Oxmo Puccino

S'il ne fallait retenir qu'un album de rap français dans la masse des sorties de ces dix dernières années, pas de doute, ce serait "Opéra Puccino". Monument de l'hexagone rapologique, œuvre dense et lyrique aux résonances multiples, point culminant et en même temps acte de décès de l'inégalée vague Time Bomb, "Opéra Puccino" reste plus que jamais d'actualité à l'heure où le rap français commence tout juste à retrouver son souffle. Traçant sa route en dehors des sentiers battus et des modes, préférant rester dans l'ombre plutôt que de se compromettre, Oxmo est définitivement un artiste rare. Après un second album "L'Amour Est Mort" (largement incompris et trop vite rangé au placard) et une longue période de silence, le plus grand lyriciste français revient dans les bacs le 13 Avril avec "Le Cactus de Sibérie"… A l'occasion de son passage à Lyon le 2 Avril dans le cadre de sa tournée nationale avec Triptik (et du festival L'Original 84-04), Hip-Hop Core se devait donc de rencontrer l'incomparable O.X.M.O. pour parler un peu de ce troisième album attendu mais aussi du parcours étonnant de ce rapper hors-normes. Entretien détendu avec l'esthète du verbe Oxmo quelques heures avant son entrée en scène.



Hip-Hop Core : Mort, rêves brisées, trahison : tes textes sont souvent sombres. Pourquoi une telle noirceur et une telle mélancolie ?



Oxmo Puccino : Parce que le monde est comme ça pour commencer… Si tu te mets sur LCI, tu vas flipper de ce qu'ils vont annoncer. Il y a toujours une guerre quelque part, des enfants qui meurent, des enfants qui tuent, des gens malades. En fait, je vois le monde tel qu'il est et s'il y a cette mélancolie dans mes textes c'est parce que j'aurai peut-être aimé que ça se passe un peu mieux pour tout le monde. Mais, pour "Le Cactus de Sibérie", le troisième album qui sort le 13 Avril, je relativise tout ça pour essayer de composer avec. Parce que, finalement, tu peux fermer les yeux mais tu ne pourras pas fuir ce monde. Donc j'essaie de tourner les choses de manière à ce que ce soit mieux accepté. Si on ne peut pas guérir de ses maux, il vaut mieux vivre avec.



HHC : Toi qui t'es fait une renommée par le biais des mixtapes et des compilations, que penses-tu du fait que de moins en moins d'artistes passent par ce circuit et par une phase de maturation avant de se lancer dans le grand bain avec un album ?



O : Je dis que c'est une grosse erreur déjà, à moins d'être le meilleur rapper du monde. Parce que tu ne peux pas débarquer comme ça de nulle part et t'imposer… Tu retournes direct dans l'oubli. Il faut s'introduire, marquer l'esprit des gens et ça prend du temps. Ca s'apprend. C'est beaucoup de travail, de morceaux. Je connais peu de personnes qui sortent un truc de nulle part et qui arrivent à revenir. C'est pas comme ça que ça se passe. Les gens qui arrivent sur la scène comme ça, ils sont marrants…



HHC : Je déjeunais avec un ami l'autre jour et il m'a dit qu'avant même la sortie de ton premier album, tu disais déjà que tu avais arrêté le rap. J'ai lu une interview aussi où tu disais que tu avais plus ou moins arrêté de rapper après "L'Amour Est Mort". On dirait que c'est une constante chez toi, cette envie récurrente de raccrocher les gants. Pourquoi?



O : Le truc, c'est que t'es toujours tiraillé entre la passion et le travail. Avec tout ce qu'il y a autour: les déceptions, la fatigue, le stress... C'est pas comme faire un morceau pour une mix-tape. Quand tu fais un morceau pour un disque qui doit être vendu et que t'as signé en maison de disques, c'est lourd à porter. Surtout que, moi, j'ai jamais choisi ce métier là. J'ai été là où la vie m'a entraîné. Le rap, je pensais pas du tout en faire un métier. Donc, là, je gère mais quand il sera le temps de trouver un métier je tournerai la page.



