Cadence

Membre du groupe Raw Produce aux côtés de Pitch, emcee-producteur-deejay de talent, artiste intelligent et engagé ayant surmonté des moments très difficiles pour revenir encore plus fort aujourd'hui, Cadence est tout ça… et aussi l'auteur en solo d'un premier opus remarqué au début de l'année "Cadence Poisons the Minds of the Children". Alors que "The Feeling of Now EP" de Raw Produce vient juste d'atteindre les bacs en éclaireur pour un LP attendu et que Cadence annonce déjà un album en tant que producteur, il nous a semblé qu'il était plus que temps de nous entretenir longuement avec cet artiste attachant, présent depuis presque 10 ans mais toujours dans la position d'outsider. Retour avec lui en long et en large sur ses débuts aux côtés de Mike Ladd, sa relation avec Pitch et sa carrière solo mais aussi sur son parcours tumultueux, Boston, son avis sur la politique américaine et bien entendu sur la musique. English version



Hip-Hop Core : Autant commencer par le début. Comment as-tu rencontré Pitch, ton partenaire au sein de Raw Produce ?



Cadence : Par l'intermédiaire de Mike Ladd. Mike était un copain de classe et Pitch et lui commençaient à travailler sur une démo. Ils devaient faire un show et avaient besoin d'un DJ. Mike m'a demandé si j'étais intéressé. J'ai accepté. Alors qu'on se préparait pour le show, j'ai parlé à Pitch de quelques idées de production que j'avais. Mais je n'avais pas d'équipement donc j'avais besoin d'un peu d'aide pour arriver à mettre mes idées en musique. On a commencé à faire quelques titres ensemble et on n'a jamais arrêté!



HHC : Quel était ton passif rapologique à l'époque ?



C : J'étais surtout un fan. J'ai grandi au son du hip-hop des années 80. Quand j'avais 13 ans ou quelque chose comme ça, j'ai eu un set de platines différentes et un petit mixer, donc j'ai commencé à faire le DJ dans ma chambre. J'étais un gros collectionneur de disques mais je n'ai jamais pris le DJing très au sérieux. Je faisais ça juste pour m'amuser. Mais quand je suis arrivé au lycée, j'ai commencé à mixer dans des soirées et un peu après j'ai eu mon show radio.



HHC : Je crois que ton intérêt pour le DJing t'es venu après avoir entendu Grandmixer DST aux platines. Qu'est ce qui t'a amené à changer quelque peu ton fusil d'épaule et à te lancer dans la production et le emceeing ?



C : Chaque chose a mené à une autre, vraiment. J'ai toujours été un crate-digger. J'ai commencé par essayer de trouver les breaks qui étaient dans mes disques de hip-hop favoris. Puis j'ai commencé à rechercher des morceaux qui n'avaient pas été utilisés. J'ai pris pour habitude de travailler pas mal des trucs que je trouvais avec mes platines donc, au moment où j'ai connu Mike et Pitch, j'avais déjà plein d'idées que je voulais concrétiser et j'ai finalement pu le faire grâce à ces rencontres.



HHC : Qui est le créateur de la Coalition (ndlr: collectif du Massachusetts auquel appartenait Raw Produce au début des années 90 et qui a compté dans ses rangs Mike Ladd et DJ Revolution) et quel en était le but exact ?



C : Je crois qu'on peut dire que c'est Mike Ladd qui est à l'origine de la Coalition. Le premier show que j'ai fait avec eux était aussi leur premier show en fait. L'espace de ce show uniquement, on s'appelait "Brother's Felonious", je crois que c'était une idée de Mike. Je travaillais depuis un moment avec un emcee appelé CIA et il nous a rejoint sur scène pour le show. On est tous devenus les membres originaux de la Coalition. Au fil du temps, pas mal de MC's nous ont rejoint puis nous ont quitté. Pitch et moi étions le seul lien commun comme on a fait des beats pour tout le monde. On a adopté le nom Raw Produce Productions pour se différencier un peu du crew. Le concept de la Coalition était d'essayer de faire du hip-hop comme on aurait voulu que les autres gens en fassent. On s'est attachés à sampler de la musique que personne ne touchait à l'époque et à essayer d'avoir un contenu intelligent. A l'époque, on se démarquait aussi parce qu'on avait des gens de pleins de races différentes dans le groupe. Il y avait beaucoup de groupes noirs et de groupes latino et une poignée de groupes blancs, mais pas beaucoup de groupes multiculturels comme nous. Mais en gros, le but était de faire de la bonne musique et de briser quelques barrières en chemin.



