Amir

HipHopCore aime les passionnés, et notre invité du jour n'est pas des moindres vu qu'il s'agit d'Amir, moitié du célèbre duo de crate digger Kon & Amir. La poussière accumulée sous ses doigts se pèse au kilo et le nombre de disques achetés et écoutés donne le vertige, voilà pourquoi nous avons profité de la sortie de leur mix "Kings Of Diggin'" sur le label BBE pour nous entretenir avec lui, afin de découvrir et de mieux comprendre cet univers mystérieux des fouilleurs de bacs. English version



Hip-Hop Core: Peux-tu te présenter pour nos lecteurs?



Amir: Je m'appelle Amir Abdullah et je mixe sous le nom de DJ Amir. Je collectionne les disques depuis 1986 et je suis DJ depuis environ six ans. De 1997 à 2005 j'étais directeur artistique et responsable des ventes chez Fat Beats Distribution.



HHC: Comment Kon et toi avez été contactés par BBE pour "Kings Of Diggin"'?



A: Je connais Peter, le créateur de BBE depuis 2001 à l'époque ou je travaillais à Fat Beats. Je l'avais contacté pour sortir un album du même genre que notre compilation "The Cleaning" à l'origine, mais Peter avait déjà l'idée de "Kings Of Diggin'". Kon et moi y avons réfléchi et on s'est dit que c'était un bon concept.



HHC: Avez-vous écouté les volumes précédents de cette collection avant de vous mettre à bosser sur le vôtre?



A: Oui, bien sûr, j'ai écouté quasiment tous les volumes de la série des "Kings Of". Je suis fan de la Kings Of Disco.



HHC: Comment avez-vous travaillé le tracklisting? BBE vous a laissé carte blanche?



A: Oui, Pete nous a vraiment laissés libres de choisir les morceaux qu'on voulait. Malgré ça, beaucoup des morceaux que nous avions choisi à l'origine n'ont pas pu être clearés, donc il a fallu faire sans. On avait aussi beaucoup de morceaux qui sont tellement rares que les artistes n'ont pas pu être retrouvés. Et aussi l'idée de départ était de faire un mix avec des morceaux funky qui soient tous bons du début à la fin. On ne voulait pas faire comme Muro.



HHC: Comme tu parles de Muro, j'ai cru comprendre que tu n'étais pas d'accord avec lui lorsqu'il se désignait "King Of Diggin'"…



A: Effectivement, je ne suis pas d'accord avec quiconque s'autoproclame roi du digging. Je pense que personne ne peut se dire roi du digging, même pas moi! Il existe trop de disques pour que quelqu'un prétende connaître tous les disques jamais enregistrés par l'homme sur terre, c'est impossible. Cela dit, je m'entends bien avec Muro et on se connaît donc ça n'a rien de personnel.



HHC: Quel est ton avis sur votre mix?



A: Je pense que le mix est bon, mais qu'on aurait pu faire encore mieux. Je trouve que Kon a vraiment assuré dans son mix vu la difficulté qu'il y avait à enchaîner une sélection aussi diverse. Mon travail à moi a surtout été dans le choix des disques.



HHC: Quel équipement avez-vous utilisé pour enregistrer ce mix?



A: Pour ce projet en particulier on a enregistré tous les disques sur Pro-Tools et ensuite on a construit le mix à partir de là. On a ensuite réalisé le mix avec Serato.



HHC: Est-ce que tu penses que tu encoderas un jour tous tes disques pour les mixer sur Serato, Final Scratch ou Mixvibes?



A: Ce qui est sûr, c'est qu'il faut que je m'achète Serato parce que je ne voudrais pas abîmer mes disques vraiment rares. Les disques super rares sont de plus en plus durs à trouver de nos jours. Comme ça, je pourrais scratcher et faire des passe-passe sur mes disques rares sans avoir peur de les détruire. En plus quand je partirais en tournée, je n'aurais plus à craindre de perdre mes disques ou de me les faire voler.



HHC: Cela t'es déjà arrivé?



A: Non, mais je sais que c'est arrivé récemment à Primo, DJ Spinna, et Kenny Dope. C'est le cauchemar de tous les DJ's!





HHC: Puisque tu bosses très souvent avec Kon, quels sont selon toi les avantages et les inconvénients du travail à deux?



