The Roots
Phrenology

Depuis "Organix", les Roots évoluent, se cherchent, raffinent subtilement leur formule... et nous fournissent des albums sublimes. "Things Fall Apart" n'a pas dérogé à la règle mais il leur a permis d'enfin toucher un large public grâce au succès de 'You Got Me'. Pourtant, cette gloire a donné naissance à de nombreux problèmes. Elle a entériné le départ de Malik B, le compagnon de micro de Black Thought depuis toujours. Elle a généré des tensions entre le groupe et son label MCA qui ont repoussé (à jamais?) la sortie du solo de Black Thought. Elle a entraîné l'intégration du guitariste Ben Kenney. Et accessoirement elle nous a privé des nombreux concerts auxquels les Français de bon goût s'étaient habitués. Le seul moment de calme a semble-t-il été leur relecture intelligente des standards de Jay-Z lors de son "Unplugged" pour MTV. Désireux un temps de rompre leur contrat avec MCA, The Roots ont décidé de se raviser pour nous donner à entendre le fruit de 2 ans de travail : "Phrenology".

Et "Phrenology" est clairement un disque de rupture brutale. Un disque qui reflète les tourments du groupe et qui laissera sûrement nombre de fans au bord de la route. Car il n'y a plus trace ici d'aucune improvisation jazz comme sur "Do You Want More?" et que les Roots ont décidé de prendre de tous nouveaux chemins. Au lieu de prendre la voix du succès facile en sortant un album aux saveurs nu-soul doucereuses, les Roots vont totalement à contre-sens en poussant leur démarche artistique à l'extrême. Le seul point de repère connu ici, c'est bien l'habituel poème de fin de disque qui invite cette fois Amiri Baraka à slammer sur une composition mystique. Ailleurs, le rythme est heurté et l'album ne s'écoute pas aussi facilement que prévu. Dès le départ, 'Rock You' est un avertissement sans frais. On s'attendait à une intro en douceur et on est pris de court par la violence et le minimalisme du beat de DJ Scratch. On prend donc la diatribe anti-wack d'un Black Thought impérial en pleine face. Les Roots annoncent la couleur de manière claire. Loin des mélopées jazz à la 'Proceed', 'Rolling With Heat' et son break de batterie dépouillé continuent l'assaut sous la forme d'un échange de salves lyricales avec Talib Kweli. 'Thought @ Work', hommage bourré de samples fondateurs au "Men At Work" de Kool G Rap & DJ Polo, renchérit dans ce sens et Black Thought y fait preuve de son impressionnante dextérité microphonique. Après ce déluge de rimes et cette attaque nourrie à grand renfort de percussions rentre-dedans, on est décontenancés. Parce que jamais auparavant les Roots ne nous avaient préparé à un tel changement de direction. Ils prennent tout le monde à contre-pied. Seul 'Sacrifice' avec Nelly Furtado nous donne un peu d'air dans les premières minutes avec son groove subtil... Le débat est donc ouvert mais 2 titres entâchent profondément ce début d'album et feront l'unanimité contre eux : l'inécoutable craquage hard-rock de '!!!!!!!!' et la pop-rock FM infâme de 'The Seed (2.0)'. A la limite, passons... Mais on ne peut s'empêcher de noter l'absence de la basse de Hub et des claviers de Kamal.

Heureusement, dans la deuxième moitié de "Phrenology", ceux-ci réapparaissent à partir de 'Break You Off' et viennent apporter un peu de chaleur aux sons. Single évident à la mélodie imparable, 'Break You Off' se démarque une fois de plus par le long break instrumental qui le conclut et permet à Black Thought de soigner son image de b-boy romantique en évoquant les affres de l'amour. Ce qu'il fait à nouveau sur l'intimiste 'Complexity' avec Jill Scott en décomposant les étapes du sentiment amoureux. Toujours maître de son flow et de sa respiration, il confirme son statut de rappeur le plus sous-estimé. Au rayon des collaboration, les Roots retrouvent Scott Storch (dont beaucoup ont oublié qu'il a commencé comme clavier à leurs côtés) pour un 'Pussy Galore' qui stigmatise l'utilisation des femmes comme marchandise dans notre société tout en évoquant le pouvoir du sexe faible... A partir de 'Break You Off', on peut dire que le LP trouve un équilibre plus stable et nous emmène vers des sommets tandis que les textes se font plus profonds.

Mais le morceau de bravoure de "Phrenology", c'est bien l'épique 'Water'. Décomposé en trois mouvements distincts mais enchaînés, 'Water' évoque tout d'abord sur une ligne de basse trépidante et familière l'évolution de la situation entre Malik B et le groupe avant de parler des méfaits de la drogue sur la jeunesse de Philadelphie... Puis d'un coup, la parole cesse et l'on se retrouve dans une longue et éprouvante plage instrumentale censée représentée la descente aux enfers des toxicomanes. Une expérience sonore passionnante. Un vrai chef d'œuvre qui polit la plupart des défauts de "Phrenology" en leur donnant du sens.

Malgré toutes ses imperfections (voire le craquage technoïde de 'Thirsty!' à ce titre) et les interrogations qu'il soulève, on ne peut que s'incliner devant le travail fourni par un groupe qui au pied du mur a su trouver en lui l'énergie nécessaire pour se renouveler et s'aventurer sur de nouvelles terres au lieu de se complaire dans la facilité. Certains adoreront, d'autres détesteront mais en tout cas personne ne devrait rester indifférent. Le temps dira ce que "Phrenology" vaut vraiment dans la discographie des Roots mais pour le moment ce cinquième album (hors live) est une surprise à écouter sans a priori, les oreilles grandes ouvertes. Pour ma part, après une phase de rejet pur et simple, je prends maintenant du plaisir à écouter leur nouveau son... Et vous?

Cobalt
Décembre 2002

Note : En édition limitée, "Phrenology" est agrémenté d'un DVD très intéressant contenant les clips légendaires de 'Distortion To Static' et 'Proceed', des petits extras backstage et des versions live de 'The Ultimate' et 'Double Trouble' qui donnent à voir toute la puissance du groupe dans son élément de prédilection (la scène) et qui nous laissent mesurer un peu plus la cassure amorcée avec ce nouvel LP. Un bonus à ne pas rater.
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Label: M.C.A.
Production: The Grand Wizzards, Ahmir "?uestlove" Thompson, Kamal Gray, DJ Scratch, Kamiah Gray, Tahir of Hedrush, Scott Storch, Kareem Riggins, Cody ChestnuTT, Zoukhan Bey, Kelo Saunders
Année: Décembre 2002

01. Phrentrow
02. Rock You
03. !!!!!!!!
04. Sacrifice (feat. Nelly Furtado)
05. Rolling With Heat (feat. Talib Kweli & Dice Raw)
06. WAOK [Ay] Roll Call (feat. Ursula Rucker)
07. Thought @ Work
08 The Seed (2.0) (feat. Cody ChestnuTT)
09. Break You Off (feat. Musiq)
10. Water
a) the first movement
b) the abyss
c) the drowning
11. Quills (feat. Tracey Moore of the Jazzyfatnastees)
12. Pussy Galore
13. Complexity (feat. Jill Scott)
14. Something In The Way of Things [In Town] (feat. Amiri Baraka)
15. Rhymes & Ammo (feat. Talib Kweli)
16. Thirsty!

Best Cuts: 'Water', 'Quills', 'Break You Off'

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