Ricci Rucker

Quoi de plus logique pour un webzine que d'interviewer le DJ le plus nerd de la planète? Apres avoir marqué la scène DJ avec son groupe Ned Hoddings et son désormais classique "The Scetchbook" (enregistré avec Mike Boo), Nicks est de retour avec l'expérimental et ingénieux "Fuga" qui est disponible depuis quelques semaines sur le label Alpha Pup Records de Daddy Kev. Le personnage reste fidele à lui même: complexe, "modeste" et définitivement nerd. A vous de juger! English version



Hip Hop Core: Peux-tu te présenter et nous en dire plus sur tes premières apparitions?



Ricci Rucker: Je m'appelle Ricci Rucker, je suis compositeur... Je suis là maintenant.



HHC: Quelles sont les différences entre Ricci Rucker, Nicks & Aliosity?



RR: Aliosity était un mec spécial qui venait chez moi pour scratcher… Aliosity m'avait expliqué cette idée de ne jamais compromettre son intégrité artistique. Tu vois, je délirais sur ce truc il n'y a pas très longtemps. Je n'ai pas repensé à cette époque depuis un moment. Puis je me suis mis à délirer sur le fait que les gens faisaient un tas d'histoires juste parce qu'Aliosity ne voulait pas être connu. C'est fou toutes les conneries que les gens ont dites à propos de ça. Nicks était mon nom de DJ… parce que tout le monde croyait que j'étais Aliosity. Ma technique de scratch a évolué progressivement jusqu'à devenir une façon de composer de la musique traditionnelle… Je compose beaucoup et aucun de mes morceaux ne ressemble à un autre, au niveau du son ; pourtant ils sont tous sont identiques au niveau du principe. C'est à cause de la mentalité du scratch.

J'utilise mon vrai nom Ricci Rucker, parce que je suis arrivé à un point où j'aurais beaucoup de surnoms pour aller avec les différents styles de musique que je fais. Je ne voulais pas faire ça au départ, j'étais plus intéressé qu'un grand nombre de gens issus de différents genres de musique connaissent un seul nom qui traverse les genres. L'idée est que les gens commencent à voir la philosophie universelle qui me permet de faire de n'importe quel style de musique, et de ne pas faire une sorte de "crossover" mais plutôt de la bonne musique avec différentes influences sur différents albums… Quand les gens comprendront ça, l'unité va se répandre, sans violence, les esprits et les cœurs vont s'ouvrir, et on peut apprécier n'importe quoi fait avec cette idée. Personne ne s'attribuera le mérite… C'est pourquoi cette histoire d'alias était folle, parce que ça m'a montré à quel point les gens sont égocentriques… Et si tu t'assois là-dessus, tu peux réaliser certaines choses. C'est comme un facteur d'honnêteté et le fait d'utiliser mon nom est symbolique du fait que je ne suis pas là pour embobiner les gens: c'est mon vrai nom et c'est de la vraie musique. C'est tout.



HHC: Comment les crews Ned Hoddings et Gunkhole ont-ils été créés? Comment est-ce que les rôles sont distribués pendant l'élaboration d'un morceau?



RR: Ned Hoddings a été créé par téléphone. J'ai d'abord appelé Mike Boo, je lui ai demandé ce qu'il pensait de faire un crew avec Toad et Excess, et puis Mike a appelé Excess, Excess a appelé Toad… Nous avons fixé une date à New York pour enregistrer. Ça a bien marché entre nous. Nous avons fait un concert pour la release party de "Phantazmagorea". Nous avons juste fait un autre concert au Japon, et il se pourrait que ça soit tout. Le nom officiel du groupe était "The Ned Hoddings Project" parce que c'était juste un essai pour le moment. Les gens ont essayé d'en faire Skratch Piklz Part 2, mais ça n'était pas du tout ça.

