Bleubird

C'est en juin dernier que Bleubird avait décidé d'atterir, le temps d'une journée, dans ce petit festival local des Yvelines, en banlieue parisienne, pour transporter avec lui ce que le rap canadien peut fournir de plus agressif et de plus engagé sur scène. En coulisses, c'est un musicien ouvert et loquace que nous rejoignons; un sens de l'humour fièrement exacerbé comme la plus belle des parures. Rencontre avec les deux facettes du même personnage. English version



Hip Hop Core: Quelles sont tes impressions sur ton show d'aujourd'hui?



Bleubird: (rires) C'est marrant. Je crois que c'est bien que tous les problèmes techniques soient survenus lors du dernier concert de la tournée. Je peux me permettre d'en rire et ne pas m'énerver. C'était même assez marrant. C'était un peu comme un putain de stand-up. Mais j'en garderai un bon souvenir. Quand j'ai réalisé les balances, je me suis dit: "Ce sera le dernier concert pour ce lecteur de CD". Et au moment où je démarre le show, il claque.



HHC: Quelques jours auparavant, tu as joué à Nancy avec un groupe nouvellement signé sur Warp, Battles, et le producteur français d'électro Ra. Ce soir, tu étais sur scène avec X-Makeena aprés 13 concerts avec eux. Comment as-tu réalisé ces connexions en dehors de la stricte scène hip-hop?



B: En ce qui concerne X-Makeena, ils ont un groupe de beatbox: Spoter Shower. J'ai joué avec eux à Rennes il y a déjà 3 ans. Et une nouvelle fois, il y a deux ans, en compagnie de Zucchini Drive. A chaque fois que nous avons joué ensemble, nous prenions le temps de jammer avec leurs très bons beatboxers et MC's. C'est à ce moment-là qu'ils m'ont parlé de cet autre groupe qu'ils forment: X-Makeena. Davantage orienté électro et drum'n'bass mais aussi rap très agressif. Ils m'ont alors demandé de faire un featuring sur leur album. De ce featuring découla une tournée, puis un autre morceau en leur compagnie,...
Concernant Battles, j'ai été approché par les promoteurs du show à Nancy: l'association Umlaut. Beaucoup de gens ne me connaissaient pas. Dans la salle, il y avait environ 5 personnes venues pour me voir et 250 pour Battles. Mais ce concert était vraiment fantastique. Les gens présents ont très bien accueilli ma prestation.



HHC: Tentons une petite expérience. Si tu te regardes dans le miroir et que tu vois ton visage, peux-tu nous décrire ce que tu vois? Qui est Bleubird pour ceux qui ne te connaissent pas?



B: Tu veux dire si je regarde mon apparence générale? D'habitude, je me dis un truc du genre: "Il faut vraiment que je me rase" ou alors "Ma copine m'a fait une sale de coupe de cheveux!" ou encore "J'aimerais ne pas avoir à porter ces lunettes". Je crois que je projette une sorte d'apparence sympathique mais tout change quand je monte sur scène. Souvent, aprés le concert, les gens me disent qu'ils sont intimidés de venir me parler parce que sur scène je suis vraiment agressif. Je crois que c'est pour ça que ma musique est ce qu'elle est; parce que je ne suis pas quelqu'un d'agressif donc, une fois sur scène, je peux vraiment me lâcher sur ce qui me rend dingue ou me prend la tête (rires).





HHC: Parlons un peu de ta brève carrière. Ta première sortie était en réalité un CD-R baptisé "Does Man Short Life Span Make Any Sense ?", je crois. Je ne l'ai jamais écouté. De quoi s'agit-il?



B: En fait, ça n'était pas réellement ma première sortie. Quelques années auparavant, j'étais dans un groupe de rap-rock en Floride, un groupe avec un vrai suivi médiatique. J'avais pris l'habitude de passer mes soirées avec les membres du groupe et de freestyler toutes les nuits. Le groupe s'appelait SMTH. Nous avions enregistré un album mais le jour où il est sorti, le groupe s'est disloqué. C'était en quelque sorte ma première sortie.

