Robust

Alors qu'on ne savait pas trop à quoi s'attendre, Robust nous a plus qu'agréablement surpris avec son récent album "Potholes In Our Molecules". Nouvelle figure de proue de Galapagos 4, le jeune emcee a en effet signé avec cet opus personnel et parfaitement équilibré l'un des albums les plus marquants de cette première moitié 2004, bien aidé dans sa tâche par un panel de producteurs en grande forme. Au passage, il s'est révélé comme un lyriciste à la plume mature alliant brillamment introspection et subtilités flowistiques. Alors qu'il s'apprête à débarquer dans nos contrées au mois de Juin avec ses collègues de label chicagoans, il était temps pour Hip-Hop Core de partir à la rencontre de ce emcee nomade et discret dont on entendra à coup sûr reparler dans les mois qui viennent. Entretien découverte. English version

HHC: En 2000, tu as sorti ton premier album "Freelance Gynecologist" en indépendant. Qu'est-ce qui t'a donné envie de suivre cette voie? Pourrais-tu nous parler un peu de ce LP au passage?



R: Ca fait des années que les artistes de Chicago sortent leur musique par leurs propres moyens, vu qu'on dirait que la plupart des labels installés hors de la ville n'apprécient pas vraiment la musique faite ici. Tous les artistes vendent eux-mêmes leurs disques des magasins du style de Grammaphone, etc. Du coup, j'ai sorti mon disque en indé tout simplement parce que ça me semblait la façon dont j'étais supposé faire les choses. J'ai gravé tous les exemplaires moi-même, je les ai vendu et j'ai récolté tout l'argent (ça représentait pas beaucoup). Mais, ça, c'est sans compter la partie où quelques années plus tard un camarade de chambre pas très clair a envoyé des copies de mon disque à son cousin à Los Angeles, qui avait un faux label pourri là-bas, appelé Unincorporated.org (ne supportez jamais ces bouffons). Ce mec a bootleggé je ne sais combien d'exemplaires de mon album là-bas et sur internet… Je n'aime pas dire du mal des gens mais ces gars n'ont rien à avoir avec le hip-hop, si ce n'est en se faisant sans remord de l'argent sur le dos d'artistes talentueux. Mais donc, pour en revenir au disque, "Freelance Gynecologist" est juste un truc de plaisantin que j'ai écrit quand j'avais 17 ou 18 ans. C'est beaucoup de trucs satiriques et quelques moments sérieux. C'est assez immature en fait. Mais ça correspondait bien à mon état d'esprit de l'époque…



HHC: Maintenant, tu en es déjà à ton second album. Pourtant, les gens te connaissent encore assez peu. Comment t'es-tu retrouvé sur Galapagos 4?



R: Mon pote Qwel m'a demandé de venir faire quelques trucs sur son album (ndlr: "If It Ain't Been In A Pawn Shop Then It Can't Play The Blues" sorti en 2001); ce que j'ai été honoré de faire. Au bout d'un moment, les gens de Galapagos 4 m'ont tout simplement demandé de faire un album chez eux. Ca m'a beaucoup aidé, parce que je suis quelqu'un de paresseux et que je déteste m'occuper de tout le côté business… Je préfère me concentrer sur la musique…



HHC: Comment as-tu abordé ce nouvel album "Potholes In Our Molecules" sachant que G4 allait te permettre d'être découvert par un grand nombre de personnes?



R: Ca n'a pas vraiment changé quelque chose en particulier. J'ai juste rassemblé des chansons sur lesquelles j'avais travaillé ces 3 dernières années… Certains titres sont de 2002; d'autres ont été enregistrés le jour où on a terminé l'album!



HHC: L'album est empreint de mélancolie et d'un bon nombre d'idées noires. Pourquoi?



R: Ce n'était pas calculé. Je ne voulais pas qu'il soit dépressif. C'est juste que je suis frustré par la façon dont vont les choses dans le monde et par le fait que tout le feint de l'ignorer. J'avais juste envie de pointer certaines choses du doigt… si tu vois ce que je veux dire.



HHC: Est-ce que tu penses vraiment, comme tu le dis sur 'Shoot The Bullfighter', "there's no chance to even save this place" (i.e. "il n'y aucune chance de sauver cet endroit" )?