Gunkhole est venu juste après Ned Hoddings. Moi, Dave (D-Dtyles) et Mike avions tous envie d'aller plus loin. Je crois que nous nous sommes tous sentis un peu piégés par la routine du scratch… Je veux dire, j'étais le scratch drummer, et les gens devenaient fous, mais j'écoute de la musique pour de vrai, et je sais ce qu'il faut pour obtenir des niveaux d'énergie différents. Les scratch drums ne produisent pas cet effet tout le temps… Pour moi, les scratchs drums sont plus de la percussion… En fait je pense que la percussion sonne mieux scratchée sur des platines. Je ne dis pas que je ne peux pas assurer un show uniquement avec des scratchs drums, mais les faits sont les faits, les instruments et leurs possibilités n'ont pas été surpassés. En fait, Vestax sort une nouvelle platine, je crois qu'elle s'appellera "The Controller 1"… Pas sûr…, ça a l'air d'être vraiment génial. J'ai même entendu qu'ils avaient l'idée de mettre une fonction midi sur la platine pour te permettre de changer la sonorité sur la platine en un "auto analog pitch changing sound", donc ça sonnera comme un clavier avec arpège mais que tu peux scratcher. Donc tu peux ajouter tous les cuts et les phrasés que tu veux, mais quand tu laisses le disque aller, ça rejoue le motif, ça veut dire que tu pourrais laisser aller la platine, sauter à une autre, et faire un solo par-dessus tout ça, et imagine des pédales avec tous types de textures et pourquoi pas… toutes à travers des effets séparés… essaie de me dire que ça n'est pas génial… Je ne sais même pas si c'est l'idée, mais c'est génial aussi.

Nous avons fait quelques concerts avec juste les platines, les boites à rythme et les "sound modules". Nous avons ensuite réalisé qu'ajouter des percussions live permettrait aux DJ's de devenir trois lignes mélodiques principales fonctionnant comme une seule. Nous faisons toujours ça depuis. Le DVD Gunkhole va bientôt sortir, et la seule chose que je puisse dire, c'est que c'est similaire à la façon dont les gens voyaient Sun Ra dans le jazz. Nous avons une approche plus diverse en terme d'influence, donc ce n'est pas un son Sun Ra, mais le show a des moments complètement fous qui vont au delà du GROS SON… Je ne pense pas que les gens peuvent comprendre à quel point le show était barré avant de le voir. C'était complètement improvisé.



HHC: Pour de nombreux auditeurs, "The Scetchbook" est le manifeste d'une nouvelle ère, d'un turntablism plus musical. Comment est ce qu'un tel projet a été créé?



RR: Mike Boo et moi étions frustrés par la façon dont le turntablism était vu, donc nous y avons fait quelque chose.



HHC: Avec le recul, qu'est ce que ce projet t'a apporté?



RR: La réalité de l'industrie du disque.



HHC: Où peut-on se procurer à l'heure actuelle "The Scetchbook LP"?



RR: Je ne sais pas.



HHC: Pourquoi est-il si difficile à trouver?



RR: La réalité de l'industrie du disque.



HHC: Pourquoi as-tu voulu apporter des séquences de scratch "off-beat"?



RR: La plupart des gens ne le voit pas de cette façon. Si c'est de cette façon que tu vois "The Scetchbook", alors tu ne sais pas comment il a été fait. J'ai tant de styles de musique. Tu dois garder à l'esprit que C'EST DU SCRATCH, et la nature du scratch est de ne pas avoir le même flow que les autres instruments, parce que ça ne se joue pas de la même façon. Différents styles de production te donnent des flows différents, mon centre d'intérêt en tant qu'artiste est de prendre tous ces flows différents et de créer continuellement de nouveaux mélanges. "The Scetchbook" n'est pas vraiment un album, voilà pourquoi il a été appelé "The Scetchbook". Mon premier album devait être envisagé comme ce qu'est l'art véritable, et c'est progressif.



HHC: A quel MC comparerais-tu ton "flow"?



RR: Aucun rappeur en termes de flow ou de style... En termes d'audace, j'aime Baatin, il faisait partie de Slum Village. Je suis en train de travailler avec lui… Il a son propre langage. J'attendais un rappeur assez audacieux pour rapper avec des sons et pas seulement avec des mots. Quand les gens arrêtent d'écouter autant de mots, la musique en général est meilleure. On devrait arrêter de faire de la musique avec des mots tout le temps. N'est-ce pas la raison pour laquelle la musique est universelle, parce qu'elle n'a aucun mot? Moins de mots, plus d'émotion.



HHC: Tu as collaboré avec Ghostface pour Sound In Color, peux-tu nous parler plus précisément de cette rencontre et nous dire qui en est à l'origine?



RR: Le mec du label O.X. Je n'ai jamais rencontré Ghostface, je n'approuve pas non plus la cocaïne préparée sur des réchauds portatifs… Je voulais juste être le premier à faire un morceau de scratch pour un rappeur de major… au son sale…



HHC: Te sens-tu turntablist-instrumentaliste ou producteur dans ce genre de collaboration? Envisages-tu de travailler à nouveau avec des MC's?