Pour cet album, "Does Man Short Life Span Make Any Sense", à ce moment-là, je vivais avec Sign1 et Filkoe176. Nous étions réunis en tant que Jerk Circuit et nous avions commencé à enregistrer un album. Parallèlement à ça, nous faisions la promotion et l'organisation de concerts. Nous avons été les premiers à faire venir Sage Francis, Atmosphere ou Sole en Floride. On a vraiment ouvert la porte pour ce type de rap là-bas parce que personne ne le faisait auparavant. Toutes les tournées s'arrêtaient à Atlanta et ne venaient jamais en Floride. Donc nous avons commencé à organiser ce genre d'évènement. A un moment, j'ai eu l'opportunité de partir en tournée avec Grand Buffet. J'avais besoin de matériel sonore à vendre pour partir en tournée avec eux. C'est pourquoi Sign1 et moi nous sommes mis à réaliser ce CD-R en reprenant différents morceaux de Jerk Circuit ainsi qu'un morceau que j'avais réalisé avec Grand Buffet. Nous n'avions jamais réalisé d'album à proprement parler pour le groupe mais nous enregistrions tous les jours.

Dernièrement, Sign1 a produit certains beats sur "Sloppy Doctor" (ndlr: le premier LP de Bleubird) et Filkoe176 est le prochain artiste à sortir un album sur Endemik (ndlr: son album "Lost Zoo Keys And The Animal Spirits That Haunt Them" est prévu pour cet automne). Il est de retour et s'est remis à faire de la musique; c'est cool.



HHC: Un an aprés ce premier CD-R, tu sortais la première version de "Sloppy Doctor" sur le label canadien Endemik. Comment s'est faite ta rencontre avec Scott Da Ros, le boss du label?



B: Pendant la tournée avec Grand Buffet, nous avions une date sur Halifax. C'était mon premier concert au Canada. Scott Da Ros et Thesis Sahib étaient dans la salle ce soir-là. C'était la première fois que je les rencontrais en personne. Aprés le concert, ils vinrent vers moi. Thesis me fila une mixtape de Bending Mouth et il me dit: "C'est la musique que je fais mais je suis aussi dessinateur. J'ai réalisé une pochette pour Alias". Je connaissais la pochette en question mais je flippais parce que Thesis est vraiment mon artiste préféré. Aprés ça, on est vraiment devenu bons amis. Thesis s'est débrouillé pour me faire revenir à Halifax et m'a trouvé une date pour ma tournée suivante. Pour cette seconde tournée, quelques mois plus tard, Scott me dit: "Qui va signer ton album?" Les gens d'Endemik furent les premiers à m'approcher. Dés les premières minutes de ma discussion avec eux, je savais que c'était le label que j'allais choisir en raison de ces quelques mots de Scott: "Nous ne voulons pas signer de contrat avec toi. Je veux que tout notre travail soit basé sur une poignée de mains". C'est de l'amitié, pas du business. Voilà comment tout a réellement débuté.



HHC: C'était pour toi la première fois que tu approchais des gens de l'entourage d'Anticon?



B: Avant ça, j'étais proche des gens d'Anticon. J'ai joué quelques shows avec eux parce que, comme je l'ai dit auparavant, je faisais partie de ces gars qui avaient fait venir Sole, Alis et Passage en Floride. De la même manière, je conduisais parfois de Floride jusqu'en Indiana parce que mon DJ de l'époque était de là-bas et des amis à lui organisaient aussi des concerts d'Anticon.





HHC: Tu as parlé de Thesis Sahib. Selon moi, "The Swashbuckling Napoleans" est un projet intéressant même s'il fut très bref et limité à deux morceaux sur un 7''. Comment s'est passé ta collaboration avec lui?