A: Déjà le premier avantage à travailler en duo, c'est de se confronter à une autre opinion que la sienne. Quand on est seul, on peut finir par croire qu'on a toujours raison et que les choses doivent toujours être faites comme on l'entend. Ca peut nuire au projet. D'un autre coté, quand on est deux, on peut ne jamais arriver à se mettre d'accord et débattre sans fin… et les projets n'avancent pas.



HHC: Parlons un peu de la recette d'un bon mix. La technique en tant que dj est quelque chose qui est importante à vos yeux, ou bien est-ce que seule la sélection compte ?



A: Je considère que la technique et la sélection sont aussi importantes l'une que l'autre. Tu peux avoir des DJs qui techniquement sont doués mais qui ont une sélection pourrie, et même s'ils sont bons, tu t'emmerdes en les écoutant. D'un autre côté, tu as des DJs qui vont te sortir une super sélection mais qui ne savent vraiment pas mixer et ils gâchent tout. Le DJ qui m'impressionne le plus, c'est Jazzy Jeff justement, parce que techniquement il est superbe et qu'il a toujours une sélection incroyable !



HHC: C'est vrai que son show avec Mad Skillz est terrible, vous tournez aussi avec un mc?



A: Pour le moment non, mais Kon est plutôt bon pour motiver la foule quand on mixe.



HHC: Quel est votre plus beau souvenir de soirée?



A: En 2004 à Hambourg, en Allemagne. On a fait une soirée où la salle était vraiment comble et les gens dansaient comme des dingues sur tous les disques que je jouais. Il y avait tellement de monde que sur le coup de 6h du matin, lorsque le propriétaire a voulu fermer, la piste était encore pleine, les gens étaient à fond sure ce que Kon et moi jouions. Là, le propriétaire nous a demandé si on pouvait jouer un morceau qui vide la piste, pour que les gens rentrent chez eux… Mais quoi que je joue, les gens adoraient et ils continuaient à danser! Le proprio a dû arrêter la musique et prendre le micro: "S'il vous plaît, rentrez chez vous, je suis fatigué"! C'est le truc le plus drôle que j'ai jamais vu! On a rangé nos disques et quand on est sorti il faisait plein jour. J'avais l'impression d'être Dracula, la lumière me faisait mal aux yeux… C'est là qu'on a réalisé qu'on avait mixé pendant six heures non stop. On avait pris tellement de plaisir à le faire qu'on n'avait pas vu le temps passer.



HHC: Vous semblez beaucoup apprécier l'Europe. Lord Finesse nous disait dans une interview que le public européen s'intéresse plus à l'évolution du hip hop et à son histoire que le public américain. Quel est ton avis là-dessus?



A: Franchement l'Europe c'est là que ça se passe pour la musique de qualité. Le public Européen a toujours apprécié la bonne musique. C'est pour ça que beaucoup de musiciens de jazz et de soul sont venus enregistrer en Europe, et que c'est encore le cas aujourd'hui. Pour beaucoup de DJ's américains, c'est génial de venir jouer en Europe, pour des gens qui connaissent et qui apprécient la musique de qualité. Je suis toujours impatient de venir jouer en Europe… Parfois je me dis "Fuck America!", je devrais rester en Europe. Finesse a complètement raison!



HHC: A la fin des années 90, vous aviez sorti ces k7 mythiques "On Track". Vous vous attendiez à un tel succès ?



A: Kon et moi avons commencé la série des On Track en 1997. Je ne m'attendais pas au succès parce qu'au début tout le monde nous descendait. La plupart des gens pensaient qu'une tape de breaks n'avait aucun intérêt et personne ne comprenait pourquoi on faisait ça. Personne ne les achetait au début. Cela a pris du temps avant que les gens apprécient ce qu'on faisait et nous soutiennent. Ca me surprend toujours le nombre de personnes que je rencontre, en particulier en Europe, qui nous suivent depuis le début !





HHC: Question stratégique : Combien de disques as-tu et comment les ranges-tu?



A: En ce moment je dois en avoir 15 000 chez moi à New-York, et environ 2000 chez mon père à Boston. Honnêtement, ils ne sont pas rangés du tout. Si par exemple, tu me demandes de te sortir un Stevie Wonder, ça va me prendre des heures pour le retrouver. Les seuls disques qui sont rangés sont ceux que je passe en soirée.