HHC : C'est bien connu que tu n'as commencé à prendre le micro que lorsque la Coalition a commencé à se dissoudre et que c'est comme ça que Raw Produce, en tant que groupe, a réellement pris forme vers 1993. Tu n'étais pas vraiment enclin à rapper au début. Comment te sens-tu en tant qu'emcee maintenant ?



C : Ouais, je n'avais jamais vraiment eu l'intention d'être un MC mais, comme tout le reste, c'est arrivé naturellement. En fait, je me suis réveillé un matin avec une chanson quasi-complète dans ma tête. Je n'avais jamais sérieusement essayer d'écrire des lyrics avant, mais là je me suis assis et j'ai tout mis sur papier. 3 couplets entiers. Ca m'a pris une vingtaine de minutes. C'était la typique "complainte sur l'état actuel du hip-hop", rien de fantastique. Je ne pensais vraiment pas l'enregistrer. Mais on était à une période de la Coalition où tout le monde partait dans des directions différentes. Les gars sautaient des sessions studio ou y arrivaient très en retard. Une nuit, Pitch et moi étions en train d'attendre quelqu'un dans le studio et il n'arrivait pas, alors j'ai dit "Bon… j'ai quelques lyrics…" On a enregistré ma chanson et on a eu un bon feedback de tous ceux qui l'ont entendu. Rapidement, Pitch a commencé à écrire et à enregistrer des trucs. Mais on envisageait ça comme un projet annexe, pour le plaisir. Quand on faisait des shows ou qu'on envoyait des démos de la Coalition, on ne glissait jamais les titres qu'on faisait tous les 2. Il y avait beaucoup de choses que j'avais envie de dire à travers ma musique et, quand j'ai commencé à me concentrer sur l'écriture et à enregistrer mes propres lyrics, j'ai vraiment commencé à y prendre du plaisir.



HHC : Comment en êtes-vous arrivé à sortir le maxi 'Cycles' sur Insomnia Records ?



C : On envoyait des démos à des majors depuis pas mal de temps. On a réussi à obtenir quelques productions sur des projets Tommy Boy et, à un moment, on pensait avoir un deal avec une annexe d'une major… qui a finalement perdu son financement. On a du rencontrer des gens dans quasiment tous les gros labels. On n'avait pas de managers donc c'était déjà la croix et la bannière pour que ces gars nous laissent franchir leur porte. Mais les gros labels n'aiment pas prendre de risques ou essayer des choses différentes. On nous disait toujours que nos démos étaient mieux que 99% des trucs qu'ils entendaient toute la journée mais que, quoiqu'il en soit, ils ne pensaient pas pouvoir trouver le marché pour notre musique comme elle était très différente de ce qu'ils bossaient. Quand on a réalisé que personne n'allait nous aider à percer on a décidé de faire les choses nous-mêmes pour prouver qu'il existait bien un marché pour notre son. Comparé à aujourd'hui, il n'y avait pas vraiment de scène indépendante à l'époque ('94-'95), donc d'un côté on n'avait pas beaucoup de compétition, mais en même temps il n'y avait pas vraiment de distributeur prêt à s'engager. On a pressé 1000 exemplaires du maxi, sans deal de distribution, et on a commencé à demander à tous les gens qu'on connaissait de faire circuler la nouvelle. Le beau-frère de Pitch, Jamieson Grillo, était promoteur (il travaillait pour une poignée de gros labels et a fini par créer sa propre compagnie) et il nous a aidé à faire parvenir le disque à Stretch & Bobbito. Dès qu'ils ont passé le disque, on a eu un coup de fil d'un distributeur qui voulait un nombre important d'exemplaires (plus que ce qu'on avait pressé). Ca a donc abouti à notre premier deal de distribution et, à partir de là, on s'est lancé à fond dans la musique.



HHC : Quelle est l'histoire du "Refrigerator Poetry EP" que vous avez sorti quelques années plus tard ?



C : On a sorti notre second maxi par le biais de Fat Beats et ils nous ont aidé à obtenir un deal pour sortir le EP au Japon. Comme ils étaient impliqués dans l'affaire, quelques exemplaires sont arrivés dans d'autres endroits mais, à la base, c'était une sortie destinée exclusivement au marché japonais. Le EP contenait tout notre second single plus quelques titres inédits.



