Ils faisaient une erreur à mon avis. C'était stupide comme attitude. Moi et la major avons fait beaucoup d'efforts pour que ça sorte… Personne ne s'y attendait.



HHC : Qu'en est-il des "Diagonal Ryme Garganchula" ?



B : C'était sur Wordsound, les volumes 1 et 2…



HHC : D'ailleurs, quelle est exactement votre connexion avec Wordsound ? Vous étiez aussi sur l'album "Crooked" dernièrement…



B : La connexion principale venait de Sayyid. Lui et Skitz sont de très bons amis. C'était une opportunité de sortir des disques alors on l'a fait…



HHC : Dans Anti-Pop Consortium, on dirait que vous aviez l'air de vraiment apprécier les collaborations : New Flesh, Techno Animal… Par exemple, avec un peu de recul, quelle est ton opinion sur l'album "The Isolationist" que vous avez enregistré avec DJ Vadim ?



B : Je pense que c'est toujours un bon album. A mon avis, il était un peu long mais je trouve que c'est un bon disque pour son époque. Par contre, il y a vraiment eu une évolution entre la manière dont je rappe sur ce disque et celle dont je rappe maintenant.



HHC : Comment avez-vous rencontré Vadim ?



B : Ca remonte à quand on a sorti le premier maxi 'Disorientation'. Josh Peterson a été la première personne du monde à le jouer. Alors on a réuni assez d'argent pour prendre l'avion jusqu'à Londres et on s'est débrouillés pour faire un mini-tour pendant 2 semaines en Angleterre. C'est là qu'on a rencontré Attica Blues (ndlr : groupe de trip-hop londonien). On a fait un remix pour eux et un ami à eux nous a dit que DJ Vadim était intéressé pour travailler avec nous. Au début, on ne devait faire qu'un single. Ca s'est transformé en EP… puis en album.





HHC : Comment êtes-vous entré en contact avec le pianiste Matthew Ship et quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ? Y a-t-il eu beaucoup d'improvisations ou est-ce que les choses étaient plus structurées ?



B : Et bien (ndlr : l'air un peu dérangé)… pour être honnête… Je connais Matthew Ship depuis l'époque où je travaillais dans un magasin de musique appelé Other Music et qu'il venait quasiment chaque jour pour voir les nouvelles sorties et les disques. Quand on a commencé à faire parler de nous avec Anti-Pop Consortium, il m'a dit qu'il serait intéressé par une collaboration. J'étais vraiment partant. Sayyid ne voulait pas faire partie de cette aventure. Earl Blaize n'avait pas vraiment l'intention de s'y impliquer à fond. C'est donc devenu un projet pour Priest et moi. On a passé 8 heures dans le studio avec Matthew Ship et son groupe (William Parker, Daniel Carter, Khan Jamal et Guillermo E. Brown) à enregistrer et à définir les lignes directrices du projet.

Après cette session, on a commencé à bosser sur "Arrhythmia" avec Antipop donc on a un peu mis le projet de Matthew Shipp en stand-by. Peu après l'enregistrement et la promotion de l'album, on (Antipop) s'est séparés. Priest avait toutes les cassettes de notre session donc il a travaillé là-dessus. En fait, je n'ai pas grand chose à voir avec cet album au final. J'ai juste fait 2 titres et j'ai enregistré des pistes vocales…



HHC : Mais étiez-vous déjà un fan de Matthew Shipp ? On connaît votre goût pour le jazz…



B : Oh oui. Je suis définitivement un grand fan de jazz. Quelques-unes de mes influences majeures sont certainement Sun Ra, John Coltrane et le Miles Davis des années 70.



HHC : Qu'est-ce ça te fait maintenant qu'Antipop n'est plus d'être un artiste solo et de tout faire seul ?



B : Yo… vraiment bien (ndlr : un sourire aux lèvres). Je ne peux pas mentir. Je me sens vraiment bien. Je suis sûr que le job est bien fait comme ça.





HHC : Comptes-tu faire des collaborations avec des artistes Warp ?



B : Pas que je sache. Prefuse 73 a fait un remix de 'Phreek The Beet' qui va bientôt sortir… mais en attendant rien d'autre de prévu. Sinon, dans ce registre, El-P a fait un remix de 'Mute Screamer'.