B: En fait, initialement, ça devait être autre chose qu'un simple 7''. Thesis avait l'habitude de tourner avec moi en Floride. Et moi avec Bending Mouth au Canada. Thesis et moi avions enregistré à peu près neuf morceaux durant ces tournées. Mais seuls trois ont été conservés: deux pour le 7'' et un pour la version vinyle de "Sloppy Doctor"... La malédiction a fait que le reste des titres a été perdu dans des crashs de disque dur. Sign1 perdit un morceau de Thesis et moi. Durant la tournée au Canada, nous avions enregistré 4 morceaux qui furent aussi perdus. Une autre fois, nous avions enregistré un posse cut avec 15 MC's du Canada et des Etats-Unis: moi, Thesis, les gars de Toolshed, Bending Mouth et je ne sais plus trop qui. En tout cas, il y avait deux DJ's, deux producteurs, 15 MC's. Nous avions enregistré de 10h du soir à 4h du matin. Aprés ça, un nouveau crash du disque dur. "The Swashbuckling Naopleans" étaient maudits depuis le début. A présent, Thesis est très occupé. Nous vivons dans des endroits différents. Ca fait des années que nous n'avons rien pu enregistrer.



HHC: Parlons un peu de Gunporn. En 2004, le premier (et seul) album du groupe constitua en quelque sorte une surprise pour beaucoup de gens. Comment vous est venue l'idée de monter un tel groupe à toi, Xndl, Siaz, Nomad de Cavemen Speak et Marcus de Stacs Of Stamina?



B: Quelques années avant la sortie de "Sloppy Doctor", Johan de Stacs Of Stamina m'avait contacté pour réaliser quelques beats sur mon album à venir. Il m'avait envoyé un CD avec des beats fantastiques. Peu aprés, nous avons perdu contact et rien ne fut enregistré. La première fois que je suis venu en Europe, je m'occupais du merchandising pour Grand Buffet. Nous avions joué au festival "Sous La Plage" à Paris. Cavemen Speak aussi était programmé. Je ne connaissais pas leur musique mais aussitôt qu'ils montèrent sur scène, ils lachèrent quelques mots à propos de Stacs Of Stamina en pointant le doigt vers la foule. En réalité, je me trouvais à côté de Marcus et Johan: "Hey, Johan. Comment ça va, mec? C'est moi Bleubird!" Lui: "Mais putain, qu'est ce que tu fous là?" Vraiment une drôle de coincidence. Tom (ndlr: Siaz de Cavemen Speak) me proposa alors de venir en Belgique. Lors de ma tournée suivante, je fis donc escale en Belgique pour jouer et enregistrer avec Cavemen Speak. J'avais quatre jours de repos. J'enregistrai tout ce qui me concernait en trois jours. Tout le monde fit la même chose les uns aprés les autres. C'est comme ça que l'album de Gunporn débarqua de nulle part. Un ami de Cavemen Speak réalisa l'artwork, Xndl s'occupa de la sortie vinyle et Shadowanimals (ndlr: la structure de Cavemen Speak) de la sortie CD. Quatre mois aprés, tourner ensemble représenta aussi une surprise pour nous.



HHC: Que penses-tu de la récente exposition de ta musique et de celle de tes potes en Europe? C'est assez étrange parce que la majeure partie des artistes dont nous parlons sur le site sont souvent davantage connus ici qu'aux Etats-Unis ou au Canada.



B: Ouais, c'est assez étrange mais je crois que c'est souvent le cas. Pas toujours mais souvent pour beaucoup de groupes qui font une musique différente. Je crois qu'ils perçent d'abord en Europe. Je pense que les Américains sont plus lents pour s'approprier les nouvelles choses. Je vois vraiment les choses comme ça. Exception faite de la musique mainstream, bien sûr.

Aux Etats-Unis, il n'y a pas d'aide à la promotion de concerts ou d'une musique. C'est à toi d'arriver avec l'argent. Il n'y a ni subventions, ni associations. Ca ressemble davantage à une poignée de gens qui travaillent ensemble. Il y a quelques fans pour ces gens-là mais, en Californie par exemple, ce sont principalement des gens qui font ça depuis très longtemps: le Project Blowed, Freestyle Fellowship, les Shapeshifters... Il y a beaucoup de soutien pour toute cette scène. A New-York, la scène est davantage refermée sur elle-même. Même s'ils commencent à s'ouvrir à d'autres personnes. En Floride, il n'y a jamais eu grand chose. Mais actuellement, tu as Astronautalis, Sol.illaquists Of Sound en connection avec Sage Francis et plus largement Epitaph. Je viens de Floride mais je n'y vis plus. Mais il y a une certaine musique en train d'émerger là-bas.