RR: Je travaille avec des emcees, je travaille avec des chanteurs, je travaille avec beaucoup de gens… Je fais beaucoup de musique.. Le truc c'est que beaucoup de mon travail n'est pas sorti au bon moment pour vous permettre de voir ce qui se passe vraiment. Les choses changent, bien sûr… Et je n'aime pas trop parler de ça. Tout ce que je peux dire c'est : "gardez les oreilles ouvertes".



HHC: Quel était le but de "Fuga"? Que penses-tu avoir apporter avec cet album?



RR: C'était pour envoyer un message à tous les gens qui pensaient que "The Scetchbook "était simple et réalisé à partir de séquences de scratchs programmées. En fait , cette merde était sérieuse. J'ai fait "Fuga" pour être sûr que tout le monde comprenait le niveau de concept de mon travail. Je l'ai fait quelques mois après l'achèvement de "The Scetchbook". Les gens trouvent "The Scetchbook" simple, alors que vraiment ce truc est un des trucs les plus difficiles que j'ai jamais fait (en terme de difficulté par variable, de recherche de samples, de scratches, de "comment faire tout fonctionner au final", etc.). La prochaine fois que je fais un album entièrement de scratch, je serai vraiment prêt pour encaisser la somme de tension que cela provoque en moi. "Fuga", c'est la même chose, mais au lieu de cacher la folie, je l'exploite. J'ai supprimé la limitation de n'avoir à utiliser qu'un élément (juste le scratch), et au lieu je n'avais aucune règle. Cela m'a permis de "couler" plus facilement, et je n'ai plus utilisé de limitation depuis.



HHC: Même si nous en doutons un petit peu, le booklet de "Fuga" révèle que tu as travaillé avec près de 20 musiciens. Comment les as-tu dirigés? Qui sont-ils?



RR: Ce sont des amis… et la seule cause de suspicion tient dans le fait que j'ai dit aux gens que je n'avais pas fait appel à des musiciens, et qu'en fait j'ai fait appel à eux… D'une façon ou d'une autre, j'ai dit le vrai et le faux, et c'est aussi pour montrer à quel point "Fuga" est insaisissable. Un autre niveau pour le concept de cet album, comment on fait de la musique, qu'est ce qui peut être fait avec ces méthodes, etc.



HHC : La couverture de "Fuga" est très sobre, en opposition totale avec la façon dont les gens te voient…



RR: Cet album est complètement fou, et aucune image ou représentation autre que le mot lui-même ne peut décrire le genre de choses que j'essayais de représenter par le son. Ça fait longtemps que je cherchais un artwork pour ce disque, et j'ai réalisé que chaque représentation donnerait à voir une image qui ne pourrait jamais englober entièrement la musique. La couverture est très banale et basique parce que les couleurs de la musique sont diverses. "Fuga" veut dire "fuite". Si tu t'échappes, tu le fais par liberté… Tu es aussi libre de choisir comment tu vois et entends la musique. Souvent les couvertures indiquent la tonalité de la musique, et dans ce cas, la musique est tellement neuve, qu'aucune couverture faite pour essayer de reproduire visuellement le son ne pouvait lui faire justice. C'est comme trouver un livre génial avec la couverture la plus terne. La magie n'est pas sur la surface, donc il était inutile d'essayer de faire quelque chose de joli… Les seuls visuels que je pouvais imaginer pour cet album auraient du être des visuels en mouvement. J'ai le projet de tourner un court-métrage ou une vidéo pour l'album bientôt.



HHC: Pourquoi as-tu décidé de sortir "Fuga" sur Alpha Pup Records?



RR: Daddy Kev sait comment produire et vendre un disque et il m'a contacté. Je fais complètement partie de la scène, j'ai des contacts avec tous les principaux labels, les artistes… Kev connaît son truc. Mes relations avec les artistes sont toujours professionnelles. Je ne me reconnais pas forcément dans les artistes signés sur le même label que moi. Je ne suis pas signé sur un label, et je n'essaye pas de l'être. Je travaille sur 4 albums et je viens juste d'en finir 3 autres ("Rrrrap", "Poly", et "The Teeter Totters"). La vérité est que je n'aurais pas été en mesure de sortir "Fuga" dans les bonnes conditions tout seul, je suis trop occupé à faire de la musique.



