Rob Swift

Légende vivante du DJing, précurseur des albums de turnablism, leader de fait des X-Ecutioners, musicien à part entière, Rob Swift est un cas à part. Un artiste discret mais à la fois star de son art. Un turtablist évoluant constamment entre volonté de vulgarisation et de promotion de sa musique et expérimentations solo destinées aux puristes. La sortie récente d'un mix CD savoureux répondant au doux nom de "Who Sampled This?" semblait le bon moment pour qu'Hip-Hop Core s'entretienne avec cette figure de proue du deejaying. English version



Hip-Hop Core : Quand as-tu touché tes premières platines ?



Rob Swift : J'ai touché ma première paire de platines quand j'avais 12 ans. J'ai eu la chance d'avoir un père et un grand frère qui étaient tous les 2 DJs. Mon père avait un équipement haut de gamme à la maison et mon frère achetait les disques. Du coup, j'avais déjà à disposition tous les outils pour devenir un DJ.



HHC : Maintenant que, toi et les X-Ecutioners, vous avez tourné la page des battles, quelle est ton meilleur souvenir de ta carrière de compétiteur ?



RS : Je pense que le souvenir qui me tient le plus à cœur dans toutes les battles auxquelles j'ai pu participer, c'est ma victoire au championnat DMC de la côte Est en 1992. J'avais travaillé très dur pour gagner cette compétition et la compétition avait vraiment été rude cette année.



HHC : Pour beaucoup, le premier album des X-Ecutionners "X-Pressions" et ton solo "The Ablist" sont considérés comme 2 des plus grands albums de DJ's. Comment vois-tu ces albums personnellement ?



RS : "X-Pressions" et "The Ablist" auront toujours une place particulière dans mon cœur. "X-Pressions" était le premier album réalisé par un crew de DJ's. Je pense qu'on a brisé pas mal de barrières au sein de l'industrie du disque en faisant ça. Pour "The Ablist", c'était mon premier album en solo et j'ai eu la possibilité d'expérimenter et de tenter des choses que je n'avais jamais encore faites jusque là. Cependant, honnêtement, l'album dont je suis le plus fier maintenant est "Sound Event", mon dernier album solo. J'ai l'impression que, d'un point de vue créatif, il surpasse tous les albums de turntablism dans lesquels j'ai pu intervenir.



HHC : Rétrospectivement, que penses-tu de "Built From Scratch" (ndlr: second opus des X-Ecutioners) ? Cet album était très différent de "X-Pressions" ou même de tes escapades solo. L'aspect turntablism y est clairement moins important et on y retrouve une multitude de producteurs extérieurs.



RS : Avec "Built From Scratch", on avait voulu présenter l'art du DJing au grand public. Il y a encore plein de gens qui n'ont pas vu ou entendu parler du "turntablism" et nous essayions de les atteindre. Par le biais de nos collaborations avec Linkin Park, M.O.P., Everlast, DJ Premier, etc, nous avons pu donner à ces gens un aperçu de ce que sont le scratch ou le beat juggling. Notre prochain album, qui devrait sortir l'an prochain, ira plus loin que "Built From Scratch". On a le sentiment que maintenant les gens sont prêts à passer à l'étape supérieure et à voir que le DJing peut être une forme d'art. De leur côté, "X-Pressions" et "The Ablist" ont été composés pour ceux qui comprennent toutes les subtilités de notre art et qui sont déjà imprégnés de la "culture des platines".



HHC : Tu apparaissais dans le documentaire "Scratch". Même s'il est majoritairement considéré comme une référence, certaines voies s'élèvent et en critiquent certains aspects. Quel est ton avis sur le film ?



RS : Je pense que "Scratch" est un des films sur la culture des DJ's les plus importants. Les créateurs du film ont fait un super boulot pour faire découvrir le film et notre culture dans le monde entier.



HHC : Quel est ton avis sur l'état du turntablism en 2003 ?