HHC : Attention, question philo. Ton second album s'appelait "L'Amour Est Mort" et tu enfonces un peu plus le clou sur ce point dans le nouvel album. Nietzsche disait que Dieu est mort. Si ces 2 conceptions sont vraies, qu'est-ce qui reste à l'Humanité pour toi ?



O : Je sais pas pourquoi Nietzsche a dit que Dieu est mort… Moi, je suis pas d'accord. Ca serait vraiment prétentieux de croire qu'on est les seuls dans l'Univers et qu'il n'y a rien au-dessus de nous. Je suis africain d'origine et j'ai conscience du spirituel et du surnaturel donc je ne pense pas que Dieu soit mort. Je pense que Nietzsche avait tort. Je pense qu'il n'était pas africain. (sourire)
Par rapport au fait que l'Amour est mort, je l'entends plus comme un message d'alerte qui met en évidence les motivations de ce monde, le fait que la nécessité efface parfois l'Amour, le manque de compassion à l'égard de son prochain… toutes ces choses que tu vois sans les comprendre, toutes ces situations dans lesquelles on peut se mettre et qui débouchent sur des choses qui nous dépassent… les divorces, la souffrance, les meurtres, la pédophilie, l'inceste… Tout ça, c'est des choses que je comprends pas et la seule raison que j'ai trouvée à tout ça, en dehors de la folie, du plaisir et du vice, c'est que l'Amour est mort. Pour simplifier la chose, c'est parce qu'il n'y a plus d'Amour que des choses comme ça se passent. A mon avis, ça a toujours été comme ça. Par exemple, si tu regardes un peu comment ça se passait au temps des Egyptiens, tu vois que l'esclavage n'a pas commencé avec les Américains... L'Amour est mort à la naissance de l'Homme.



HHC : Pourquoi avoir fait le single 'Avoir Des Potes' après une longue période de silence suite à la sortie de "L'Amour Est Mort"? La tonalité du titre avait plutôt surpris (voire déçu) tes fans. Quel était ton but?



O : Tu choisis peu en vérité. C'est un truc que j'ai appris avec le temps. Tu fais et t'attends que ça se passe ou que ça se passe pas. J'ai fait des morceaux que j'ai écrits en six mois que les gens ne connaissent pas alors qu'un morceau comme 'Avoir des Potes' je l'ai écrit en dix à quinze minutes. Je n'étais plus du tout dans le rap à cette époque-là en fait. J'ai un pote qui m'a appelé alors que j'étais chez moi en train de glander. Je répondais même plus au téléphone donc je pouvais mettre 2 ou 3 semaines pour avoir un message de quelqu'un. Donc j'ai vu un pote de mon quartier qui m'a dit: "Y a Rico qui est en Martinique et qui cherche à te joindre". J'ai joint Rico. Il m'a dit qu'il faisait un album de guitariste et qu'il aimerait bien que je fasse un morceau pour lui. J'étais avec lui au collège. Je lui ai demandé où ça allait sortir et il m'a dit que c'était un projet indépendant, qu'il avait trouvé un producteur avec qui il s'entendait bien et qui allait le sortir pour les Iles. Donc je me suis dit: "Pourquoi pas?". En plus, c'était le carnaval là-bas alors qu'il faisait 2 degrés ici… En vérité, c'était la principale raison de mon voyage. Donc, entre 2 défilés, on a été en studio poser un couplet. Il a joué la mélodie le matin chez lui. Après, je suis rentré et le morceau n'était pas fini parce qu'on avait travaillé que 2 jours dessus. Du coup, on a travaillé via internet par mp3 et, à force de va-et-vient, il est tombé sur l'ordinateur de Benjamin (le boss de Delabel) qui a kiffé… Et voilà, c'était le toboggan. Le morceau a tourné en radio; on a fait le clip; Urban Peace et ainsi de suite. Donc, ce morceau, il m'a fait ressortir de l'ombre en quelque sorte. Je me suis retrouvé porté, sans nécessairement avoir l'envie, et j'ai eu des petits projets comme ça ('Tarif C' sur Taxi 3 ou 'Derrière les Projecteurs'). Et puis, à un moment, le management et mes potes m'ont dit: "écoute, essaie de rentrer en studio". J'ai fait 3-4 morceaux et hop! C'était reparti sur l'album.