HHC: Abordons une autre de tes sorties: "From Supercold To Superheat". Un album évoluant plutôt dans le registre comique.



B: Haha, ouais. En fait, j'étais en plein enregistrement à cette époque. J'avais sous le coude ce morceau réalisé avec SMTH que j'ai évoqué auparavant. Plus ce morceau réalisé avec le producteur DiVinci qui devait apparaître sur un 12'' de Mooncircle. Quand je leur ai envoyé, ils m'ont dit: "C'est trop agressif pour nous". Moi: "Vraiment? Vous savez qui est DiVinci? Vous savez ce qu'il va réaliser?" C'est un de mes vieux amis. J'avais vraiment besoin d'un truc que je pourrais vendre en tournée. Je voulais faire quelque chose de différent, quelque chose de drôle qui montrerait ce côté de ma personnalité. Les choses dont j'étais capable mais que je me refusais de faire dans le cadre d'un album normal. C'est ça "From Supercold To Superheat".



HHC: Evoquons à présent ton nouvel album: "RIP U$A". Dans 'Writer', tu dis: "I'm that voice without a home / I ride with you on your headphones." Qu'est ce que tu entends par là?



B: Durant les 6 dernières années, en fait jusqu'à ce que je déménage à Montréal il y a un an et demi, je n'ai jamais cessé de voyager. Même quand je vivais en Floride, j'étais avec mes parents durant une semaine puis je partais pour Orlando durant les deux semaines suivantes afin d'enregistrer, de faire des concerts. J'essayais d'aller partout où je pouvais. J'étais constamment en voyage. Souvent, en tournée en Europe, j'essayais de tourner autant que je pouvais, participer à tous les shows possibles. C'était comme si je n'avais pas de réel domicile, pas de racines. Je n'ai pas eu de petite amie durant sept longues années. Voilà d'où cette idée provient.



HHC: Sur 'Very Dangerous Joke', morceau produit par Nuccini!, tu as écris: "All our hatred for Bush has made him popular in the hearts of the monsters he made us."



B: Ce que je veux dire c'est que l'on retrouve un phénomène intéressant aux Etats-Unis. Peu importe ce envers quoi les jeunes tentent de se rebeller, la vieille génération choisit de défendre cette chose. C'est la même chose que ce que je disais à des Français récemment. Aprés l'élimination au premier tour de Le Pen et de tous les autres (ndlr: lors de la dernière élection présidentielle du printemps 2007) et le second tour opposant Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, beaucoup de gens qui ne supportaient pas Sarkozy à la base finirent par se rallier à lui pour des raisons de sécurité. En fait, tout a à voir avec la peur. Je crois que quand les gens ont commencé à haïr Bush, il était inconcevable qu'il soit réélu mais il y a eu des gens qui ont quand même voté pour lui à cause de toutes ces heures passées à discuter de lui mais pas de la bonne façon.

Tu sais, c'est comme dans les shows de hip-hop. L'habituel "Say yeah!" devint "Say Fuck Bush!". La vieille génération s'est aperçue de ce phénomène et ils ont réellement voulu agir contre ça. C'est pour ça que je perçois beaucoup de parallèles entre ça et la situation en France. Même si ça n'est pas vraiment la même chose. Tu sais Sarkozy, ça n'est pas Bush et la France ça n'est pas les Etats-Unis. Mais quand j'étais ici à suivre de prés tout le processus électoral lors de ma tournée avec X-Makeena, je ne savais vraiment pas ce qu'ils ressentaient parce que ça n'est pas mon pays, mais je crois que c'était la même chose quand Bush fut réélu et que nous ne le voulions pas. Nous avions été vraiment surpris. Je crois que nous avons beaucoup de choses à faire à ce sujet. Mais j'ai aussi réalisé cette petite chanson à propos de José Bové (rires). (ndlr: au court du concert, pendant les souçis techniques, Bleubird nous délivra une petite chanson de sa composition parlant de José Bové, de sa parfaite moustache et du kidnapping de Ronald McDonald).





HHC: Qu'est-ce qui se cache derrière un morceau comme 'Kill Guys'? Tu nous racontes que tu dois tuer Tom Waits, Mike Patton, David Bowie, Steve Perry,...



