Cadence
State Lines

Tout va bien pour Raw Produce. Après une longue attente, le travail semble enfin porter ses fruits pour Cadence et Pitch. Bien sûr, ce n'est pas encore la gloire et la fortune mais la route commence à bien se dégager après beaucoup de déceptions et d'années sombres. Initialement ignoré par une grande partie de la presse, "The Feeling of Now" a peu à peu réussi à faire son trou grâce au bouche à oreille, pour trouver la place qui lui revient de droit dans les discographies des b-boys d'aujourd'hui et d'hier. Profitant de ses amitiés de longue date et des relations tissées lors de son passage au sein de l'écurie Day By Day, Cadence a tiré partie de ce retour en grâce inespéré pour produire et enregistrer quelques titres avec une poignée d'artistes du cru. Au fil des titres, l'idée a germé de mettre sur pied un vrai album de producteur permettant à Cadence de faire étalage de son talent, tout en organisant quelques rencontres musicales qui n'auraient pas forcément pu trouver leur place sur un projet estampillé Raw Produce. "I made a bunch of beats and got a bunch of people in the studio", avoue en toute simplicité Cadence dès l'introduction. Et hop! Après un an et demi de gestation, de tractactions et de collaborations, "State Lines" est là.

D'emblée, on devine que Cadence a voulu profiter de ce nouveau projet pour prouver à ceux qui lui reprochaient une trop grande douceur qu'il est tout à fait en mesure de confectionner des compositions plus rugueuses, si le besoin s'en fait sentir. Les rythmiques se font donc un poil plus offensives que de coutume. Et c'est plutôt une bonne idée. Il n'y a qu'à naviguer un peu au fil des plages pour s'en rendre compte. Avec son vibraphone signé Milt Jackson et sa guitare joueuse à la Django Reinhardt, découpée et rejouée à volonté sur une batterie propulsive, 'Crash Thru' déborde d'énergie et nous replonge dans l'état d'esprit insouciant du début des nineties. Les flows nerveux et multisyllabiques des méconnus O.U.O. et Zimbabwe Legit y font merveille le temps d'un casse lyrical pour le moins ludique. "Hyperactive, my energy's kinetic / Moving at a pace that's frenetic". Cette cure de jouvence permet de voir le travail de Cadence sous un nouveau jour. Surtout que ce dernier se permet aussi quelques exercices de style plus sombres, à l'image de ses retrouvailles avec l'ancien membre de la Coalition Mike Ladd (l'angoissant 'Gravy') ou de l'ambiance mystique de l'économe 'Butterflies'.

Mais, que les adeptes se rassurent, la légèreté et l'élégance restent de rigueur et la finesse est toujours le qualificatif le plus adapté aux compositions alambiqués de Cadence. Même lorsqu'ils flirtent avec l'uptempo, ses beats gardent cette classe innée qui est devenue la marque de fabrique du chauve de Raw Produce. Violons amples, basses épaisses, xylophones apaisants, guitares murmurées, claviers flatteurs, scratches musicaux, notes de triangles scintillantes: les différents ingrédients des compositions de Cadence se croisent et s'assemblent comme par enchantement. Les ambiances, feutrées et confortables, ont la chaleur douce d'un crépuscule d'été… Seul incident de parcours regrettable: l'irritant 'The Sky Is Falling' au beat simpliste et aux relents moralistes… En dehors de ce faux pas, pas de doute, Cadence continue de défendre une certaine vision du rap où des samples de jazz 4 étoiles triés sur le volet jouent au chat et à la souris. Où les ambiances nébuleuses sont contrebalancées par des rythmiques carrées. Où jouissance de l'instant présent et nostalgie ne font qu'un. Où les morceaux sont bien plus que quelques rimes posées sur une boucle répétée à l'infini. Porté comme on pouvait s'y attendre par une production de haut vol, dont la virtuosité n'a d'égale que la richesse, "State Lines" s'écoute souvent en apesanteur (en dehors de deux ou trois baisses de régime). D'autant plus que Cadence confirme un talent inégalé pour les envolées cuivrées. Qu'ils restent tranquillement dans l'arrière plan ('Deep Freeze') ou qu'ils emportent tout sur leur passage dans un torrent d'émotions ('State Lines'), les saxophones, trompettes et autres flûtes traversières restent l'arme fatale de l'artificier de Cambridge. Frissons garantis.