HHC : Sur 'Black Desperado', extrait du nouvel album, tu donnes ton avis sur la situation actuelle du rap français. Ta vision est plutôt dure. Pourtant, est-ce que tu ne penses pas qu'après une longue période de creux artistique, une fois la déferlante Time Bomb passée, il y a à nouveau un semblant de renouveau avec les artistes qu'on peut retrouver sur "Maximum Boycott" par exemple?



O : C'est net que ce que fait cette nouvelle vague est super positif. Mais je sais pas si on peut vraiment parler de renouveau. Parce que ceux qui tiennent encore les rênes, ce sont les anciens. C'est les mecs comme 113 (qui aujourd'hui sont des anciens), Mafia K'1 Fry, les Sages Po', Kool Shen (qui va sortir son album)… des mecs qui sont là depuis longtemps. On voit qu'il y a du développement en souterrain. On voit que ça fourmille, ça bouillonne. Tout le monde fait des petits projets et essaie de monter des choses (comme le projet de Kery James). Ca, c'est super positif. Moi, ma critique est plus portée sur la partie la plus visible du rap français et par rapport au fait que ça manque d'organisation. Mais c'est pas nouveau. Au moment du passage entre le rap indépendant et le rap "commercial", quand il y a eu plein de signatures à tire-larigot, ça a été mal géré et c'est ce que je reproche un peu. L'autre jour sur Générations, il y avait un débat super intéressant où ils disaient que certaines radios avaient abîmé le rap par leur programmation mais que beaucoup d'artistes avaient de leur côté fait des morceaux formatés. Donc les torts sont partagés. Les artistes auraient dû se démener pour améliorer le format, monter son niveau.
Ce qui me gêne dans les artistes d'aujourd'hui, c'est que la majorité de ceux que j'entends arrivent avec le style des anciens. Je trouve ça dommage que la motivation ne soit plus de faire des trucs que personne n'a jamais fait. Quand j'ai commencé dans le rap, dès que tu faisais un truc que quelqu'un avait déjà fait, on se foutait de ta gueule.



HHC : Est-ce que tu es nostalgique de cet état d'esprit qui régnait en maître au moment de l'épopée Time Bomb?



O : Archi pas. Je trouve que je m'en sors bien. C'est une mentalité qui justement me fait faire la différence aujourd'hui donc je ne suis pas nostalgique. Mais je trouve ça dommage pour les autres. Parce que, moi, j'arrive à prendre du plaisir dans ce que je fais.



HHC : Pour "Le Cactus de Sibérie", j'ai entendu dire que tu avais posé la majorité de tes prises en une seule prise. Est-ce que c'était en quelque sorte une façon de revenir aux bases du hip-hop?



O : En fait, j'aime bien cette façon de faire. C'est spontané ; comme à la radio. J'aime bien donner cette impression quelques fois sur un morceau. Il y a des gros rappers américains qui m'ont impressionné dans le passé. Je voulais ramener un peu ce genre de feeling. Maintenant, avec Pro Tools, c'est plus pareil… Mais en plus tu gagnes du temps en rappant en one shot. Sur l'album, il y a quelques morceaux qui sont groupés parce que parfois j'étais trop fatigué après avoir fait 20 morceaux… Mais, je préfère clairement le one shot.



