Le Jouage

Multipliant les expériences musicales, que ce soit seul ou en groupe, Le Jouage (a.k.a. Mégafor) sort peu à peu de l'ombre. Emcee aux rimes complexes et au flow sinueux, producteur adepte du concassage industriel, il joue un rôle de plus en plus important dans la vague de fraîcheur qui effleure le rap français depuis quelques temps. Alors que le "Sonophrologie" de son groupe Hustla avait déjà éclairé le début de l'année 2003, il nous revient aujourd'hui accompagné de James Delleck pour le premier album remarqué de "Gravité Zéro". Gageons que ce nouveau projet à teneur futuriste sera celui de la révélation aux oreilles d'un bon nombre d'auditeurs... L'occasion idéale pour une rencontre avec Le Jouage.

Hip-Hop Core : Peux tu te présenter à ceux qui te connaissent peu ou mal ?



Le Jouage : Comme je dis, on me nomme Le Jouage et, avec Grems, Dr Slang et Steady, on forme le groupe Hustla.



HHC : Parlons un peu d'Hustla. Sachant que, Grems et toi, vous habitiez tous les 2 très loin de l'autre, peux-tu nous dire comment s'est faite la connexion à l'origine ?



J : Quand je l'ai connu, j'étais dans un groupe qui s'appelait L'Unité. Un soir, on a fait une répétition chez un groupe qui s'appelle Kaliman et c'est là qu'on a vu Grems pour la première fois. Plus tard, Grems a proposé de rentrer dans le groupe et on a dit "oui". C'est à l'intérieur de ce groupe qu'est né Hustla en 98. Par la suite, L'Unité est mort alors on a continué Hustla ensemble.



HHC : Comment travailliez-vous les morceaux ensemble malgré votre éloignement ?



J : Le portable était une invention faite pour nous. Et puis, quand il fallait enregistrer, soit je descendais sur Bordeaux, soit il montait sur Paris. Maintenant qu'il est revenu sur Paris, ça va être plus facile pour finaliser les projets.



HHC : A vous entendre sur disques, vos personnalités semblent assez différentes. Qu'est-ce qui vous rapproche ?



J : Avant tout, je pense qu'on s'entend bien car, pour continuer le groupe malgré les kilomètres qui nous ont séparés, faut y aller. Ensuite, on va dans la même direction artistique, même si on n'a pas toujours les mêmes goûts en ce qui concerne la musique. Je pense d'ailleurs qu'on tire notre force de nos différences.



HHC : Dans quelles circonstances avez vous autoproduit "Paris-Bordeaux-Vitry "?



J : Avec les moyens du bord. On arrivait a un moment de notre existence musicale où l'envie de sortir un disque était omniprésente dans les têtes. De plus, poussés par l'expérience de "L'Antre De La Folie", il ne nous manquait plus qu'une sortie discographique pour faire parler de nous, en utilisant l'effet boule de neige. Après, ça a donné ce que ça a donné. D'autre part, on en est contents parce que, de toute cette vague de copinage, on a été les premiers à sortir notre disque en cd, ce qui nous a fait vachement plaisir.



HHC : Votre second mini-album "Sonophrologie" a reçu des critiques plutôt élogieuses. Que penses-tu ce EP presque un an après ? Que signifie pour toi le titre "Sonophrologie" ?



J : Pour "Sonophrologie," je l'écoute de temps en temps si tu veux savoir. Avec le recul, on aurait pu faire mieux car il y a des morceaux qui ne sont pas à leur place. Mais, dans l'ensemble, c'est pas mal. Pour ce qui est du titre, si tu veux, Sono' est un jeu de mots entre Sono et Sophrologie. Ensuite, eh bien, tu l'interprètes comme tu le sens. C'est une consonance qui nous plaisait bien et la définition qu'on lui donnait collait parfaitement à l'état d'esprit dans lequel Sono' a été fait.



HHC : Comment s'est faite la connexion Hustla/De Brazza exactement ?



J : En fait Bursty, le proprio de De Brazza, a été intéressé par notre boulot alors il a proposé ses services pour "Sonophrologie" et, vu qu'il y'a une bonne entente entre nous au-delà du boulot et qu'il aime notre démarche artistique, il s'est proposé pour sortir l'album de Grems.



