Concert
Beans



Jeudi 16 Avril, 23h00 à la Marquise, Lyon

Quand un artiste hip-hop de la carrure de Beans passe à Lyon, il ne faut pas le rater. Les occasions sont rares en province et ne se représentent pour ainsi dire jamais. C'est alors depuis un petit moment déjà que nous attendions avec impatience le spectacle du emcee new-yorkais. Mis au courant dans l'après-midi du fait que le concert de Beans ne commencerait effectivement qu'à 1h du matin et peu enthousiastes à l'idée de rester debout pendant 2 heures à écouter le deejay résident de la Marquise mixer, rendez-vous est pris à minuit à l'entrée. Billets en main, appareil photo dans la poche et titres de l'album de Beans bien en tête, Kreme, Checkspire et moi-même nous immisçons dans la salle. L'ambiance feutrée et assez sombre met en confiance. Premier bon point : la salle est bien remplie. Le public est comme prévu très varié allant du backpacker lambda au survet' Lacoste s'étant probablement trompé de soirée en passant par les branchouilles lecteurs de revues très 'hype' ou les simples fêtards du jeudi soir. Une réelle présence féminine est aussi à noter pour notre plus grand plaisir. Tout se passe tranquillement tandis que DJ Jun Matsuoka déroule sa sélection de disques. Apparemment peu au courant de la teneur de la musique pratiquée par Beans ou bien adepte du second degré poussé à l'extrême, il nous sort un set en total décalage avec les morceaux de hip-hop progressif ou d'électro auxquels on était en droit de s'attendre. Entre deux-trois morceaux de soul-funk, il immisce quelques titres de thug rap new-yorkais ou de lounge un peu molle ! Pas un seul titre d'Anti-Pop Consortium au programme ! Autant dire que le public venu voir Beans est quelque peu décontenancé vis-à-vis de cette sélection et se demande que penser de cette mascarade. Mais bon, les sièges sont là, les bouteilles sont sur les tables et tout le monde s'amuse en attendant l'arrivée de Beans.