RS : Je pense que le turntablism a beaucoup de potentiel actuellement. Ce Novembre avec les X-Ecutionners, nous étions partie prenante du Scratch tour au côté de Mix Master Mike, Jazzy Jay, Z-Trip et Q-Bert. Partout où nous somme passés, ça a été un succès. Beaucoup de monde est venu nous voir et c'est pour ça que j'ai le sentiment qu'une nouvelle révolution turntablist est sur le point de se produire.



HHC : Tu as été un des premiers à enseigner l'art du turntablism dans des classes à la fin des années 90. Est-ce que tu donnes toujours des cours ?



RS : Non. C'est pas que je ne veux plus mais je n'ai plus le temps en ce moment. Je passe la plupart de mon temps en studio ou en tournée. Mais, donner des cours sur mon art au lycée, c'est vraiment une expérience que je n'oublierai jamais.



HHC : Même si c'est un pas avant pour le DJing, au niveau de la reconnaissance en particulier, ne penses-tu pas que c'est aussi un frein à l'innovation et aux différences de styles ?



RS : Non. Je pense vraiment que c'est bien d'avoir des cours de DJing à l'école. L'important, c'est qu'il y ait un bon prof. J'entends par là quelqu'un qui va donner aux étudiants la possibilité d'être créatifs.



HHC : Idem pour les vidéos qui abondent aujourd'hui. Ne penses-tu pas qu'à cause d'elles beaucoup de DJ's utilisent les même techniques et ont du mal à se défaire des codes pour vraiment emmener leur art au niveau supérieur?



RS : Je pense que les battles enregistrés sur vidéos sont une bonne chose. Encore une fois, elles aident à promouvoir notre art auprès de gens qui n'ont pas forcément la chance de pouvoir voir des battles là où ils habitent. Cependant, il est important de rappeler aux aspirants DJ's qui possèdent des collections vidéo de malade que les vidéos ne sont que des outils d'apprentissage qui doivent les aider à se développer en tant que DJs… Et non pas à devenir des copies conformes.



HHC : Tu as l'air très proche du collectif Triple Threat et de sa définition du DJ ?



RS : J'aime ce que les DJ's de Triple Threat ont apporté au turntablism. A un moment, beaucoup de DJ's se concentraient sur les aspects techniques du turntablism. En conséquence, plein de jeunes DJ's pensaient que scratcher, faire du beat juggling, etc. était plus important que de savoir animer une soirée… alors que c'est l'essence même du DJing. Triple Threat a rappelé à tout le monde l'importance d'être un DJ complet et équilibré. Ils apprennent aux jeunes DJ's qu'il y a trois étapes dans le DJing : l'animation de soirées, les battles et la production.



HHC : Maintenant, parlons un peu de ta carrière solo sur disque. En 1997, ton mix CD "Soulful Fruit" était une des premières sorties de Stones Throw. Qu'est-ce qui t'a donné envie de faire ce genre de K7 ?



RS : En 1997, la plupart des mix tapes contenait uniquement la musique hip-hop du moment ou alors des classiques du genre. Quand j'ai décidé de faire ma propre tape, je me suis donc dit qu'il fallait que je fasse quelque chose de différent pour sortir un peu du rang. Du coup, j'ai fait une tape avec du rare groove et tous les types de musique que les artistes hip-hop aiment sampler.



HHC : Sautons quelques années en avant. Comment as-tu abordé "Sound Event" sachant que "The Ablist" était un disque important aux yeux de beaucoup ?



RS : Avec "Sound Event", j'ai voulu aller plus loin à partir des idées que j'avais introduites sur "The Ablist". Si je puis me permettre, je crois que "Sound Event" est un bien meilleur album que ce soit au niveau sonore, conceptuel ou même technique. Comme je te l'ai dit, je pense que "Sound Event" est mon meilleur disque jusqu'ici.



HHC : Qu'en est-il du mix CD "Under The Influence" que tu as fait récemment pour le label Six Degrees ?



RS : Six Degrees m'ont contacté en me disant tout le bien qu'ils pensaient de l'approche que j'avais eu avec mon premier mix CD "Soulful Fruit". Ils m'ont alors demandé si je pouvais leur faire un CD similaire pour leur label et j'ai accepté. Tuff City Records sont intervenus après en mettant l'ensemble de leur catalogue de disques à ma disposition. C'était cool parce que beaucoup de leurs archives contenaient des inédits de funk et de soul qui convenaient parfaitement au concept du CD que j'avais dans la tête.