HHC : Tu es un des rares rappeurs français à avoir une plume et un vrai talent d'écriture. D'où tires-tu ton goût pour les mots? Est-ce que tu lis beaucoup? Je vois que tu as un livre à côté de toi…



O : J'ai plus un travail de réflexion que d'écriture en fait. Je réfléchis beaucoup à ce que je vais écrire avant d'user de l'encre. Mais j'ai toujours lu, depuis tout jeune. Que ce soit les livres, les magasines, je passe mon temps à lire… Je regarde pas la télé. Niveau lecture, mes références actuelles, ce serait Chester Hines, Victor Headley, Donald Goines…



HHC : Toute la littérature noire américaine en gros…



O : Ouais, en ce moment, je lis beaucoup ça. Mais sinon je m'ouvre à d'autres livres comme un peu toutes les grosses sorties littéraires actuelles, les trucs à grand tirage. J'essaie de voir comment c'est… mais ça me plait pas plus que ça. Et puis il y a les trucs comme Victor Hugo et compagnie qui font toujours partie de mes références.



HHC : Et est-ce que tu penses en tirer quelque chose au niveau de ton écriture?



O : Ouais, quelques fois, il y a des expressions, des descriptions ou des remarques qui me frappent et je les garde. Avant, je les notais. Maintenant, je les garde dans un coin de ma tête… Un peu comme pour les dialogues de bons films. Je retiens aussi les conversations entre amis. Beaucoup de gens disent des trucs intéressants à l'occasion.



HHC : Tu n'hésites pas à aborder les sujets sous l'angle de l'émotion, du sentiment… Est-ce que ce n'est pas un peu ça qui manque au rap actuel justement? En dehors du texte pour la maman réglementaire, nombre de rappers français sont prisonniers de clichés racailleux… Comme tu le disais, "Trop de rappeurs décrivent une vie grise / Des violons qui font pitié, écrivent comme Anne Frank".



O : C'est ça. Ce que je reproche, c'est que les mecs ils n'ont pas la générosité qu'auraient certains rappers américains, à donner pour le public. Quand j'écris, je pense à ce que je vais penser de moi mais je pense aussi à ce que mon pote il va penser de mon texte et, par extension, son pote et, encore par extension, tout le monde. Parce que t'écris pour les gens. Mais j'ai l'impression qu'il y en a beaucoup qui écrivent pour eux, pour se mettre en valeur ou pour affirmer quelque chose ou je sais pas quoi. Moi, j'écris pour partager avec quelqu'un. J'écris pour que tu m'écoutes rapper, pour que tu kiffes; pas pour que tu m'entendes raconter ma vie. J'essaie de partager quelque chose avec mes auditeurs, de les faire kiffer tout en les faisant réfléchir (si c'est possible).



HHC : Toujours à propos de tes textes, tu disais "Nous savons tous que personne ne guérit de son enfance" . Tu peux développer?



O : On m'a dit que la plus grande partie de ton mental se faisait pendant les 4 ou 5 premières années de ta vie. C'est sûrement vrai parce qu'il y a des habitudes que j'ai qui ne me quittent pas et que ça doit venir de là. A un certain âge, tu peux relativiser mais il y a des souffrances que tu as pu avoir jeune et que tu ne peux jamais oublier, qui peuvent marquer toute ta vie.



HHC : Pour en revenir à tes débuts, tu t'es fait connaître avec des textes scénarisés comme 'Pucc Fiction'. Qu'est-ce qui t'avait attiré là-dedans?



O : Ben, déjà, comme on le disait tout à l'heure, le fait que ça n'avait jamais été fait et que ça m'amusait vraiment de rapper les choses que j'imaginais sur une musique de rap, à l'image de mecs comme Kool G Rap et des mecs qui te racontent des trucs de fou style: "j'ai mis ma veste en cuir, j'ai sorti 2 flingues…".