HHC : Comment avez-vous rencontré Peter Agoston et signé sur Female Fun, suite à votre quasi-absence forcée des bacs de disques pendant la seconde moitié des années 90 ?



C : Peter venait juste de sortir le premier volume des "Special Herbs" de MF Doom et il s'apprêtait à faire un album instrumental avec DJ Spinna. Il est aussi journaliste (ndlr: à Elemental Magazine entre autres) et il avait écrit plusieurs articles sur nous par le passé, mais on ne lui avait jamais parlé. Un jour, il nous a contacté pour nous dire qu'il aimait ce qu'on faisait et qu'il était prêt à nous aider d'une façon ou d'une autre, que ce soit en sortant notre album ou simplement en nous faisant un peu de promotion. On se demandait vraiment comment on allait sortir l'album donc, en en parlant un peu plus, ça a semblé logique de le sortir chez Female Fun.



HHC : Quand as-tu décidé d'enregistrer des trucs en solo ?



C : A un moment, Pitch a eu une proposition de job à New York et il l'a acceptée. Il se trouve qu'il possédait la majorité de notre équipement de studio donc il a tout pris avec lui quand il a déménagé. On était encore en train de terminer l'album de Raw Produce donc j'ai été à NYC quelques fois pour travailler là-dessus et on continué à travailler à distance. Mais quand il a quitté la région de Boston, je n'ai plus pu faire de musique au quotidien. J'en suis venu à me construire mon petit studio et à travailler sur quelques chansons – surtout histoire de ne pas perdre la main. Je n'avais jamais vraiment fait de musique tout seul, donc ça a été un apprentissage en quelque sorte – voir comment ça se passait. Je n'avais pas vraiment le projet de sortir quoi que ce soit; même si une de ces premières chansons a fini par atterrir sur mon album solo "Cadence Poisons the Minds of the Children". Après quelques temps, j'ai décidé de me lancer et de voir si je pouvais sortir une ou deux chansons. Peter de Female Fun m'a suggéré de contacter DJ Fisher de Day By Day au sujet d'une compilation qu'ils étaient en train de faire. J'ai envoyé quelques chansons à DJ; il m'en a demandé quelques autres et finalement il m'a proposé de faire un album pour Day By Day, ce qui est plus que tout ce que j'avais imaginé.



HHC : Justement, quel est ton avis sur "Cadence Poisons the Minds of the Children" maintenant ?



C : Je suis fier de cet album. Il n'a pas fait autant de bruit que je l'avais espéré, mais ça ne gène pas trop en fait. C'était ma première sortie en tant qu'artiste solo. J'ai fait cet album tout seul, en dehors des quelques featurings. J'ai fait tous les beats, les lyrics, les scratches, le mixage, etc… Il n'y a pas beaucoup de gens qui peuvent en dire autant. Je m'améliore avec le temps donc, quand je regarde mes anciens projets, il est clair que je vois toujours des choses qui auraient pu être faites différemment… mais c'est naturel. Je suis très content de ce LP et je sais que beaucoup de personnes se sont retrouvés dans ce que je faisais. Je ne peux pas en demander plus.



HHC : J'ai l'impression que les chansons se doivent d'avoir un sens (ou même un message) pour toi. Qu'en penses-tu ?



C : Je ne pense pas que toutes les chansons doivent être comme ça, mais c'est vrai que j'ai le sentiment que la musique me donne la possibilité de parler sur des choses et j'essaie de ne pas gâcher cette chance. Le hip-hop est la forme de musique la plus directe. Les MC's parlent directement à l'auditeur d'une façon qui n'existe pas dans la majorité des autres formes de musique. C'est pour ça que cette musique peut être si puissante. Si je ne présentais pas mon point de vue sur mes disques, j'aurai l'impression de ne pas réellement contribuer au hip-hop.



HHC : Il y a comme une réaction épidermique dans le hip-hop underground suite aux agissements de George W. Bush. De plus en plus d'attaques lyricales sont directement dirigées vers lui (je pense par exemple à des titres de NMS, Danger Mouse & Jemini, Illogic, Mac Lethal, Immortal Technique…). Quelques mots sur 'W.' maintenant que la guerre d'Irak a eu lieu ?