B: Hahaha! Je ne tuerai jamais Mike Patton. Mike Patton me botterait le cul. Même Tom Waits me botterait le cul!



HHC: Et David Bowie?



B: David Bowie m'embrasserait le cul! Et il en serait vraiment ravi (rires).



HHC: Et pourquoi affirmes-tu, dans 'Writer': "I'm still waiting for rock'n'roll to die"?



B: C'est juste une blague. Tu sais, tout le monde dit toujours que le rock l'emportera au final, que le hip-hop l'emportera au final... Je leur renvoyais juste ça dans leur face en disant que j'attends toujours que le rock disparaisse. Que le hip-hop est toujours présent. Nous sommes toujours là. Je déteste vraiment ces conneries de "Hip Hop is dead"! Comme Nas qui a réalisé cet album en affirmant ça. Ca me rend dingue, même si j'ai beaucoup de respect pour Nas, même si j'ai vraiment grandi en écoutant "Illmatic" et que c'est un vrai pilier de ma culture musicale.



HHC: Tu as fait cette interview avec Sylvain de POPnews l'année passée. Dans une récente chronique de ton dernier album, il disait que le problème de beaucoup de rappeurs est ce complexe de "l'entertainer": trop de choses à montrer, trop de choses à donner et tout cela rend difficile l'écoute d'une traite d'un album. Que penses-tu de ça?
De la même manière, c'est le même phénomène avec un rappeur comme Busdriver. Il est si talentueux et vraiment incroyable. Mais parfois, c'est trop. Parfois, c'est trop avec Subtitle, c'est trop avec Bleubird,...



B: Je comprends ça. Tu sais, j'ai fais une interview où les mecs disaient que l'album est fantastique mais que j'avais besoin d'un filtre à conneries. Moi, je ne veux pas faire d'albums qui ne seraient qu'une succession de morceaux parfaits... J'aime avoir des choses différentes. Tu sais, ma musique est vraiment sèrieuse mais j'ai un putain de sens de l'humour. Je ne suis pas un putain de mec trop sérieux. Quand je rencontre des gens, je n'engage pas avec eux un débat politique. Je suis influencé par beaucoup de choses et mes influences évoluent constamment. Tout le spectre de ma vie représente ma musique. C'est très dur de faire rentrer tout ça dans un cadre limité. En vieillissant, j'apprends ce qu'il ne faut pas faire. Aujourd'hui, je commence juste à apprendre.



HHC: C'est marrant parce que Busdriver, tu sais, aux yeux de beaucoup de personnes, son dernier album est probablement le mieux réalisé. C'est son premier album qui explose vraiment et qui est tout à fait accessible. On est vraiment loin de ses premiers trucs.



B: Ca n'a vraiment rien à voir avec "Fear Of A Black Tangent". Mais est-ce que tu lui donnes tout de même du crédit? Il y a quelques années, si un artiste avait retourné sa veste pour sortir un album "pop" et rendre sa musique plus accessible, j'aurais pensé: "Putain mec, quelle connerie! T'es un putain de vendu!". Mais si tu fais un album comme celui de Busdriver et que tu en arrives à un point où ta musique est plus accessible, pourquoi pas? Je suis content pour lui, c'est une légende ce mec. Il le mérite. Busdriver n'aurait jamais pu faire "Roadkill Overcoat" il y a quelques années. Tu vois ce que je veux dire? Il a vraiment eu besoin d'une évolution progressive pour trouver sa voie, son style. Et je suis sûr qu'il évoluera encore. Il a dit qu'il voulait se tourner vers une musique encore plus "pop", encore plus accessible.

Moi, je me trouve face à un dilemne, c'est que ma musique n'est pas vraiment accessible. C'est vraiment dur à écouter. J'ai des amis qui font de la musique. Ils ont eu, à un moment, une opportunité qui s'est présentée à eux et pas pour moi parce que leur musique est plus facilement accessible, largement acceptable de la part du public. J'ai vraiment eu cet affrontement avec moi-même: "Dois-je essayer de réaliser quelque chose de plus facilement accessible?" Mais je ne peux pas faire ça. Je ne pourrais pas vivre avec moi-même. C'est vraiment dur de trouver un équilibre entre l'approche marketing nécessaire (car tu dois tout de même participer à ce putain de jeu) et sa propre musique. C'est pourquoi la situation de Busdriver est en quelque sorte une inspiration pour moi.