HHC : Comme tu aimes bien les histoires cinématographiques justement, est-ce que tu n'as jamais envisagé de faire une sorte de concept album, de "hip-hopera"? Il y a pas mal de références dans ce genre aux USA mais en France aucune qui tienne vraiment la route…



O : Si. J'y ai pensé. C'est possible mais ce serait assez compliqué. J'avais essayé de faire ça de façon poétique sur "L'Amour Est Mort" mais j'avais fini par mettre trop de morceaux et par perdre le fil. Mais je vais peut-être recommencer un de ces 4 sur un petit projet. J'avais pensé à un petit album, un mini-album avec 6 morceaux qui se suivent de manière thématique, qui racontent une histoire.



HHC : "Beaucoup de groupes de rap, rock restent rarement unis / Question de chiffres inégaux groupies ou roupies, et des vies se loupent" : c'est ça l'histoire de Time Bomb?



O : Nous, on n'avait pas de groupies et on n'avait pas de roupies mais c'est sûrement ce qui serait arrivé si on était arrivé au-dessus. Par extrapolation. Je vois déjà ce qui est arrivé alors qu'on n'avait rien du tout alors imagine avec tout ça…



HHC : Toujours en parlant de cette époque-là, qu'est-ce qui a inspiré la création du Gang des Millionaires au départ?



O : C'était un truc qui me faisait rire. Ca me faisait penser à Picsou, au Club des Millionaires où tu ne pouvais rentrer que si t'étais millionaire. Moi, à l'époque, j'avais pas un rond et ça me faisait rigoler de m'appeler millionaire… et encore plus Black Millionaire. Avec Mars, c'était notre club. C'était notre délire entre amis.



HHC : Comment est-ce que tu vois tes 2 premiers albums avec un peu de recul? Si tu pouvais modifier quelque chose sur chacun d'eux, que ferais-tu?



O : Le premier album pour moi, c'est comme une date. Tout a été très très vite. Dans mes souvenirs, le studio et la promo se sont déroulés super vite. Ma vie a changé très brutalement. Le deuxième album, je le vois comme un gros sacrifice parce qu'il a été très très difficile à faire. Il a été "bénévole". Il a été lâché dans l'air comme ça. C'est un album flottant… Là, avec le troisième album, je suis content. C'est le fruit de beaucoup de travail, de collaborations, de concertations, d'ententes (peu de mésententes). En plus, je suis sur scène, je le fais vivre, donc c'est totalement différent. C'est comme un premier album.



HHC : Selon toi, quelle est la grosse différence entre ce nouvel album et les précédents justement?



O : Déjà, j'ai évolué dans le "positivisme" parce que mes textes sont certes sombres mais porteurs d'espoir, de manière plus évidente que dans mes précédents morceaux. Les musiques sont plus pêchues, plus entraînantes, plus scéniques et j'en retire plus de plaisir, je dirais.



HHC : Comment as-tu vécu les critiques vis-à-vis de la production de "L'Amour Est Mort "sachant que tu t'étais beaucoup impliqué?



O : Ca a été difficile parce que je pensais que les gens allaient comprendre un peu la face cachée de l'iceberg et ça s'est pas du tout passé comme ça. Le peu de gens qui ont écouté ont donné des mauvais avis, l'ont propagé et ça a fini par être répété par des gens qui n'avaient pas écouté l'album. Ca m'a fait beaucoup réfléchir. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai rien fait après, parce que je me suis dit que ça ne servait à rien de faire des trucs, de se prendre la tête, pour passer pour un con. Je me suis dit que j'étais peut-être à côté de la plaque…



HHC : En même temps, c'est peut-être aussi que les gens n'ont pas pris le temps de vraiment écouter l'album. Il y a quand même quelques chansons encore plus fortes que sur "Opéra Puccino" : 'J'Ai Mal Au Mic', 'A Mon Enterrement'… C'est dommage qu'elles n'aient pas été mises plus en avant plutôt que 'Fais-le Pour Moi' qui semble vraiment être une erreur de choix...