C : En fait, j'avais écrit la chanson 'W.' en réponse aux élections. A l'époque, le 11 Septembre n'avait pas encore eu lieu donc le titre n'évoque même pas tout ce qui est arrivé après ça. Par contre, j'ai une autre chanson sur mon album 'Vengeance or Victory' qui a été écrite et enregistrée dans les 2 ou 3 jours qui ont suivi les attaques. Mais même là je ne parlais pas de la guerre qui avait lieu, juste de ce que je voyais se profiler à l'horizon. De toute façon, je pense que W. a tourné en dérision les lois électorales et qu'il ne devrait même pas être au pouvoir. Partant de là, il a exploité la peur et la colère du 11 Septembre pour commencer une guerre sous de faux prétextes. Notre économie a été en déclin constant depuis son arrivée dans le bureau oval et des années de relations diplomatiques ont été réduites à néant. Je ne comprends pas pourquoi les gens ne sont pas plus en colère que ça. A mon sens, n'importe lequel de ces actes est 10 fois pire que Whitewater (ndlr: scandale financier auquel Clinton a été lié) ou qu'une petite pipe par une stagiaire ou même que le Watergate. Sans compter le fait qu'il ne devrait pas être au pouvoir. Je ne comprends pas pourquoi il n'est pas en prison. Je suis content de voir que d'autres artistes hip-hop en parlent ouvertement.



HHC : L'ensemble de la scène bostonienne joue un rôle important dans le mouvement dont on vient de parler. Insight vient de sortir son "The Maysun Project" ; Mr. Lif ou toi-même évoquez souvent ces problèmes… Selon toi, pourquoi est-ce que Boston semble plus consciente de la situation actuelle et plus active dans la résistance que n'importe quelle autre région US ?



C : Je suis de Cambridge, MA, juste de l'autre côté de la rivière, par rapport à Boston. C'est une des villes les plus libérales du pays donc je ne suis pas surpris que beaucoup de ces morceaux viennent de notre région. D'autre part, il y a une multitude de collèges et d'universités dans la région de Boston, donc je pense qu'il y a beaucoup d'activisme étudiant et que beaucoup de gens qui viennent ici sont attirés par Boston du fait de son histoire et de son image de ville politiquement progressive. D'un autre côté, il y a aussi à Boston une longue histoire de troubles raciaux. A ce sujet, beaucoup des blessures sont encore ouvertes même si leurs origines remontent aux années 60 et 70. Je pense que cet environnement de tension a aussi entraîné beaucoup d'activisme et de manifestations dans le passé. Quand tu réunis tous ces éléments ensemble, tu obtiens une ville où les gens ont vraiment l'habitude de dire ce qu'ils pensent.



HHC : Comme on parle de politique, que penses-tu de l'élection d'Arnold Schwarzenegger au poste de gouverneur de la Californie ?



C : La Californie est à 5000 kilomètres de Boston donc je ne prétendrais pas que je suis un expert. Mais je trouve que c'est embarrassant pour l'ensemble des Etats-Unis. D'une part, à cause du déroulement de l'élection et de la personnalité d'Arnold, mais surtout parce que je pense que cette élection (plus précisément, ce 'recall') était inutile à la base. Si les gens étaient mécontents de Gray Davis (ndlr: l'ancien gouverneur), ils ne l'auraient pas réélu à l'élection suivante, tout simplement. Au lieu de ça, un riche opposant politique républicain a trouvé le moyen de monter une campagne de 'recall' qui coûte des millions de dollars à l'état et qui plonge l'ensemble du système dans le chaos. Si encore Gray Davis avait commis un crime, ce serait compréhensible, mais là c'est vraiment uniquement parti du fait que les Républicains étaient dégoûtés d'avoir perdu cette élection. Quand c'est comme ça, normalement, tu attends juste la prochaine élection et tu te débrouilles pour éjecter le gars de son poste. C'est comme ça que le système fonctionne depuis des centaines d'années. Pourquoi le changer maintenant ? Je vois ça comme une étape de plus d'un plan destiné à essayer de manipuler les élections. Ca a commencé avec les tentatives pour faire destituer Bill Clinton. Ca a continué avec les manipulations de la dernière élection présidentielle et maintenant avec ça. Ce que les Républicains ont prouvé, c'est que, s'ils ne sont pas contents de l'issue d'une élection, ils peuvent se débrouiller pour arriver à leurs fins par des moyens détournés – même s'il est clair que la majorité des gens ne veulent pas qu'ils gagnent. Ca me fait peur.