HHC : Quelques mots sur le titre 'I Need Hero' que tu as fait avec Tékilatex ? Ce morceau de "Sonophrologie" est vraiment emblématique d'Hustla ainsi que de toute l'inventivité décalée de la "nouvelle" scène française, comme on dit.



J : Connaissant Téki (pour les intimes), je ne pouvais pas faire appel a quelqu'un d'autre pour ce morceau. D'ailleurs, qui aurait pu remplir ce rôle ? (Ndlr: un monstre intergalactique). J'avais demandé a Larseine Von Delleck (petit frère de James Delleck) de me faire un son et, dans sa palette, c'est celui que j'ai le plus retenu. Je pense qu'il reflète plus notre envie de faire quelque chose de plaisant qu'une réelle volonté d'essayer de se démarquer en cherchant absolument à faire un truc barré à la race. T'as vu, quoi!!



HHC : Peux-tu nous parler un peu de tes débuts ? Qu'est-ce qui t'as attiré vers le hip-hop ?



J : Sans blaguer, j'ai commencé par la danse (une période assez courte). Ensuite est venu le graff' (une période encore plus courte), le chant (là, c'était chaud) et j'ai fini par me mettre au rap… et après à la prod'. A l'époque, je me rappelle qu'avec mes cousins on regardait l'émission de Sidney, "H.i.p.h.o.p", le dimanche (avant ou après Starsky et Hutch, je ne sais plus), et qu'on essayait de refaire les pas de danse tellement on étaient croc'. Après est venue l'émission de Lionel D et Dee Nasty sur Nova. C'était une bonne époque. A l'école, on s'échangeait les cassettes de leurs émissions pour se faire des compils. C'était la jeunesse de la jeunesse.



HHC : Pourquoi tant de complexité dans tes flows et tes textes ? Qu'est-ce qui te pousse à donner des structures souvent labyrinthiques à tes morceaux ?



J : En fait, c'est pas un truc voulu. Je construis mon rap comme je le vois et, parfois (souvent même), ça devient difficile à comprendre pour l'auditeur. Mais je pense que c'est quand même accessible quand tu cherches à comprendre le sens des lyrics.



HHC : On t'a autant remarqué pour ton emceeing que pour tes productions avec Hustla. Comment se passe la confection d'un morceau dans ton cas ?



J : Je ne sais pas. J'ai pas de formule secrète comme certains. Des fois, je pars d'un beat et je construis autour. Des fois, c'est une idée que j'essaie de faire sonner. Ou alors il y a parfois un déclic, un sample qui tue de la mort de sa race qui défonce et que je reprends sans vergogne et que je découpe… parfois…



HHC : Tes compositions sont souvent chaotiques, changeantes, sombres, rugueuses. On peut y trouver des similarités avec ce que faisait El-P il y a encore quelques années. Justement, vis-à-vis cela, n'as-tu pas peur d'être taxé de repompage de ce son, à la sauce française ?



J : Non. Mais j'aime bien faire des sons bourrins, sombres avec un gros beat par-dessus. C'est ce que j'aime faire. Parfois, même que ça dérange. Mais ce n'est pas une fin en soi. Il m'arrive de faire des sons plus accessibles, comme sur les projets à venir (voir ‘Galactica' sur "Gravité Zéro"). Il faut dire aussi que ça reflète mon état d'esprit, une réflexion avec moi-même que je retranscris en production.



HHC : Justement ce son est loin de l'image militante ou "gangsta" qu'une partie de la scène rap veut parfois donner. Est-ce là un nouveau genre dans le rap ou un moyen de s'éloigner des clichés actuellement véhiculés par le rap ?



J : Je crois plutôt, et je pense parler pour toute cette nouvelle vague (comme tous les gens disent), que c'est notre façon de faire du rap ; point barre. Ce n'est pas du tout une façon de vouloir se démarquer ou autre. C'est juste qu'on fait du rap et on le fait comme ça. Après, si ça ne ressemble pas à tout le monde, et ben, tant mieux ! Et si les gens n'aiment pas, tant pis ! C'est comme pour tout. Dans le cinéma, il n'y a pas que des films d'action ou d'amour et, pourtant, c'est bien des films. Pour notre musique, c'est la même chose : c'est du rap, même s'il est abordé différemment.