HHC : Ces derniers temps, tu t'es aussi occupé de faire la musique de jeux vidéo et de projets télévisuels, je crois. Qu'est-ce que tu as apprécié dans ces nouvelles expériences ?



RS : En effet, avec les X-Ecutioners, on a fait la musique d'un nouveau jeu de EA Sports "NFL Street". C'était un vrai défi parce qu'il fallait qu'on travaille en respectant des paramètres très stricts. Mais en même temps on était content de ce challenge parce qu'on savait que ce serait une chance d'atteindre un public encore plus large. Sinon, j'ai autorisé l'utilisation de ma musique pour certaines pubs. C'est toujours bon à prendre parce qu'une fois encore ça permet d'exposer mon travail à plus de personnes.



HHC : Revenons-en à ton actualité la plus brûlante. Comment s'est faite la connexion avec Day By Day chez qui tu viens de sortir "Who Sampled This?".



RS : Je suis entré en contact avec Day By Day par l'intermédiaire d'un bon ami à moi, MF Grimm (ndlr: qui est justement à la tête du label). Dans le passé, j'avais produit quelques titres pour lui et on est devenus proches. Au printemps dernier, Grimm m'a dit que sa compagnie Day By Day Ent ertainment voulait sortir de nouveaux disques et qu'il voudrait bien sortir un truc à moi. Du coup, j'ai décidé de sortir mon nouveau mix CD avec son label indépendant.



HHC : Est-ce que tu penses refaire un jour un projet dans l'esprit de "Soulful Fruit"?



RS : Je sortirai toujours des mix CD's. Mais pas à l'identique de "Soulful Fruit" parce que je ne veux pas revenir en arrière… Je veux aller de l'avant.



HHC : Parlons un peu de tes collaborations. Comment se sont passées les retrouvailles avec avec Large Professor pour 'XL' sur "Built From Scratch" ?



RS : C'était vraiment un plaisir. On a créé le titre tous les 2 en partant de rien. J'étais là pendant tout le temps où il a écrit son texte et il était là pendant que je posais mes scratches. C'est une de mes chansons préférées.



HHC : Tu as aussi travaillé avec Herbie Hancock [ndlr: pianiste jazz légendaire, fondateur des Head Hunters et auteur du titre 'Rock It' qui a ouvert les yeux au monde entier sur le scratch en 1982] sur son album "Future 2 Future". Comment ça s'est goupillé ? Et comment t'es tu retrouvé à joué avec lui et Chaka Khan au World Economic Forum à New York ?



RS : C'était un vrai rêve pour moi de travailler avec Herbie Hancock. Je me suis retrouvé sur le projet par le biais de Bill Laswell qui est un ami commun. En ce qui concerne le WEF, je pense qu'Herbie m'a demandé de monter sur scène avec lui et son groupe parce qu'il pensait qu'avoir un DJ à ses côtés donnerait un côté original à sa performance. En tout cas, je n'oublierai jamais ce jour!



HHC : Comment as-tu rencontré Bob James [ndlr: pianiste jazz/fusion et accessoirement un des artistes les plus samplés de l'histoire] avec qui tu as récemment travaillé ?



RS : Comme pour Herbie Hancock, ça s'est fait par l'intermédiaire d'un ami commun. Cette fois-ci, Milan Simich. Travailler avec Bob, c'était aussi un rêve qui se réalisait.



HHC : Pour en revenir au DJing, que penses-tu de l'album de D-Styles "Phantazmagorea" ?



RS : Je connais D-Styles depuis des années. A mon avis, c'est un des 3 meilleurs scratchers au monde. Il est très funky et parvient à donner une musicalité aux scratches les plus techniques. Son album est un classique des albums de DJ's et tous ceux qui sont adeptes de turntablism devraient en posséder un exemplaire.