HHC : Pour en revenir à la musique, on constate que pas mal d'artistes de la scène bostonienne sont des 'one-man arsenal' comme toi, des artistes polyvalents capables de rapper, produire ET manipuler les platines sans aucun problème. Je pense à Insight et Edan par exemple. Qu'est ce qui selon toi rend les artistes bostoniens si spéciaux et indépendants d'esprit ? Je sais que c'est vraiment important pour toi d'être capable de faire une chanson d'un bout à l'autre…



C : Quelque chose dans l'eau peut-être ? (rires) Je ne sais vraiment pas. Il y a beaucoup de gens qui essaient de faire du hip-hop dans la région de Boston alors peut-être que certains ressentent le besoin d'être polyvalents pour être sûrs de pouvoir toujours rester impliqués dans le rap. Pour moi, ça a juste été une progression naturelle de m'impliquer dans tous les aspects de la création d'un titre. C'est important à mes yeux parce que ça me permet d'être capable d'intervenir sur tous les points qui déterminent comment je me présente sur disque.





HHC : Ton style de production contient beaucoup d'influences jazz. Quels sont tes artistes jazz de référence ?



C : J'adore le jazz. Il y a vraiment trop de noms à mentionner. J'aurai presque besoin de séparer ma liste en différents styles ou différents instruments. Bien sûr, j'aime les classiques comme Miles Davis, John Coltrane, Duke Ellington. J'aime Thelonious Monk et Rahsaan Roland Kirk qui faisaient quelque chose de différent. Herbie Hancock, Ramsey Lewis, Clark Terry, Sarah Vaughan, Dinah Washington, Gloria Lynne. Si je continue à faire des associations libres, je pourrais remplir des pages et des pages de noms!



HHC : Tes beats sont souvent complexes, musicalement parlant, et pourtant très efficaces. Quel est ton but ?



C : Mon but est de faire de vraies chansons, pas simplement des beats. Il m'arrive de faire des trucs simples parfois mais j'aime faire des trucs qui aient une bonne part de musicalité. Je pense que le beat est aussi important que les lyrics. Il donne de la profondeur à une chanson quand tu fais attention aux détails.



HHC : Je sais que tu comptes sortir un album en tant que producteur sur Day By Day l'an prochain. Peux-tu nous dire quelques mots à son sujet ?



C : L'album s'intitulera "Cadence presents: State Lines". Je ne suis pas encore vraiment prêt à donner les noms de ceux qui apparaîtront sur mes compositions mais ça sera un bon mélange d'outsiders et d'artistes plus établis. Il doit me rester à peu près 3 titres à faire maintenant et je suis très fier de ce que j'ai fait jusque là. Je pense que ça surprendra pas mal de monde. Il faut dire que ça fait longtemps que je travaille sur ce projet. C'est DUR d'essayer de faire coïncider les emplois du temps de tout le monde et de rentrer en contact avec des artistes qui essaient déjà de se concentrer sur leur propre carrière. Je suis tellement reconnaissant envers tous les artistes qui m'ont accordé un peu de leur temps pour participer à ce projet. La route a été longue et parfois frustrante, mais c'est dingue de pouvoir faire appel à des gens que je respecte et d'avoir l'opportunité de les connaître et de travailler avec eux.



HHC : Récemment, tu as produit quelques titres pour Quite Nyce. Est-ce que tu veux développer ça et te remettre à bosser pour d'autres artistes ?



C : Depuis l'époque de la Coalition, j'ai toujours produit pour d'autres gens d'une façon ou d'une autre. J'aime ça parce que ça me permet de m'aventurer sur des voies différentes et de faire des beats sur lesquels je ne pourrais pas forcément écrire. Quite Nyce est le premier artiste que j'ai produit tout seul. Il m'a contacté à un moment où j'étais prêt à me lancer dans ce type de projet et j'ai accepté. Au début, je devais juste faire un titre mais j'ai fini par faire environ la moitié de son album. Jusqu'ici, son maxi est le seul projet entièrement produit par mes soins qui soit sorti (en dehors de mon album) – il contient un titre que j'ai fait pour lui et Breez Evahflowin' appelé 'You Don't Know Me'. A part ça, j'ai fait quelques titres pour OUO, un groupe mené par mon pote Dumi Right (dont les gens qui connaissaient Zimbabwe Legit se souviendront peut-être – ils avaient sorti un disque sur Hollywood Basic au début des années 90). J'ai fait des beats pour Lord Cyrus, ShortyRaw et quelques autres et je me prépare à produire quelques titres pour GM Grimm et Eddie Meeks de Prophetix. J'ai vraiment envie de faire plus de productions pour d'autres artistes. Je pense que "State Lines" m'aidera à faire passer le message que je peux travailler avec une large fourchette d'artistes.