O : Ouais, moi aussi, j'aime beaucoup les titres que tu cites. Le choix de 'Fais-le Pour Moi' comme premier single, c'est le fait de la maison de disques. Ils ont pris le titre avec un refrain chanté alors que dans l'album il n'y avait pas beaucoup de morceaux comme ça. C'était pas du tout représentatif de l'album. Ils ont pris le seul morceau qui avait la couleur qui accrochait… Mauvaise erreur de calcul. On m'avait dit: "fais des morceaux qui passent à la radio" alors que, moi, je voyais mon truc seulement d'une manière. Donc, j'ai aussi ma part de faute là-dedans. J'ai pas voulu leur proposer de morceaux. Surtout que les morceaux qui étaient formatés à l'époque, c'était la catastrophe. J'étais incapable de faire ça. J'ai fait ce que je pouvais et du mieux que je pouvais. D'ailleurs, 'Fais-le Pour Moi' ne devait pas être comme ça. Je l'ai recommencé 3 ou 4 fois ce morceau, un truc de fou. J'étais dégoûté du morceau, j'en voulais plus. En tout cas, ça m'a appris plein de choses par rapport au business et sur comment concilier ta musique et le business. Aujourd'hui, par exemple, il y a peu de morceaux de "Le Cactus de Sibérie" que je craindrai en single. J'ai fait en sorte de travailler les morceaux indépendamment les uns des autres tout en les maintenant sur une ligne, en me disant que la personne ne pourrait écouter qu'un ou deux morceaux de cet album et que dès lors il fallait qu'il puisse kiffer dès ces 2 titres, sans avoir à écouter les autres morceaux.



HHC : Qu'est-ce qui t'a poussé à te lancer dans la prod à l'origine?



O : En fait, c'est toujours ce que j'ai voulu faire. Mais, quand tu sais qu'un sampler, ça coûtait 6000 francs à l'époque (soit en gros 1000 euros)… et qu'en plus, après, il fallait acheter les enceintes, le clavier midi, les vinyles et ainsi de suite… Je pouvais pas. Du coup, j'ai commencé le rap parce que je ne pouvais pas produire, plutôt par hasard. J'ai écrit quelques textes pour quelqu'un, puis j'ai commencé à les dire, puis à les rapper.



HHC : J'ai vu que Bauza et Manu Key avaient travaillé avec toi sur le nouvel album. Quels ont été leurs apports exactement?



O : En fait, j'ai travaillé la première partie de l'album avec Bauza. Quand je rappe, j'ai toujours besoin d'avoir quelqu'un qui me dise si ce que j'écris c'est pas nul. C'est pour ça que généralement j'écris 4 ou 5 couplets pour un texte. Bauza étant un rapper qui a aussi un certain niveau et des critères d'exigence élevés, je lui demandais son avis. Y avait Cream qui passait aussi… Quelquefois, quand je rappais, ils me faisaient remarquer si j'étais pas dans les temps. Ils m'amenaient toutes ces choses et ce recul que seuls un rappeur ou un réalisateur peuvent amener.
Manu Key est intervenu sur la seconde partie de l'album, quand j'ai commencé à prendre des instrumentaux de producteurs que je ne connaissais pas. C'était un autre travail parce que j'avais pas trop l'habitude de faire ça et que j'étais bien plus fatigué. Manu me donnait des idées sur les refrains, sur les mélodies, sur les arrangements, sur certains sujets aussi. C'est quelqu'un qui a beaucoup d'expérience et qui m'a donné mes premiers conseils au début de ma carrière donc ça tombait bien.



HHC : Connaissant ta relation avec Bauza, on comprend facilement pourquoi tu as bossé avec lui. Mais qu'est-ce qui t'a amené à t'orienter vers Manu Key?