HHC : Parlons un peu de Rob Swift, le producteur. Peux-tu nous parler un peu de ta relation avec MF Grimm (ou désormais GM Grimm) ? Je crois que tu es supposé produire quelques titres sur ses projets à venir…



RS : J'ai rencontré Grimm en 1992 par le biais de Roc Raida qui était son DJ. Ca fait plus de dix ans que nous sommes amis. Je pense qu'il est un des meilleurs emcees underground. J'ai d'ailleurs produit beaucoup de ses premières chansons.



HHC : Tu travailles depuis longtemps avec le rapper Gudtyme. On le retrouve d'ailleurs à nouveau sur "Who Sampled This?". Va-t-il sortir un album ?



RS : Je pense que Gudtyme sortira un album un jour. C'est vraiment dur pour les MC's underground de percer dans l'industrie du disque parce que la majorité des labels veulent que tu sonnes comme quelqu'un d'autre. Cependant, Gudtyme écrit régulièrement et il sera prêt le jour où une opportunité se présentera.



HHC : En dehors de ça, est-ce que tu envisages de produire pour d'autres emcees ?



RS : J'adorerai mais je n'ai rien en projet pour l'instant.



HHC : Tu as produit la majorité de "X-Pressions", remixé quelques titres ici et là et travaillé avec quelques emcees mais on dirait pourtant que tu n'as jamais vraiment essayé d'être reconnu en tant que producteur en dehors de tes propres projets. Comment ça se fait ?



RS : Je pense que j'en suis toujours à un stade où j'apprends et où je grandis en tant que producteur. Le jour où je maîtriserai la production de la même manière que je maîtrise le DJing, je serai prêt à m'aventurer en dehors de mes projets solo et à me faire un nom en tant que producteur.



HHC : Quelques mots sur la pub Gap dans laquelle on a pu te voir…



RS : C'était une superbe expérience. Gap ont contacté mon agent de l'époque, Lan Phan (de Hype Entertainment), car ils souhaitaient avoir 2 DJ's dans une de leurs pubs. Mon agent leur a suggéré de prendre Shortkut et moi. Gap ont sélectionné un acteur qui s'appelle Shannyn Sossaman et qui est aussi DJ pour compléter le casting. C'est un des trucs les plus énormes auxquels j'ai participé dans l'ensemble de ma carrière.



HHC : Est-ce que tu suis toujours les évolutions de la scène underground ? Si oui, quel est le dernier disque que tu aies vraiment aimé ?



RS : Je suis toutes les scènes musicales qui m'inspirent. Pas uniquement l'underground. En ce qui concerne le hip-hop, en ce moment, je kiffe (ndlr: avec un peu de retard) le dernier album des Souls of Mischief.



HHC : En tant qu'adepte du vinyle, que penses-tu des logiciels comme Final Scratch ou encore des lecteurs CD permettant le scratch ?



RS : Je pense que toutes les technologies qui permettent à notre art d'aller plus loin sont bonnes. Que ce soit Final Scratch ou le nouveau CDJ-1000. Cependant, personnellement, je n'abandonnerai jamais mes platines.



HHC : En parlant de vinyle, quels sont tes disques préférés ?



RS : Juste pour en citer quelques-uns, je dirais "Are You Experienced?" de Jimi Hendrix, "It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back" de Public Enemy, "Raising Hell" de Run-DMC, et "Kind Of Blue" de Miles Davis



HHC : Parlons un peu de tes projets. Où en est l'album des X-Ecutioners?



RS : On est en train de le terminer en ce moment. Il devrait sortir l'an prochain sur Columbia Records. Il y aura des artistes comme Ghostface Killah, Cypress Hill, Black Thought et d'autres.



HHC : Et sinon, quels sont tes projets ?



RS : Je viens juste de commencer à bosser sur mon 3 ème album solo. Je suis sûr que ce sera un projet fou alors surveillez sa sortie.



HHC : Bon, l'interview arrive à son terme. Merci de nous avoir accordé cet entretien. Un dernier mot ?



RS : Mon dernier mot va à tous les gens qui continuent de supporter la turntable music! Peace.



Propos recueillis et traduits par Cobalt
Questions de Cobalt et Bachir
Décembre 2003

PS: Merci à DJ Fisher.

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