HHC : Revenons-en un peu à Raw Produce. Après avoir écouté ton album solo, on cerne clairement ton importance dans le son de Raw Produce. Qu'est-ce que Pitch amène exactement au niveau de la production par rapport à toi ?



C : Franchement, Pitch est un putain de fainéant. Ca fait des années qu'il me suit à la trace! Plus sérieusement, c'est un des producteurs les plus talentueux actuellement. On a beaucoup de goûts en commun, ce qui explique probablement pourquoi il y a beaucoup de similarités entre les sons Raw Produce et mes travaux solo. Au delà de ça, Pitch a une formation musical que je n'ai pas et il a une vrai connaissance de la technologie et de ses interactions avec la façon de produire. J'ai toujours su qu'il avait du talent mais je ne crois avoir vraiment apprécié son apport dans le groupe à sa juste valeur que le jour où j'ai commencé à travailler seul.



HHC : Comment travaillez-vous ensemble ?



C : C'est vraiment une collaboration. C'est assez dur de dire qui fait quoi en ce qui concerne les éléments créatifs du beat. Je pense qu'on a vraiment des qualités complémentaires. Ca fait aussi tellement longtemps qu'on bosse ensemble que c'est facile de communiquer l'un avec l'autre et d'échanger nos idées.

HHC: Ca fait longtemps que tu parles de l'album de Raw Produce "The Feeling of Now". Je crois même qu'il était déjà terminé l'an passé. Qu'est ce qui s'est passé depuis ?



C : Je ne sais même pas si j'ai la vraie réponse à cette question. Depuis qu'on a commencé à faire des disques, il y a toujours eu des obstacles qui sont venus nous barrer la route. A la fin des années 90, alors qu'on sortait des singles je n'ai pas pu m'investir à fond dans le groupe parce que ma mère était en train de mourir d'un cancer et que j'étais sa seule famille. Même si nous sommes parvenus à sortir quelques disques, ça a brisé l'élan et le buzz donc on n'a jamais eu la chance de faire des tournées ou même d'arriver à approvisionner régulièrement les bacs en nouveau son. Malheureusement, le père de Pitch est aussi tombé malade. La vraie vie est venue ralentir tout ce qu'on avait envisagé au niveau de la musique. Je pense que beaucoup de personnes auraient abandonné et se seraient dit qu'elles avaient raté leur chance, mais on n'a pas réagi comme ça. Partant de là, ça a vraiment été dur d'ouvrir des portes. Certaines personnes ne savent pas ce qui nous est arrivé et elles voient juste les trous dans notre parcours discographique – ou, même si elles comprennent ce qui nous est arrivé; elles pensent qu'il sera plus dur de vendre nos nouveaux disques parce qu'une bonne partie de l'auditoire actuel se fout royalement qu'on ait sorti un disque en 1995 et n'a aucune idée de qui nous sommes. Ajoute à ça le fait que nous sommes perfectionnistes, qu'on essaie de prendre le temps de faire en sorte que notre musique soit la meilleure possible et qu'on a aussi vécu dans des états différents pendant une période. Mais c'est aussi parce qu'on voulait être sûrs d'avoir le bon deal en place. On voulait être sûrs que le label qui sortira le disque comprenne bien ce que nous voulions en faire afin qu'il ne soit pas perdu au milieu d'un tas d'autres LPs ou qu'il soit la dernière de leurs priorités.



HHC : Pourquoi avez-vous décidé de sortir "The Feeling of Now EP" avant l'album ?



C : Le EP fonctionne en quelque sorte comme un CD-single. On voulait préparer les gens à l'album, donner aux gens qui n'achètent que des CD's une chance de découvrir quelques chansons rares et sortir par la même occasion des chansons qui ne seraient pas sur l'album.



HHC : Comment avez-vous recruté Thes-One de People Under The Stairs pour le remix de 'The Feeling of Now' ?