S'il fait quelques apparitions remarquées au micro, Cade Money a préféré mettre ses invités dans la lumière et leur laisser le champ libre. Après avoir radiographié son esprit en profondeur sur "Cadence Poisons The Minds of the Children", on comprendra sans mal qu'il ait voulu prendre un peu de recul. Surtout que notre hôte a visiblement un carnet d'adresses très fourni. Piochant un peu partout mais sciemment, il réunit pour "State Lines" des amis de longue date, des proches de la nébuleuse Day By Day époque DJ Fisher, quelques old-timers qu'il vénère (Mike G et Dooley-O) mais aussi une poignée d'emcees à la renommée encore confidentielle à qui il souhaite donner un petit coup de pouce… "I write rhymes to right wrongs". Si une veine consciente/puriste prime donc (comme on pouvait s'y attendre), les touches d'humour ne manquent pas. Passion inextinguible pour le hip-hop, egotrips, ode à la persévérance et aux vertus du travail, refus de l'apitoiement, diatribes anti-wack : voilà en vrac les principaux sujets abordés au fil de l'eau. Et si les rimes n'atteignent pas toujours (rarement à vrai dire) les mêmes sommets que la production, on ne pourra résister au plaisir de voir les compositions de Cadence couplées aux vocalises de cette brochette de emcees polyvalente.

On prêtera donc moins attention au manque de cohérence lyrical inhérent à une telle entreprise (ou aux quelques erreurs de casting) qu'à la diversité des personnalités présentes au générique. Surtout que quelques emcees parviennent à se distinguer, à l'instar d'un Eddie Meeks plus survolté que jamais, d'un Yeshua da poED égal à lui-même, d'un Jax projetant son flow vers l'infini ou d'un CMNR qui évoque avec honnêteté sa passion pour l'écriture et sa peur maladive de la feuille blanche sur l'hypnotique 'Perfectionist'… Et puis il y a Shorty Raw, son analyse abstraite de la naissance des mots et de leur effet... Tombé dans l'oubli depuis le superbe "The Art of Reflective Evolution" qu'il nous avait concocté voilà presque 5 ans, l'ancien collègue de mck2 se rappelle à notre bon souvenir. Autour de ses mots, d'un sifflement insouciant et de douces notes de guitare acoustique, Cadence agence une sérénade d'instruments à vent intrigante et irrésistible. Imparable.

Bien entendu, Cadence pêche un peu par gourmandise et aurait pu faire quelques coupes dans les 19 titres de ce second album "solo"; mais ce "State Lines" impeccablement produit s'impose donc comme un nouvel opus de valeur à ajouter au crédit de Cadence. Le leader de Raw Produce réussit son pari, en diversifiant subtilement son offre de production tout en restant fidèle à ses principes de base. Par nature différent de "Cadence Poisons The Minds of the Children", "State Lines" ne s'en inscrit pas moins dans la lignée directe des précédents travaux de Seth Boyd. Comme on l'espérait, il nous réserve donc bien plus de moments de grâce et de rencontres concluantes que sa pochette horriblement cheap ne le laissait présager. Il ne reste plus qu'à espérer que cet exercice de style réussi poussera désormais quelques pointures à faire appel à la sensibilité musicale et aux talents de réalisateur éprouvés de Cadence.

Cobalt
Février 2005
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Label: Domination Recordings
Production: Cadence
Année: Janvier 2005

01. Makin' It Sound Like The Intro
02. Take The Time [Cadence's Choice] (feat. Yesh)
03. It's Only Right (feat. Shorty Raw)
04. We Ain't Singin' (feat. Dooley-O & Jughead)
05. Flow Chart (feat. Raw Produce)
06. Cade Money On The Cut Pt. 1 [What I Believe]
07. A.T.F. [All Time Favorite] (feat. Eddie Meeks of Prophetix)
08. Beats, Rhymes And Life (feat. Lord Cyrus)
09. Deep Freeze (feat. Esoteric)
10. Perfectionist (feat. CMNR of Word Association)
11. Crash Thru (feat. O.U.O. & Zimbabwe Legit)
12. The Sky Is Falling (feat. Sev Statik)
13. Hard (feat. Jax & Flux of Binkis Recs.)
14. State Lines (feat. Mike G of the Jungle Brothers)
15. Gravy (feat. Mike Ladd)
16. Cade Money On The Cut Pt. 2 [Stages and Studios]
17. Patience and Persistence (feat. Quite Nyce)
18. Butterflies (feat. Paradigm)
19. Take The Time [Yesh's Choice] (feat. Yesh)

Best Cuts: 'It's Only Right', 'A.T.F.', 'Crash Thru'

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