Vers 0h45, tout le monde commence à se lever pour converger vers la scène. Les organisateurs commencent à câbler et à installer le micro, les retours et, sur une petite table non loin, un intrigant discman. Les rumeurs se confirment alors. Beans va faire son concert sans filet, simplement accompagné de son discman pour passer les instrumentaux. Prise de risque maximale pour l'ex-Antipop qui affronte le public seul, sans personne pour faire ses backs ni aucun DJ pour couvrir ses erreurs éventuelles. Après une brève attente, le spectacle commence. Beans entre sur scène, vêtu d'un jean, d'un T-Shirt Beans et d'une casquette Beans vissée de travers sur sa tête (vive l'autopromotion). Sans plus de mondanités, il commence un poème a cappella… mais son micro n'est pas branché ! Pendant que derrière la scène, Jun Matsuoka s'affaire à résoudre le problème, Beans teste son micro inlassablement et tente de faire patienter la foule. Faux départ. Soudain, le problème est résolu. Beans se lance alors dans une restitution live du sublime poème 'Booga Sugar', extrait de son album solo "Tomorrow Right Now". Sans la moindre musique, Beans fait claquer les mots et se joue des silences pour mettre en relief l'histoire de ce jeune rappeur qui se laisse entraîner dans le gouffre de la drogue. Texte sombre pour débuter un concert mais bon moyen d'indiquer que la performance à laquelle nous sommes conviés sort du cadre trop restrictif du simple 'concert de rap'. Après cette introduction a cappella, Beans appuie sur la touche "Play" de son Discman et les sons électroniques lourds caractéristiques de sa musique sortent enfin des enceintes. La salle est bien sonorisée et tout le monde peut donc apprécier les mots de Beans. Comme possédé, ce dernier se lance alors dans une vraie expérience d'hypnose du public. Débitant ses textes avec maestria tout en prenant des postures étranges et en se déhanchant sur le rythme, il sidère par son flow hors-normes et son indéniable présence scénique. Maîtrisant parfaitement son souffle, il enchaîne les schémas rythmiques complexes et variés sans sourciller et sans jamais rater le moindre temps. Comment fait-il pour être aussi fort ? Le mystère reste entier. Les titres de son LP solo se suivent ensuite avant que Beans fasse chavirer le public en se lançant dans une restitution parfaite du 'Nude Paper' extrait de "Tragic Epilogue". Petite déception pour les fans de longue date, ce morceau sera le seul souvenir d'Anti-Pop Consortium que Beans voudra bien sortir des tiroirs. Mais, pris dans le live et scotché par le magnétisme de Beans, on n'a pas vraiment le temps de penser à cela pendant le show. Naviguant au sein des titres de "Tomorrow Right Now", Beans nous fait pleinement apprécier le minimalisme de son approche musicale. Il interprète avec conviction et énergie 'Roar', 'Phreek the Beet', 'Hot Venom', 'Mutescreamer', 'Toast'… En sueur, il enlève sa casquette nous permettant d'admirer sa coupe pour le moins étrange (voir verso de "Tomorrow Right Now"). Plié en deux, de profil, il nous livre une version habitée de 'Crave' : "A deeper sense is what the listeners crave/ Because there's too many emcees and not enough listeners". Parfois entre les titres, des interludes musicaux extraits de son prochain EP à venir en Septembre sur Warp nous permettent de goûter à l'inédit pendant que Beans fait un peu de promo, nous dit que son EP s'intitulera "You Lose When You Lose" et nous invite à aller acheter des t-shirts et des casquettes à la billetterie à la fin du concert (pour seulement 10 et 5 euros respectivement, cool). D'autres fois, Beans appuie simplement sur la touche "Pause" de son discman pour arrêter la musique et nous parler. A 2 reprises, il se lancera dans des exercices spoken word impressionnants où les silences ont autant de place que les mots et où le phrasé nu de Beans prend une dimension encore plus importante… Des exercices que certains newbies du public semblent avoir du mal à comprendre (croyant que la sono est morte ou je ne sais quoi). Mais bon, passons. Fidèle au titre de son opus solo, Beans nous amène demain, maintenant, sur un plateau en nous interprétant le futur single ultra minimaliste de son prochain album ! C'est ce qu'on appelle être en avance sur son temps. Tout aux anges, on est ravi d'être convié à entendre tant de nouveaux sons. Après 30 minutes d'un show intense, Beans s'éclipse en coulisses.



Personne n'est dupe et tout le monde commence à crier de toutes ses forces pour faire revenir "Haricots". Bon prince, Beans ne se fait pas trop attendre et il revient vite sur scène pour nous interpréter quelques titres. Nous saluant, il se dirige vers son discman et change de CD pour y introduire son disque de rappel contenant 5 titres dont on retiendra avant tout 'Slow Broken'. On sait alors que le temps est compté pour nous… et on ne rate pas une seconde de la performance de Beans. Et de continuer à être époustouflé par ce flow d'extraterrestre, les mimiques employés par Beans sur scène et cette dextérité microphonique hors du commun. Après 15 minutes supplémentaires, le voilà qui s'éclipse pour de bon. Le public espère mais Beans ne reviendra pas. La foule commence donc à se disperser et nous à nous diriger vers la caisse pour faire le plein de t-shirts et casquettes, histoire de ne pas repartir les mains vides. L'heure du bilan arrive donc. 45 minutes de concert pour une place à 8 euros (si l'on ne compte pas le set de Jun Matsuoka), cela semble peu mais quand on considère que Beans a fait le show tout seul sur scène, quasiment sans pause, et qu'il nous a littéralement soufflé, on est loin d'être déçus. Au contraire. Beans a su parer aux quelques problèmes techniques avec classe et nous offrir une prestation solo à la hauteur de nos grandes espérances dont on ressort avec des tas d'images et avec la conviction une fois de plus que Beans est vraiment un emcee au-dessus du lot. On ne peut que le féliciter pour ses nombreuses prises de risque payantes, sa sympathie, sa présence scénique et son talent… et prier pour qu'il revienne bientôt dans nos contrées.

Cobalt
Avril 2003

Album "Tomorrow Right Now" diponible chez Warp.

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