HHC: Quand on parle de vous on pense souvent à des breaks obscurs tirés dans des disques de jazz rares, mais qu'en est-il de votre collection de disques de rap? Elle représente quel pourcentage de votre collection globale?



A: Le rap, c'est environ les deux tiers de ma collection. J'ai beaucoup de disques rares, en particulier du début des années 80. J'ai beaucoup de disco rap des débuts et aussi beaucoup d'indés de la fin des années 80 et début 90. Avant de collectionner du jazz ou des breaks, j'ai commencé par le rap. J'aimerai toujours le hip-hop.



HHC: Quel est le titre qui traite du crate diggin' que tu préfères?



A: 'Best Kept Secret' by Diamond D!



HHC: Tu continues d'acheter des nouveautés?



A: Pas trop, je dois avouer. Il faut dire que je n'aime pas trop ce qui se fait maintenant. J'écoute beaucoup mes vieux disques et une fois de temps en temps j'achète une nouveauté quand elle attire mon attention. Par exemple, j'adore le dernier De La Soul "The Grind Date"!



HHC: Quels sont tes premiers souvenirs HipHop?



A: Mon premier souvenir c'était en 1977, j'avais sept ans et dans le métro à Boston j'avais remarqué des grafs qui commençaient à se multiplier sur les rames. Peu de temps après, j'ai vu des gens qui dansaient bizarrement, sans savoir que c'était des B-Boys. Mon souvenir le plus cher, c'est le Fresh Festival en 1983 avec Whodini, UTFO, et plein d'autres groupes. C'était génial de pouvoir voir tous mes groupes préférés de l'époque. Il n'y a plus de festivals comme ça maintenant ; ce sont des choses comme ça qui me manquent.



HHC: Tu es originaire de Boston, est ce que tu prêtes une attention à la scène locale?



A: La scène locale est très différente de ce qu'elle était quand j'ai grandi là bas. Il y avait des super émissions de radio qui passaient tout ce qui venait de New York et de Philly, et tout le monde venait jouer à Boston. The Almighty RSO déchiraient tout quand j'étais plus jeune, avec Top Choice Clique. Sans oublier EDO Rock a.k.a. EDO G qui rappait bien longtemps avant 'I Got To Have It'. Maintenant, j'ai l'impression que tous les jeunes sont dans un délire spatial chelou que je ne calcule pas du tout.



HHC: Comment gère-t-on une vie affective et cette passion du crate diggin?



A: C'est tellement dur d'avoir une vie affective quand on collectionne les disques… La plupart des femmes ne comprennent pas pourquoi on les collectionne. J'ai perdu deux copines à cause des disques. A chaque fois, elles voulaient que je choisisse entre elles et mes disques... et évidemment, j'ai choisi les disques. En ce moment, je suis célibataire parce que je ne veux pas d'une femme qui ne supporte pas ma passion pour les disques. C'est comme si un homme ne supportait pas une femme parce qu'elle collectionne les chaussures ou les sacs à main.



HHC: Ne pensez-vous pas qu'avec la démocratisation du net, le crate digging a perdu de son charme?



A: D'une certaine façon, internet a tué l'art du crate diggin. Par exemple beaucoup de crate diggers n'achètent leurs disques que sur Ebay. Comme beaucoup de crate diggers, j'ai appris ce que je sais en allant des les magasins, dans la rue, les brocantes, les foires, les caves poussiéreuses et partout où il y a des disques. Il ne faut pas avoir peur de se salir pour en apprendre sur les disques. Quand tu apprends en lisant sur internet ou en écoutant quelqu'un, tu ne peux apprendre que ce d'autres savent déjà.





HHC: Tu as fait de la radio. Est-ce que tu es toujours proche de cet univers?



A: WOW! Comment tu connais ça? J'ai fait une émission qui s'appelait Across 110th Street avec Danny Rudder et présentée pas Ricky Powell sur WKCR à l'université de Columbia. Ca a duré deux ans et demi. J'ai rencontré pas mal de gens qui m'ont dit que ce show leur a fait découvrir beaucoup de disques. On ne jouait que du rare groove et des breaks. Plus jeune, j'ai aussi fait un show Hip-Hop qui s'appelait Da Funkiest, au début des années 90. Je ne fais plus vraiment de radio aujourd'hui simplement parce que ce n'est plus possible aujourd'hui… C'est comme si la plupart des gens n'aimait plus la bonne musique.