HHC : J'ai entendu que tu allais sortir un nouvel EP sur Warp en Septembre…



B : Oui. Il y aura les remixes dont je viens de te parler mais aussi 4 nouvelles chansons. Sinon, je vais commencer à travailler sur mon prochain album en Juin et faire en sorte qu'il sorte en Mars prochain. Croisez les doigts…



HHC : Pour en venir à ton album "Tomorrow Right Now", une fois de plus, tu sors des sentiers battus. Mais, au milieu des velléités expérimentales, on constate une certaine forme de nostalgie de l'innocence de la old school dans les rimes. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?



B : Je pense que tout a commencé quand j'ai fait 'Phreek The Beet' qui est un peu dans la veine des vieux Crash Crew qu'on entendait à la radio. J'ai essayé de capturer ce type de mélodie… mais ce n'est pas comme si j'avais essayé d'être nostalgique. J'essaie plutôt d'avancer et d'aller plus loin en avant. Et puis je travaillais déjà sur ces trucs pendant qu'Antipop existait encore…



HHC : Oui, j'ai vu que certains des titres de ton album sont en cours depuis 1993. Je pense à 'Booga Sugar' par exemple…



B : Tout à fait. Ca remonte à l'époque où je faisais surtout de la poésie. C'était un poème qui déclenchait toujours de super bonnes réactions dans le public alors il m'a semblé opportun de le reprendre ici.



HHC : Si je comprends bien quand tu étais dans Anti-Pop Consortium, tu pensais déjà à entamer une carrière solo ?



B : Oui.



HHC : Il y a un titre sur "Tomorrow Right Now" qui étonne à l'écoute par son approche assez directe : 'Toast'. Peux-tu nous parler de cet excellent morceau ?



B : Tu sais dans le passé quand tout le monde faisait une dédicace à son quartier comme sur 'The Bridge' ou 'Strong Island' ? Ce titre est mon hommage à là d'où je viens : White Plains.





HHC : En dehors de 'Ghostlawns', tu n'avais jamais fait une production tout seul dans les disques d'Antipop. Qu'as tu ressenti en produisant ces nouveaux titres ? Que voulais-tu accomplir au niveau sonore ?



B : Je voulais que ce LP me reflète vraiment. Certaines personnes disent que c'est dans la même veine qu'Antipop. Mais comme tu l'as dit, je n'ai pas fait de productions pour Antipop à part 'Ghostlawns'. Je vois cet album comme un prélude à certaines choses que je vais faire ou expérimenter dans le futur.



HHC : Quel est exactement le rôle d'Earl Blaize dans "Tomorrow Right Now" ? Il est présent dans les notes du livret sur pas mal de titres.



B : C'est parce que j'ai enregistré beaucoup des titres de l'album chez lui. Sinon, j'ai quasiment tout fait sur cet album. J'ai bossé avec pas mal d'ingénieurs du son différents. Certains m'ont aidé par endroits à faire sonner les choses comme je le voulais mais en gros c'est la genèse de mon propre son.



HHC : Tu utilises une grande variété de flows sur cet album. Est-ce quelque chose que tu avais prévu au départ ?



B : C'est quelque chose que je voulais vraiment faire et je compte continuer dans cette direction en fait.



HHC : Où trouves-tu l'inspiration pour tes textes d'ailleurs ? Qu'est-ce qui t'as donné envie de parler de la dépendance aux drogues sur 'Booga Sugar' ?



B : A une époque, je fumais beaucoup d'herbe et c'en est venu à un point où les gens autour de moi commençaient vraiment à s'inquiéter et où ça devenait une distraction plus qu'autre chose alors j'ai décidé d'arrêter. En plus, je suis passé par une phase où j'ai fait mon auto-critique et où je me suis demandé ce qu'il se passerait si je franchissais la ligne, le point de non-retour... Sinon, pour mes textes, je m'inspire de ce qui m'entoure. Par exemple, 'Mearle' parle de ma mère. 'Raping Silence', c'est juste de la musique… c'est ce que la musique est. 'Walking By Night', c'est la façon dont je trouve souvent l'inspiration en fait (ndlr : 'en marchant la nuit')...



HHC : Comment s'est déroulé la tournée jusqu'ici ?