R: Non… Je pense qu'il y a une chance… C'est une chanson qui date un peu en fait. Si tu écoutes 'Pessimist Recipe', ça parle de comment rien ne va bien pour ce mec et il ne fait que se plaindre, jusqu'à ce qu'il réalise qu'il doit être patient et confiant, qu'un jour les choses changeront…



HHC: Pourquoi tes titres comportent-ils si rarement des refrains?



R: Ce n'est pas voulu. Je prends chaque titre l'un après l'autre. Je laisse les choses se mettre en place d'elles-mêmes…



HHC: Il y a beaucoup de producteurs impliqués dans cet album…



R: Je voulais que tous mes potes obtiennent le respect qu'ils méritent. Il y a trop de musiciens hyper doués qui sont ignoré, dont certains que je connais et dont j'aime le travail. Chaque producteur amène une vibe différente et fait partie de mes producteurs favoris… Sunspark, Bles, Meaty, Prolyphic, Dwight, etc. Ces gars font des beats que j'écoute même lorsque je n'écris pas de rimes…



HHC: Pourtant l'album parvient à garder une réelle cohérence sonore avec des beats souvent downtempo et jazzy. Comment as-tu réussi à faire ça?



R: Je ne sais pas. Je sais les beats que j'aime et quand j'entends un son qui me plait je le prends…



HHC: Dans la liste des producteurs, on trouve Prolyphic qu'on connaît peu mais qui laisse une très bonne impression. Pourrais-tu nous le présenter un peu?



R: Prolyphic est un pote de Rhode Island. Il est vraiment méconnu et pourtant très doué. A la base, c'est un emcee qui a commencé à faire ses propres beats il y a quelques années. Il se trouve que nous avons des goûts similaires en musique. Pendant un moment, on s'est échangé par courrier des cassettes de nos travaux respectifs et on s'était promis de travailler ensemble. A une période, je me suis retrouvé sans domicile fixe et j'ai pris un train pour aller lui rendre visite, ainsi qu'à Bles. On a fait des titres ensemble et depuis on s'est un peu organisé… Il a un album qui va sortir bientôt (ndlr: "An Alarm Clock Set For 9:01" vient en effet de sortir sur Duck Soup Records) et si vous aimez ce qu'il a fait sur mon album vous adorerez ce que vous entendrez sur le sien…



HHC: Meaty Ogre produit aussi beaucoup de titres sur ton LP. On sent qu'il y a un bon courant qui passe entre vous depuis 'Flibbertigibbit'…



R: Meaty est le meilleur. Ce mec va être célèbre. C'est un des producteurs les plus originaux et "complexes" qu'il m'ait été donné d'entendre. Attendez un peu qu'il sorte tout ce qu'il a sous le bras…



HHC: "Potholes In Our Molecules" contient beaucoup d'interludes instrumentaux. Qu'est-ce qui t'a poussé à laisser ces espaces d'expression libre à tes producteurs?



R: C'est juste que j'écoute tout le temps des instrumentaux de mes potes et que je voulais qu'on les retrouve sur mon album.



HHC: Revenons un peu sur tes débuts. Comment se sont déroulées tes premières années au sein de la scène chicagoanne?



R: À l'époque, j'étais juste un jeune gars qui essayait de se faire un nom… de se faire des amis et de rencontrer d'autres artistes. Je ne peux pas me rappeler exactement des différentes étapes de mon parcours mais la vie m'a définitivement amené là où j'en suis aujourd'hui pour une raison.



HHC: Je sais que tu as travaillé avec les Molemen dans le passé. Ces dernières années, ils se sont imposés comme l'un des collectifs de producteurs le plus doué de sa génération dans le registre du boom-bap. Peux-tu nous dire quelques mots sur eux et ta relation avec His-Panik, PNS et les autres?



R: Ces mecs sont vraiment dope. Avant de les rencontrer, je n'avais pas de concepteur sonore et je rappais juste sur les plages instrumentales des disques que mes copains possédaient. J'ai vraiment eu de la chance de pouvoir rimer sur les beats des Molemen. Depuis, on a chacun tracé nos routes mais j'espère bien retravailler avec eux dans le futur. Ils m'ont appris beaucoup de choses.



HHC: Comment t'es-tu retrouvé au côté de Sage Francis sur son "Still Sick… Urine Trouble" il y a quelques années?