HHC: Tu as aussi un bagage conséquent dans l'industrie du disque. Quels souvenirs en gardes-tu et peux-tu nous dire ce que cela t'a apporté en tant que crate digger?



A: Je me souviens quand on travaillait sur l'album de EDO G avec Pete Rock. Une nuit dans les studios Unique Studios qui n'existent plus aujourd'hui, Lord Finesse est passé avec Greg Nice juste pour passer un moment avec Pete et moi. Après, 9th Wonder est arrivé. J'ai passé la soirée avec Pete Rock, Lord Finesse, et 9th Wonder à parler de musique et de beats. C'était incroyable. J'aurais dû enregistrer toute notre conversation! Classique!!!



HHC: Peux-tu nous parler de ton travail chez Fat Beats, tant qu'on y est?



A: J'ai travaillé en relation avec les artistes et les producteurs quand j'étais à Fat Beats. Il y a plein de petits classiques de chez Fat Beats dans lesquels j'étais impliqué. Par exemple, j'ai convaincu Common de sortir son maxi 'Communism' chez nous. J'ai bossé sur la plupart des premiers maxis de DITC ou encore avec Company Flow et Mr. Lif. C'est moi aussi qui ai pressé et distribué le premier maxi de Mr Lif 'Electro'. J'ai signé un deal de distribution exclusive pour tous les vinyles de Stones Throw en 2000.J'ai bossé avec plein de monde ces dernières années.



HHC: Un petit récapitulatif des emcees avec lesquels tu as travaillé, pour mémoire?



A: Il y en des tas: Common Sense, Black Thought, Masta Ace, Just Ice, Big Daddy Kane, Lord Finesse (mon homie), Big L, Diamond D, Dilated Peoples, J5, et plein d'autres…



HHC: On parle de renouveau du sampling en ce moment, avec des producteurs tels que Just Blaze ou encore Kanye West qui rencontrent un franc succès. Es-tu sensible à leurs productions?



A: Ce que font Kanye West et Just Blaze avec les samples est dope, mais ils ne font rien que Lord Finesse, Pete Rock, et plein d'autres n'aient fait avant eux pendant des années. Je connais Just Blaze et il sera le premier à te dire que Pete Rock l'a beaucoup influencé. J'entends parfois dire que c'est Kanye West qui a commencé à sampler de la soul, mais Lord Finesse a.k.a. the Funky Man et Pete Rock a.k.a. Soul Brother #1 utilisaient des samples de soul quand Kanye était encore un gamin.



HHC: En parlant de producteurs, qui est pour toi le maître?



A: Mon producteur préféré est Pete Rock, c'est le maître des boucles et du découpage de samples pour moi. Personne n'est meilleur que lui pour ça, il a fait trop de classiques!!



HHC: Quels sont tes projets à venir avec Kon ?



A: Le prochain c'est "On Track Volume 6". C'est un double CD avec 2 heures et demi de breaks et de samples mortels! Kon va faire un CD de raretés disco/boogie, et moi je ferai un CD de jazz fusion. A coté de ça, on continue la série de maxis. Si tout se passe bien, on commencera aussi à bosser sur un nouvel album l'année prochaine.



HHC: Un dernier message pour nos lecteurs?



A: D'abord, merci beaucoup de nous soutenir Kon et moi depuis 10 ans. On apprécie vraiment !!! Merci à tous les crate diggers et fans français qui nous laissent des messages sur notre MySpace (www.myspace.com/konandamir). Et dédicace à ma homegirl Emma Soriano… tu es la meilleure!!!! Love You!!! Et aussi à mon gars Texaco, tout le crew Grim Team, Oliver de Chronowax, et enfin Bachir pour l'interview… Good looking B!



Interview de Bachir
Traduction de Slurg
Novembre 2006

PS: Merci à Amir, Emmanuelle et François.

Si vous avez aimé...

Dernières interviews

News

Chroniques

Articles

Audios

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net