B : J'ai été en Belgique, à Toulouse... Je pense qu'en France, ce qui m'aide vraiment c'est que je viens d'Antipop et que les gens connaissent ce qu'on a fait. On s'est séparés en Juillet; mon album était prêt la première semaine de Septembre. Je n'avais pas envie d'attendre trop longtemps parce que les gens oublient vite. Je crois que ça va prendre encore un petit moment avant que les gens prennent l'habitude de me voir en solo. Mais, pour le moment, je trouve déjà que tout se passe très bien. Là, je suis tout seul mais après je vais faire des concerts avec Prefuse 73, The Majesticons puis El-P.





HHC : Question rituelle qui tranche un peu avec le reste : quel est ton album de rap préféré ?



B : Wow… Je vais en dire plusieurs. Public Enemy "It Takes A Nation of Millions To Hold Us Back" et "Yo! Bum Rush The Show", Boogie Down Productions "By Any Means Necessary" et "Criminal Minded"… J'aime beaucoup "Stakes Is High" de De La Soul, "De La Soul Is Dead" et aussi "Three Feet High And Rising"… "To Whom It May Concern" et "Inner City Griots" de Freestyle Fellowship (j'étais à fond dedans). Le premier Organized Konfusion. "Resurrection" de Common… J'ai vraiment aimé "Phrenology" des Roots tout comme "Illadelph Halflife" et "Things Fall Apart". C'est vraiment une question difficile… Le "Fantastic Damage" d'El-P était brillant. Vraiment super. Nas "Illmatic", pas moyen de tergiverser… [ndlr : s'en suit une discussion sur 50 Cent dont Beans aime beaucoup les anciens albums]. Je voudrais vraiment travailler avec Ghostface Killah. Et Raekwon, "Only Built 4 Cuban Linx", mec. Et Gza "Liquid Swords".



HHC : Bons choix. Et si tu devais ne retenir qu'une chanson d'Antipop ?



B : La chanson que j'adorais vraiment et qui malheureusement n'a pas été assez mise en avant : 'Autograph' sur 'Diagonal Ryme Garganchula'. Cette chanson a vraiment été sous-estimée. Sinon, ce serait 'Verses' sur "Shopping Carts Crashing".



HHC : Plus sérieusement, que penses-tu de ce que les Etats-Unis ont fait en Irak ?



B : Sérieusement, c'est horrible. Parce qu'ils sont entrés là-bas, ils ont tué un nombre incalculable de femmes et d'enfants innocents ; ils ne savent même pas si Saddam est mort ou quoi ; ils n'ont toujours pas trouvé ces armes de destruction massive dont ils n'arrêtent pas de parler et maintenant ils envisagent d'attaquer la Syrie… C'est comme s'ils essayaient de prendre le contrôle de tout le Moyen-Orient. C'est dingue.



HHC : Ce qui m'étonne, c'est qu'à en croire les sondages, Bush reste très populaire aux Etats-Unis !



B : Il ne l'est pas ! Les gens sont vraiment mécontents. Je sais qu'ils disent que New York n'est pas un bon reflet de l'Amérique parce que les new-yorkais pensent d'une manière différente… mais personne à NY ne voulait de Bush comme président. Il a acheté sa place de président ! C'est incroyable ! Ces élections étaient un truc de fou, une vraie mascarade. C'est la seule fois que j'ai voté de ma vie, parce que je ne voulais pas un autre Bush dans le bureau oval. J'étais vraiment choqué quand j'ai su les résultats. Ca m'a fait mal. Pendant un mois, ils nous ont tourné en bourriques en retenant les résultats de l'élection… et c'est son frère qui est gouverneur de l'état qui lui a donné la victoire ! Je déteste Bush. Je ne sais pas… soit il essaie de suivre les traces de son père, soit il a un énorme complexe d'infériorité. Je trouve qu'il est un peu comme un drogué à la coke, tout excité. Il est vraiment instable…



HHC : Merci, Beans. C'était vraiment un entretien très intéressant. Pour finir, as-tu un message pour les lecteur d'Hiphopcore.net ?



B : Achetez l'album ! (rires)



Propos recueillis par Cobalt et Kreme
Et traduits par Cobalt
Photos de Kreme
Mai 2003

Album "Tomorrow Right Now" diponible chez Warp.

PS : Merci à Julie de PIAS et à Check pour la pimp attitude…

Si vous avez aimé...

Dernières interviews

News

Chroniques

Articles

Audios

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net