R: J'ai été à un de ses concerts quand j'étais plus jeune et, à la porte, ils ne me laissaient pas rentrer parce que j'étais trop jeune. En gros, le seul moyen pour moi d'entrer dans la salle, ça aurait été d'être un des artistes inscrits sur le programme de la soirée… ce qui n'était pas le cas. Toujours est-il que j'ai vu Sage à l'extérieur et qu'il a dit au videur que j'allais monter sur scène avec lui! Donc pendant son set, il m'a demandé de le rejoindre sur scène et de rapper avec lui. Je me rappelais tout juste quelques rimes. Je ne m'attendais vraiment pas à rapper cette nuit ou quoi que ce soit de ce style… Quelques mois plus tard, il m'a dit qu'il l'avait mis sur le CD! Voilà pour la petite histoire.



HHC: Quel est ton avis sur l'état de la scène hip-hop de Chicago?



R: J'ai l'impression qu'elle commence enfin à obtenir le respect qu'elle mérite. Je suis juste un peu triste pour tous les gars qui font de la musique ici depuis des plombes et qui n'ont toujours pas de reconnaissance ou de respect… Un jour, peut-être…



HHC: Au mois de Juin, tu seras en tournée en France avec le label Galapagos 4. Est-ce que tu connais quelque chose au hip-hop français?



R: Non… rien. J'avais entendu MC Solaar il y a longtemps mais c'est à peu près tout. Mais j'aimerais bien en savoir plus. Je suis sûr qu'il y a des bons trucs.



HHC: Sinon, t'écoutes quoi en ce moment?



R: Des disques de Meaty Ogre.



HHC: Tes projets?



R: Le prochain truc sur lequel je travaille, c'est un album que je fais avec Prolyphic… Lui à la production naturellement et nous deux au micro. Ensuite, Qwel, Rift Napalm, Mestizo et moi allons faire un album commun sous le nom de Spare Change.



HHC: Que représente le dessin qui orne la pochette de ton premier album?



R: C'est mon pote Josh qui s'est occupé de la pochette. Je l'ai juste laissé écouter la musique et je lui ai dit de faire ce qu'il voulait. Un autre copain a fait quelques dessins, comme les personnages qu'on voit sur l'album. Le petit mec qu'on voit au verso, c'est moi, en train de glander et de me la jouer relax. Pour le reste, c'est juste un mélange de différents animaux tous combinés ensemble.



HHC: Tu as traversé beaucoup de périodes difficiles. Comment ces moments durs ont influencé ta musique?



R: En fait, la conséquence, c'est juste que c'est plus dur de faire avancer les choses! Je n'ai pas de mecs qui s'occupent de tout pour moi. Beaucoup d'artistes ont des publicistes qu'ils paient 3000 $ par mois pour avoir leur visage à la une des magazines. Nous, nous n'en avons pas les moyens. On est simplement des artistes vraiment underground: on reste chez nous, on écrit des rimes et on fait des beats… On est tellement fauché… On a des problèmes au quotidien… C'est la première fois que je sors de mon pays, tu vois ce que je veux dire.



HHC: Je crois savoir que tu vas à nouveau travailler avec Prolyphic?



R: Ouais, cet été, dès que je suis de retour de la tournée, on va faire quelques trucs à Chicago. Je ne sais pas exactement vers quoi on va s'orienter, ni chez qui ça sortira cependant.



HHC: Quel est le sens de ce titre: "Potholes In Our Molecules"?



R: C'est juste à propos des erreurs qu'on fait et tout ça… Essayer d'en tirer les leçons et de s'améliorer au lieu de toujours avoir des regrets. Tout au long de la vie, il y a des gouffres, des coups durs mais tu dois faire avec. C'est si profondément ancré dans la vie que c'est dans chaque molécule. Le monde est parsemé de crevasses. Il est imparfait. Notre monde n'est qu'une parcelle qui s'est détachée d'une autre planète en vrai… Ce gros organisme sur lequel on vit n'est qu'un fragment d'une autre planète. L'album est aussi une sorte d'hommage à tous les artistes qui n'obtiennent pas le respect qu'ils méritent, qui n'arrivent pas à faire des concerts, etc.



Interview de Cobalt
Mai 2004

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