O : Comme je t'ai dit, je me laisse aller par le hasard des choses. On cherchait des bons réalisateurs et c'est un métier qui n'est pas encore très développé dans le hip-hop français. On m'a proposé 2-3 noms, j'ai pris son nom comme un signe et je le regrette pas du tout. Parce que, Manu, je le connais assez bien depuis longtemps. C'est des choses que les gens ne savent pas mais, dans le rap, j'ai des amis que je connais d'avant le rap parce qu'ils habitent à Paris depuis longtemps comme moi et qu'en tant que passionnés de la même musique il nous est arrivé de traîner ensemble par la force des choses…



HHC : J'ai pu entendre le premier maxi de Bauza récemment. Tu penses l'épauler à ton tour pour son album?



O : Naturellement. C'est mon seul client pour mes productions donc, déjà, c'est assez important pour moi (rires). Là, il va sortir "La Célèbre Tape" d'ici peu de temps avec plein de morceaux inédits de lui. Ce sera sûrement une sorte de prémices à son album.



HHC : D'ailleurs, toi aussi, tu as sorti ta propre tape "Puccino Airlines" (qu'on peut trouver un peu partout sur le net) il y a quelques semaines. Pourquoi?



O : Pour le plaisir. La maison de disques m'a offert du studio pour faire une petite mixtape promotionnelle donc je m'en suis servi. Il y a beaucoup de bonnes musiques, j'ai plein de textes à rapper et puis ça m'a permis d'inviter des amis comme Asken, Féfé Typical, Bauza, DJ Cream… Donc, voilà. 2 jours de studio, on a rappé, on s'est fait plaisir. C'était une belle occasion.



HHC : La palette de producteurs du "Cactus de Sibérie" est assez large. Pourquoi as-tu fait appel à tant de monde?



O : Juste pour avoir une couleur particulière sur l'album. Il y avait des musiques que je ne pouvais pas faire, des musiques que Kessey et Mars ne pouvaient pas faire parce qu'ils ont leur style. Je voulais surprendre les gens. Me surprendre moi-même, parce m'écouter rapper sur des instrumentaux que Manu a choisi (ou que Philippe m'a emmené ou que Nicole ou Marc m'ont trouvé par un CD qu'on leur a envoyé), c'est une autre façon de travailler que je n'avais jamais faite. Le résultat, c'est des morceaux inattendus: des trucs comme 'Warriorz' ou comme 'Laisse-moi Flirter', 'Un Flingue et des Roses' ou 'Arriver sur Terre par Erreur' (ambiance cabaret, truc intime)… C'est des trucs que je n'aurai pas pu trouver en travaillant comme je l'avais fait jusqu'à présent.



HHC : Depuis le début, tu es resté fidèle à DJ Sek et Mars. Il y a un vrai lien artistique qui vous unit et qui définit en partie la personnalité de tes albums. Comment bosses-tu avec eux?



O : Le lien est plus qu'artistique même. Avant, quand je travaillais avec eux, c'était particulier parce qu'on avait le temps de se voir et on avait des situations qui nous permettaient de nous consacrer entièrement à ça. Je pouvais passer la journée chez Mars ou chez Kess, repartir avec un CD et travailler dessus. Aujourd'hui, on a des trains de vie qui ne nous permettent pas de nous asseoir 4 ou 5 heures dans la journée pour sampler ou tenter des expériences. Donc j'en suis venu à prendre des CD's pour écouter à peu près ce qu'ils ont et faire une sélection. Comme ça faisait déjà un moment que je travaillais comme ça avec eux, j'ai fait pareil avec les autres producteurs, en plus grand nombre, parce qu'ils ne me connaissent pas et que je ne connais pas leur travail…



HHC : Là, L"e Cactus de Sibérie" sort le 13 Avril. Quels sont tes projets?



O : Faire une tournée. Mais, à long terme, je ne sais pas encore.



HHC : En parlant de tournée, comme tu l'as un peu sous-entendu tout à l'heure, tu as conçu ce nouvel album en le pensant (en partie) pour la scène. Or tu n'avais pas fait énormément de concerts auparavant. Qu'est-ce qui t'a amené à vouloir défendre ton album sur scène cette fois-ci?