HHC: Si on regarde les producteurs présents sur "RIP U$A", peut-on dire que ton album se situe un peu dans une sorte d'aire musicale post-Anticon avec des gens comme Alias, Sole, etc? Sur le programme du festival, les organisateurs ont baptisé ta musique de "post-rap". (ndlr: s'en suit une discussion ironique à propos de ce terme ponctués de quelques rires). Tu sais ce qu'on va faire? On va essayer de se la jouer trop sérieux. Que penses-tu des gens qui appellent ta musique "post-rap"? Cette appellation se base-t-elle sur une évolution concrète du rap?



B: (ndlr: le visage sérieux et concentré) Je crois qu'il y a vraiment quelque chose de central dans cette expression. C'est comme une sorte d'expérience que nous ferions avec les médias. Tu peux poser ces mots dans ta biographie, sur ta page Myspace et tu peux voir les choses évoluer. Pas tous mais beaucoup de chroniqueurs musicaux vont ensuite récupérer cette expression et vont te labeliser avec ces deux ou trois mots. Et tu peux changer d'identité chaque semaine et être considéré, tu sais, comme un artiste en constante évolution. C'est vraiment ridicule. Mais il y a peut-être quelque chose de sèrieux dans ce "post-rap". Surtout si tu penses au terme "post-rock". Le rock'n'roll qui a progressé vers une musique différente. Et c'est la même chose avec le rap de gens comme moi qui essayons de faire des choses différentes.



HHC: On peut simplement aussi utiliser une autre terminologie comme "rich rap" ou "poor rap".



B: Hehe ouai c'est trés bien ça. Moi je fais du "great rap". Je ne fais pas du "poor rap" mais je suis pauvre. Donc je ne sais pas trop où je dois me placer (rires).



HHC: Peut-être que tu ne le sais pas mais sur Hip Hop Core, nous sommes vraiment de grands fans de Subtitle. Il a récemment sorti une mixtape gratuite sur HHC Records. Peux-tu nous éclairer sur ta collaboration avec lui pour 'Everything's Up' et cet étrange 'United Nonsense'?



B: (gros rires de Bleubird) 'United Nonsense' est en fait basé sur des conversations entre Subtitle et moi. C'était entre des sessions d'enregistrement, j'avais mon dictaphone et nous enregistrions simplement nos propos.



HHC: Pour moi, en fait, Subtitle parle plus qu'il ne rappe.



B: Ouais, ouais! Il devrait faire tout un album entier de conversations! (rires) Quand nous avons enregistré 'Everything's Up', c'était le lendemain de notre première rencontre. Il était venu à Montréal. C'est là que nous nous sommes rencontré en personne. Ce soir-là, nous avons freestylé 35 minutes d'affilée sans s'arrêter, l'un aprés l'autre. Et nous racontions des histoires qui n'étaient jamais arrivées. Les gens pensaient que nous étions potes depuis des années: "Hey, tu te souviens de l'époque où on faisait ça?" Et lui répondait: "Ah ouais! Je m'en souviens!". Le jour suivant, le jour de son anniversaire, il s'était échappé du dîner que sa petite amie avait préparée pour lui pour venir chez nous et enregistrer les deux morceaux.



HHC: Pourquoi as-tu choisi d'avoir cette ribambelle de producteurs sur ton album au lieu de te focaliser sur un ou deux?



B: Parceque je ne peux vraiment pas me focaliser sur un style en particulier. J'aimerais faire un album mature avec un producteur et un thème précis mais ma concentration ne dure pas longtemps. Et j'ai des potes vraiment talentueux afin de réaliser ce mélange. J'aime la façon dont chaque beat sonne, la façon dont chaque production diffère d'une autre.
"RIP U$A" est différent de "Sloppy Doctor". Avant, des gens me donnaient des beats et moi je me contentais de rapper dessus. Mais ici, il y a eu un réel effort de collaboration. Certains de ces morceaux ont débuté dans l'appartement de Sole, à Barcelona il y a trois ans. Puis je les ai emporté avec moi en Floride et Skyrider les a remixé et a ajouté des instruments. Puis j'ai enregistré les parties vocales dans un bus d'école, en Floride, ou dans le studio de Sole. Tout a été rassemblé et terminé dans mon studio au Canada. C'était une entreprise plus importante. Peut-être plus professionnelle mais j'aime aussi la "raw energy" que l'on retrouve sur "Sloppy Doctor".