C : C'est une fois de plus Peter Agoston de Female Fun qui a arrangé ça. En parlant avec Thes, on s'est rendu compte qu'on avait beaucoup de respect pour nos travaux respectifs. Je pense qu'on a tous senti qu'on pouvait faire quelque chose de bien ensemble. Thes a pris le titre avec lui; il l'a transformé à sa sauce et il est revenu avec une nouvelle version dope.



HHC : Où avez-vous eu l'idée de cette magnifique pochette ?



C : La pochette du EP est en fait une variation de celle de l'album. Quand tu verras l'album, tu verras une version non déformée de cette image. Peter nous a mis en contact avec le designer, Miro, qui a fait un superbe travail avec notre artwork.



HHC : Qu'est ce qui t'a amené à écrire le décalé 'Richard's Radio Jam' (ndlr: titre extrait du EP où Cadence nous parle de son pénis) ? Etait-ce une sorte d'hommage au 'Tonto' d'Apache ?



C : Pas exactement, même si j'ai emprunté la ligne "Like my man Apache said…" au 'Walk Like A Duck' de Kurious. La version non censurée de la chanson s'appelle 'The Dick Jam' et sera sur l'album. Tu sais, beaucoup de emcees se vantent de leurs bites à longueur de chansons et je trouve ça vraiment lassant. Personnellement, je n'ai pas envie de penser à ce que quelqu'un d'autre fait avec sa bite. Mais c'est presque devenu un passage obligé pour les rappers de parler de leur manche à un moment. J'ai voulu jouer avec ça. J'étais en train de penser au fait que Raw Produce fait beaucoup de chansons positives et j'ai écrit la chanson avec cette perspective. Dans la chanson, mon zob est un activiste social qui essaie de rendre le monde meilleur en s'occupant des gens et en étant un citoyen honnête… pour ainsi dire… (rires).



HHC : On parlait de ta façon de produire précédemment. Est-ce que tu peux essayer de décomposer un peu la création d'un titre de Cadence/Raw Produce ?



C : Je pense à la musique en terme de couches. Je ne le fais même pas de manière consciente. Même quand j'étais un gosse et que j'entendais une chanson, je séparais les différents éléments du titre dans ma tête. Je notais la différence entre la mélodie et l'harmonie, ou bien la façon dont la basse prenait le dessus sur les percussions et la façon dont tout se rejoignait pour remplir l'ensemble du spectre sonore. Dans la production hip-hop, tu décomposes des chansons et tu recombines les éléments avec des portions d'autres chansons. Je veux que mes beats sonnent comme un ensemble cohérent. Donc si j'ai une ligne de basse mortelle, je sais que je dois remplir le reste du spectre audio. Pour que ça sonne naturellement, j'ai besoin de mids et d'aigus pour contrebalancer les basses. Quand j'ai fini, je veux que ça soit difficile de dire quel élément vient de telle source ou de telle autre. Pour moi, les meilleurs titres sont ceux où l'auditeur perd de vue les différentes parties de la chanson et a presque l'impression d'écouter un groupe en train de jouer.



HHC : Que penses-tu de la scène bostonienne ?



C : J'ai des sentiments mitigés, je crois. Je suis fier du fait que cette scène ait lancé tant d'artistes respectables. Tellement de talent est sorti de cette région et j'ai eu la chance de travailler avec beaucoup de gens biens. En même temps, Boston est trop petit pour supporter tout le monde donc ça veut dire qu'il n'y a pas assez de place pour que chacun soit mis en avant au niveau médiatique. Le résultat, c'est que beaucoup de gens finissent par se concentrer uniquement sur eux et leurs copains et qu'il n'y a pas beaucoup d'interactions ou de collaborations. Pour moi, tout ça est compliqué par le fait que toute la scène actuelle a émergé et évolué à l'époque où j'étais en train de m'occuper de ma mère mourante. J'ai l'impression que beaucoup de personnes ne savent pas par quoi je suis passé et voient juste que je n'ai pas été aussi présent que certains autres artistes l'ont été ou alors elles ne me connaissent même pas. De ce fait, je me sens toujours dans une position d'outsider. Même si ça fait longtemps que je suis impliqué dans le hip-hop, j'ai toujours l'impression d'une certaine façon d'être en train de rattraper le temps perdu.