HHC: Pourquoi ne cesses-tu d'être en beef?



RR: Si la vérité est source de beef, alors je continue à être en beef.



HHC: Je crois que tu as une opinion spéciale de DJ "Grand Master" Q-Bert…?



RR: Je n'ai aucun problème avec Q. La vérité, c'est que de nombreux gamins lobotomisés me voient comme un style alternatif défiant Q. Ils en ont fait tout un drame. La vérité c'est que je vais bien plus loin que le niveau de Q. Je ne fonctionne même pas sur la scène du turntablism comme ça, je gagne ma vie à faire des albums pour des labels, et pour moi. Je suis un compositeur qui fait du scratch, je ne suis pas un pur scratcher qui essaye de composer.



HHC: Avec son propre style, le crew Birdy Nam Nam semble avoir une approche similaire à Gunkhole, quelle est ton opinion à propos de ce crew français?



RR: Personne n'a une approche similaire à Gunkhole… Encore une fois, laisse moi te dire, le public est des années derrière ce qui se passe vraiment. Ce n'est pas de la musique normale, c'est une nouvelle musique qui change CONSTAMMENT. Il y a tant de choses qui n'ont pas été faites, le concept de faire ces choses est à l'échelle d'une vie humaine. La nouvelle génération peut amener ces idées vers d'autres endroits, aussi bien que continuer à faire ce que nous faisions, ce qui était un continuum venant de la "battle scene".



HHC: D-Styles sera sur le prochain album de BNN, as-tu entendu ce qu'ils ont enregistré ensemble?



RR: Et Mike Boo aussi… et non, je n'ai pas entendu ce qu'ils ont enregistré.



HHC: T'ont-ils contacté pour ce projet?



RR: Je devais venir en France, Mais je n'avais pas trop envie de prendre un avion (même si le voyage était payé) pour faire un morceau avec des gens avec lesquels je n'avais aucune relation musicale, pas même sur Internet. Je ne savais rien de leur musique. Je ne voulais pas qu'ils aient payé pour que je vienne, parce que je me serais senti obligé de faire de la musique, et je ne pense pas que la musique doive être faite par obligation.



HHC: Certains disent que tu as eu un clash avec DJ Need de BNN, pourrais-tu nous en dire plus?



RR: Ouais… Il était chez moi, et il a essayé de coucher avec ma copine, je lui disais "mec… ne fais pas ça…!", il m'a répondu "et alors, mec ?" et je lui ai dit "Mec, tu dois partir… et ton scratch, c'est de la merde, c'est de la merde!!". Voilà ce qui s'est passé.



HHC: Tu as tourné dans toute l'Europe avec Gunkhole, l'année dernière, qu'as-tu appris de cette expérience? Y-a-t'il une différence entre les publics européens et américains ?



RR: Sans aucun doute, les Américains sont lobotomisés par les média américains qu'ils croient aveuglement, comme si c'était parole d'évangile. En Amérique, les gens en fait vivent et respirent cette merde. J'ai retiré la télévision de ma maison, je n'écoute plus la radio ni ne regarde la télé à cause de ses propriétés de lavage de cerveau. J'ai étudié les tons, mauvaises nouvelles, et personne ne peut résister à son impact… C'est la nature par laquelle les sons créent l'humeur. C'est pourquoi la musique "jiggy", Jerry Springer, et les mauvaises ondes sont les plus populaires en Amérique. L'Amérique est en train de mourir rapidement… la nourriture… tout… les gens sont drogués mentalement et physiquement. Ils passent même de la télé-réalité pour convaincre les gens que la réalité est à la télé. En Europe, ils ne sont pas aussi pris par ça, donc être curieux et écouter n'est pas autant un problème. Je vais probablement finir par m'installer en Europe, ou quelque part en dehors des Etats-Unis dès que je pourrai.



HHC: As-tu entendu des morceaux du prochain album de ton pote Mike Boo? Que pouvons nous attendre de "Dunhill Drone Committee"?



RR: Entendu des morceaux? Mike est mon pote… C'est le mec avec qui j'ai commencé à faire des trucs dans la musique. J'ai écouté son album, et pour moi, c'est très beau, complexe, délicat, et dur en même temps. Je l'adore. C'est comme un "The Scetchbook" mature avec un thème… Je peux facilement me perdre dans cet album.



Propos recueillis et traduits par Kreme
Questions de MC23 et Bachir
Juin 2005

PS: Merci à T. Leclerc.

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