HHC: Tu utilises le terme "indie" dans différents morceaux de l'album. Quelle réalité ce mot représente-t-il pour toi?



B: Je crois que c'est de la connerie. C'est un de ces labels dont je parlais auparavant; comme un outil marketing: "Hey, regarde ce groupe indie avec ces millions de dollars derrière lui!". Ca n'est pas ça être indépendant! "Indie rock" est un label important dans le rock pour attirer ces gens qui pensent encore qu'être "indie" c'est toujours le D.I.Y. (Do It Yourself). Ca n'est pas du tout de la musique indépendante. C'est juste une nouvelle dénomination qu'il mette dans les bacs.



HHC: A présent, nous y voici: les questions futiles. Un mec qui s'appelle David Pastorius est crédité pour les lignes de basses sur certains morceaux de "RIP U$A". Est-ce qu'il a un quelconque lien avec Jaco Pastorius, le génie de la basse fretless?



B: Ouais, c'est son neveu. David Pastorius faisait parti du premier groupe auquel j'ai appartenu: Nature Kids. Il jouait de la basse mais on s'était perdu de vue pendant des années. C'est un gros fan d'Anticon. Il voulait jouer de la basse pour ces gars et il m'avait demandé de le présenter à eux. Il vit à Melbourne, en Floride donc on a renoué contact.
Toute sa famille possède un talent musical. La fille de Jaco est dans un groupe appelé Queen Mary et elle chante. David est l'un des joueurs de basse les plus talentueux que j'ai jamais vu. C'est vraiment un honneur de l'avoir sur mon album.



HHC: Quelle mot utiliserais-tu pour décrire ta musique?



B: Schizocrunckpunkslap. Haha! Hum...Non non... Que penses-tu de "postmodernambitiouselectronicridiculoushiphoprapindiepunkDIY with technical problems and a little bit of stand up comedy"?



HHC: Peut-on trouver ça dans les bacs?



B: Tu peux le "googler"! (ndlr: "You can google it!") (rires)



HHC: Quels sont tes projets pour le futur?



B: Je travaille actuellement sur un album avec Otto Von Schirach. Sur le label Ipecac. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de ce projet. Nous avons déjà enregistré quatre morceaux. C'est moi, Otto et un autre MC de Floride qui s'appelle Dirtywork. Je pense que le projet s'intitulera "Otto Von Dirty Bird".
Par ailleurs, je pense que je vais participer à un projet hip-hop d'Amon Tobin baptisé "Two Fingers". Je suis quasi sûr de rapper dessus. Nous en avons déjà parlé. Je travaillais à quelques improvisations à Montréal avec mon cousin qui est ingénieur du son sur "Foley Room" (ndlr: le dernier album d'Amon Tobin sorti cette année sur Ninja Tune). Norsala va aussi nous rejoindre sur ce projet (ndlr: musicien du groupe post-rock Godspeed! You Black Emperor qui a déjà collaboré avec Sixtoo).
Je ne sais pas encore ce que je ferai pour mon prochain album. J'ai déjà tous ces projets, Nuccini veut faire un album avec moi, le groupe Instruments qui a produit quelques morceaux sur "RIP U$A" m'a proposé de faire un EP,...



HHC: Derniers mots?



B: Sur ce que je veux? Putain, c'est la question la plus compliquée... J'ai dit tout ce que j'avais à dire jusque là. Merci à vous.
Ca a été une longue tournée de 25 jours, je rentre chez moi pour dormir 7 jours d'affilée et regarder tous les films Police Academy jamais réalisés. Aprés ça, en septembre, je déménage pour Berlin.



Questions de Newton et Kreme
Traduction de Newton
Photos prises à La Cartonnerie (Reims) par Benjamin Segura
Octobre 2007

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