HHC : J'étais à Boston cet été pour le Peace & Unity Hip-Hop Festival et j'ai été sidéré par le fait qu'un tel événement (ndlr: concerts de KRS-One, Big Daddy Kane, PMD & DJ Honda, Edo.G, Edan & Insight…) se déroule au pied de l'hôtel de ville de Boston, en plein centre ville et avec le soutien du maire. Est-ce que Boston a une relation particulière avec le hip-hop ?



C : Je n'avais jamais vu un tel événement se dérouler à Boston. Je dois rendre hommage aux gens d'Inebriated Rythms/Grit Records (ndlr: organisateurs de l'événement) qui ont réussi à organiser ce festival en partant de zéro. Je n'arrive même pas à imaginer comment ils ont fait. Même si on est dans une région progressiste, Boston est aussi une ville avec une longue histoire de conflits interraciaux, comme je te l'ai dit. C'est mieux ces temps-ci que par le passé mais les rancoeurs sont profondes… Pendant mon adolescence, il n'y avait quasiment aucune salle qui acceptait les concerts de hip-hop… alors je n'aurais jamais imaginé un événement aussi gros au pied de l'hôtel de ville! Donc, pour répondre à ta question, ce n'est pas un trait typique de Boston. C'était un super festival cependant. Peut-être que ça a ouvert la porte pour plus de bonnes choses de ce type dans le futur. Si c'est le cas, mon seul espoir c'est que le festival comprenne un échantillon plus large de la scène hip-hop locale. J'étais juste spectateur ce jour-là et je me suis bien amusé, mais ce serait super d'être sur scène la prochaine fois!



HHC : A ce sujet, est-ce qu'on peut envisager te voir sur scène en France ou en Europe dans un futur proche ?



C : Dès qu'on me propose quelque chose de correct, je serai au rendez-vous. Nos disques ont toujours eu beaucoup de bons échos en Europe et j'aimerai vraiment avoir la chance de faire un concert là-bas.



HHC : Quand tu étais dans la Coalition, tu travaillais avec Mike Ladd et DJ Revolution. Es-tu toujours en contact avec eux et est-ce que vous envisagez de faire un titre de réunion un jour ?



C : Ca fait un bon moment que je n'ai pas parlé à Revolution. On a été en contact assez régulièrement jusqu'à la sortie de "R2K". Il m'a appelé lorsqu'il est venu à Boston après "In 12's We Trust" et je l'ai vu brièvement. Mais depuis on s'est perdus de vue. Je lui souhaite tout le succès du monde et ça me plairait de retravailler avec lui mais on dirait qu'il ne pense plus trop au passé. Je savais qu'il ferait de grandes choses cependant – même lorsque je l'ai rencontré en 1990 il était un des meilleurs DJs que j'ai jamais vu. En ce qui concerne Mike Ladd, j'ai justement eu la chance de rentrer en studio avec lui récemment pour la première fois depuis TRES longtemps. On a vraiment pris beaucoup de plaisir à retravailler ensemble. On parle tout le temps de refaire des trucs ensemble donc peut-être que ça va un peu relancer la machine.



HHC : En dehors des projets de tes amis bostoniens, qu'est-ce que tu écoutes en ce moment ?



C : Je suis toujours à la recherche de bon hip-hop. Ca devient de plus en plus dur de trouver quelque chose qui retienne mon attention cependant. J'ai beaucoup aimé l'album de Danger Mouse & Jemini "Ghetto Pop Life" (ndlr: sorti sur Lex). L'album de Binkis "The Reign Begins" (ndlr: sorti récemment sur Day By Day) tourne aussi beaucoup sur ma platine en ce moment. Il y a d'autres trucs à droite à gauche que j'aime bien mais la liste n'est pas très longue ces derniers temps.



HHC : La conclusion ?



C : Merci à vous, Hip-Hop Core, pour votre soutien! Soyez à l'affût de "The Feeling of Now" et "State Lines "quand ils sortiront. Et si vous n'avez pas encore "Cadence Poisons the Minds of the Children", choppez-en un exemplaire. Sinon, je recommande à tout le monde de prendre la compilation "School of Emceeing" de pH Music et "Diamonds R 4 Ever" de Lord Cyrus (ndlr: sur lesquels Cadence apparaît). 2 très bons albums qui méritent d'être écoutés.



Interview de Cobalt
Novembre 2003

PS: Merci à Cadence et DJ Fisher.

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