O : Déjà, c'est parce qu'après la sortie de l'album, parfois, tu n'as plus rien à faire. Et puis, quand tu redécouvres les gens qui t'écoutent, de près, alors qu'ils habitent très loin de chez toi, c'est vraiment super. C'est la motivation principale en fait. Quand tu te déplaces hors de chez toi et qu'il y a des gens qui écoutent ta musique, je pense que pour un artiste c'est le plus grand truc. Rien que ça, ça vaut toujours le détour. C'est bien beau d'avoir des statistiques, des chiffres de vente, des passages radio et des taux d'auditeurs, mais si tu ne sais pas qui t'écoutes, tu ne peux pas savoir pour qui tu écris… Et puis, ça fait plaisir.
J'ai travaillé la scène avec Bauza avant même de poser sur une mixtape donc la scène c'est mon truc. J'ai pas vraiment eu le temps de la travailler avec les sorties d'albums, entre la promo, le travail sur les clips, les singles et les projets annexes qui prennent tout ton temps. Après 3 albums, je me suis dit que j'allais avoir assez de morceaux à faire sur scène et que, comme le troisième album est plus entraînant, ça me permettait de faire un truc un peu moins ennuyeux. Donc on a travaillé le truc avec DJ Cream, Bauza et on commence à être assez satisfaits de ce qu'on a mis en place. La tournée avec Triptik nous permet vraiment de nous mettre en jambes tout en permettant de faire de la promotion pour l'album avant qu'il sorte. Ca nous permet de faire écouter de nouveaux morceaux, de voir comment le public réagit…



HHC : Qu'est-ce que tu retiens de cette récente série de concerts justement?



O : Ca m'a appris que les gens pouvaient être fidèles à ta musique. C'est un truc de fou, parce qu'il faut avoir fait plusieurs trucs pour le savoir. Ca m'a appris que les choses ont changé, que les gens attendent plus de la musique et se déplacent plus qu'à une époque. Avant, on disait que les concerts de rap ne marchaient pas et qu'il y avait toujours de la violence. Moi, j'ai fait je ne sais combien de dates avec Triptik et il n'y a eu aucune bagarre. Les gens repartaient contents; les organisateurs étaient contents. Donc c'est archi positif. Ca donne envie de faire encore plus de concerts et je vois que les organisateurs aussi en ont envie, donc c'est super positif.



HHC: Est-ce que tu as été surpris lors de ces concerts?



O : Moi, je fais ma musique à huis clos. Je fais écouter ça autour de moi, on mixe en groupe et donc c'est seulement quand je pars au contact du public que je me rends compte de l'impact de ma musique. Et, comme j'arrête de rapper couramment, je retombe souvent dans l'anonymat et j'oublie un peu tout. Quand je reviens et que je vois que le public n'a pas oublié et qu'il me rappelle des trucs d'il y a longtemps, ça me surprend toujours. Je suis toujours surpris d'avoir des gens qui écoutent ma musique. C'est toujours une surprise d'arriver quelque part et de voir que des gens t'écoutent, parce que tu ne les connaissais pas avant. C'est ça qui est excitant. C'est comme retourner en studio; tu ne sais pas avec quel morceau tu vas en sortir, ce que tu vas écrire…



HHC : Notre rencontre touche à sa fin. Pour conclure, est-ce que tu pourrais nous donner le livre, le disque et le film que tu sauverais si un cataclysme se produisait ?



O : Un jeu vidéo d'abord (rires) : "ISS 3". Un livre, je dirais, "Les Misérables" parce qu'il est bien gros. T'as besoin de ta vie pour le lire. Un disque: "Ready To Die" de Notorious B.I.G. comme ça tu sais quoi faire en cas de coup de blues. Un film… Y en a plein… "Le Silence des Agneaux".



Interview de Cobalt, MelloW et Christophe.
Avril 2004

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