HHC : En parlant d'El-P, que penses-tu de l'évolution de toute la nébuleuse def-juxienne ces dernières années ?



J : En fait, depuis son album solo, je n'ai pas vraiment écouté les sorties de Def Jux car le peu que j'ai écouté ne m'a pas plus intéressé que ça.



HHC : Pour parler de ton actualité, comment es-tu venu au projet "Gravité Zéro" ?



J : L'idée date de l'époque où Hustla voulait sortir "Paris Bordeaux Vitry" et elle a vraiment pris naissance il y a presque 2 ans. Ca faisait un petit moment que je faisais des collaborations avec James sur des mixtapes, compilations et autoproductions alors, un jour, c'est revenu au goût du jour et, voilà, enfin, "Gravité Zéro" est dans les back depuis le 4 novembre.



HHC : Comment le travail a été partagé entre vous deux, l'un s'occupait des lyrics, l'autre de la prod ?



J : Vu que James et moi avons la chance d'avoir les deux visières (rappeur et producteur), on a bossé chacun de notre coté pour ensuite poser sur table les idées ramenées. Ensuite, c'est un choix cohérent qu'il a fallu prendre pour donner un sens conceptuel à GZ.



HHC : Peux-tu nous parler un peu de l'intervention de DJ Detect sur Gravité Zéro ? Que recherchiez-vous en faisant appel à lui ?



J : Detect, c'est mon pote car j'sais pas scratcher. Son taf était d'apporter un élément turntablist que nous ne pouvions mettre en avant, de par notre faible capacité en la matière, pour l'album. Par la suite, il s'est avéré qu'il avait un rôle aussi important que le nôtre sur scène, sachant qu'il connaissait l'album autant que nous.



HHC : La SF est au cœur de "Gravité Zéro". Quel est ton auteur de SF favori ? Qu'est-ce qui te plait dans ses écrits ?



J : Personnellement, j'ai pas vraiment d'auteur attitré car je lis très peu de livres de SF. Je dirais, car je suis en train de lire "2061, L'Odyssée Trois", Arthur C. Clarke.



HHC : Etre sur un label indépendant, c'est un choix ou une obligation ?



J : On va dire un peu des 2 car tu ne peux pas passer ta vie à sortir des disques avec ton argent. Non seulement, ça revient trop cher, mais tu ne peux pas t'occuper de tout tout seul… c'est impossible. Et c'est là que le label entre en jeu pour te soutenir, déjà financièrement, promotionnellement… voir aussi au niveau de la distribution; ça dépend comment tu te débrouilles. De toute façon, faut pas se leurrer, tu as beaucoup moins de poids quand tu arrives seul de n'importe où face à un label.



HHC : En dehors de Gravité Zéro, quels sont tes projets ? A quand le prochain Hustla ?



J : En ce moment je bosse sur l'album solo de Grems et sur un projet qui s'appelle Olympe Mountain, ce sont les deux priorités du moment. Le premier album de Hustla est quand même dans un petit coin de nos têtes. Sinon, comme tout le monde, j'envisage de faire un LP solo, mais ce n'est pas d'actu pour le moment.



HHC : En parlant de ça, peux-tu nous donner quelques précisions quant au futur album de Grems ? A quoi peut-on s'attendre ?



J : Je peux juste dire qu'on pourra retrouver du beau monde en featuring comme à la prod.



HHC : Penses-tu faire quelques dates en France (une mini-tournée?) dans le futur, que ce soit avec Hustla ou avec Gravité Zéro ?



J : C'est la priorité de faire des concerts pour Gravité Zéro. D'ailleurs, le 22 novembre, on passe au Glaz'art sur Paris, de 22h a 5h, dans le cadre d'une soirée spéciale GZ avec des live de GZ, Langage Computer, Klub des Losers, DJ Detect, DJ Fab et rcp crew. Venez nombreux!!



HHC : Quels sont les albums qui ont squatté ta platine cette année ?



J : Compil Def Squad right here, Cercle Vicieux, Cannibal Ox, les tapes de DJ Fab, du zouk, de la dancehall, Aliyah… en fait trop plein de truc. Heureusement pour moi je n'écoute pas que du rap. Sur ce, merci à toi.



Propos recueillis par MC23
Questions de Cobalt et MC23
Novembre 2003

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