KutMasta Kurt

Personnage à part dans la faune des producteurs américains, Kut Masta Kurt dénote par ses déguisements, son univers rempli de dérision mais surtout par la constance de ses productions depuis plus de dix ans. Avec, à son actif, une liste de classiques et autres excellents albums qui en ferait rougir plus d'un: "Sex Style", "First Come, First Served", "Masters of Illusion", "Big Tyme"… Kurt reste pourtant discret, préfèrant s'occuper de son label plutôt que de se faire mousser et alignant les bombes sans sourciller à l'aide d'une formule à l'efficacité rarement égalée. Adepte du second degré constant, c'est barbu et lunetté que le Funky Redneck nous reçoit dans sa loge, accent sudiste en prime, pour un entretien plein d'humour mais aussi de révélations… English version



HHC : Qui est exactement le Funky Redneck ?



Kut Masta Kurt : Le Funky Redneck (ndlr: le bouseux funky) est aussi connu en tant qu'Oncle Zick. C'est un vendeur de tracteurs qui est devenu producteur de hip-hop. Je suis originaire du Kansas. Après ça, j'ai conduit des camions et j'ai rencontré Kool Keith. On a formé les Diesel Truckers et on a commencé à produire des disques.



HHC : J'ai lu que tu avais commencé à être DJ en 1983 pour des breakers. Qu'est-ce qui t'a poussé à devenir DJ/Producteur ?



KMK : Pour résumer, mes cousins et moi, on avait quitté le Kansas pour aller à New York et on breakait dans la rue pour gagner un peu de sous. Mais je n'arrêtais pas de me blesser : je me cassais le poignet, je me bousillais le genou.. Je me suis dit que je n'étais pas assez coordonné dans mes gestes pour faire ça alors j'ai commencé à faire des mixtapes à la place. Plus tard, je me suis mis au DJing et j'ai commencé à faire de la radio. Les gens ont commencé à me connaître comme "le gars du coin qui faisait de la musique hip-hop". Du coup, pas mal de rappers sont venus me voir en se disant que je devais savoir faire des beats. Je ne savais pas vraiment comment on produisait un titre mais, compte tenu de tout ça, j'ai commencé à apprendre. J'avais un petit studio dans le Kansas. Et j'avais quelques animaux à l'intérieur. J'avais une dinde et un poulet. Ils ne s'entendaient pas très bien et parfois on entendait même les bruits bizarres qu'ils faisaient à la sortie de l'ampli. Mais j'avais un petit enregistreur cassette 4 pistes et je m'y suis mis. C'est comme ça que j'ai commencé, sur un petit équipement merdique. Je l'ai d'ailleurs utilisé pendant longtemps…



HHC : Et qu'est-ce que tu utilises maintenant pour tes productions ?



KMK : Maintenant, j'utilise une MPC. J'utilise un ASR-10 et il m'arrive aussi de sampler des instruments live de temps à autre. Tu as déjà entendu parler du "gutbucket" ?



HHC : Euh… pas vraiment.



KMK : C'est un instrument spécial dont on joue dans le Kansas. C'est fait à partir d'un grand seau et d'un balai. En gros, tu prends le balai, tu enlèves la tête du balai et tu mets le manche à balai sur le seau. Après, tu prends un bout de corde et tu t'en sers pour relier le haut du manche au dessus du seau, ok? Et là, tu pinces la corde! Ca fait un bon son de basse.



HHC: Ha ha. Et pourrais-tu nous dire quelques titres où tu as utilisé un son de "gutbucket" ?



KMK : Et bien, je l'ai un peu filtré mais tu peux l'entendre distinctement. Il apparaît ici et là dans mes titres. C'est une ligne de basse funky. C'est un son de basse secret que j'utilise.



HHC : Ha ha. C'est le son "redneck" ?



KMK : Exactement.



HHC : Pour en revenir à des choses un peu plus sérieuses, comment as-tu rencontré Tim Dog ?



KMK : Je faisais un show radio et j'avais reçu le maxi de 'Fuck Compton'. Chez vous, c'est probablement différent, mais aux USA, tu ne peux pas passer de disques où il y a "Fuck" par exemple. Mais j'aimais vraiment ce disque. J'aimais ce que Tim disait parce que j'étais vraiment fatigué d'entendre parler de ces rappers et de leurs sœurs et de leurs frères qui venaient tous de Compton. D'autre part, j'étais un gros fan des Ultramagnetic MC's. J'ai donc décidé de faire une version radio de 'Fuck Compton'. A l'époque, personne ne faisait ça. J'avais 2 exemplaires du maxi. Je les ai mis sur 2 platines et j'ai commencé par enlever tous les gros mots du disque en passant à la version instrumentale lorsqu'ils arrivaient. Après, j'ai été chercher des disques afin d'utiliser des effets sonores différents pour les mettre à la place des blancs. C'est quelque chose que les gens font beaucoup maintenant, les versions radio, mais à l'époque personne ne faisait ce genre de chose.



HHC : Est-ce Tim Dog qui t'a présenté Keith ?



KMK : Non, pas directement. J'avais l'habitude d'aller souvent à New York. Pour le New Music Seminar par exemple. J'avais l'habitude de prendre un bus Greyhound pour aller au NMS. Ca prenait 3 jours. Je puais vraiment qu'en j'arrivais à New York. J'avais encore un de mes cousins qui vivait à NY et je squattais chez lui, en dormant par terre, etc. J'allais là-bas et j'achetais des disques comme j'étais DJ et que je ne pouvais pas trouver beaucoup de maxis dans le Kansas. Je rencontrais souvent Keith et je lui disais bonjour. Mais il ne me prenait pas vraiment au sérieux jusqu'à ce qu'il quitte les Ultramagnetic. Il a conduit un camion pendant un moment. Moi aussi je conduisais un camion. On s'est croisés sur une aire d'autoroute et je lui ai passé un CD de beats. Il était surpris que je le reconnaisse comme il ne voulait pas vraiment que les gens sachent qu'il conduisait un camion et tout ça. Mais il m'a dit qu'il venait juste de quitter les Ultramagnetic MC's et qu'il comptait se lancer dans une carrière solo. Il a écouté mon CD et m'a dit que j'avais des beats bien funky. C'est comme ça qu'on a commencé à bosser ensemble.



HHC : Comment est venue l'idée de faire l'album "Big Tyme" de Ultra (Kool Keith + Tim Dog) ?



KMK : C'est assez intéressant. Déjà, c'était un disque de Kool Keith et Tim Dog donc ça n'aurait pas été très malin de l'appeler Ultramagnetic ou quelque chose du style. C'était donc comme une version raccourcie. A cette période, les gens n'arrêtaient pas de demander : "Quand est-ce qu'Ultramagnetic vont refaire un nouveau disque ?" et Keith n'avait vraiment pas envie de faire ça. Mais il était en contact avec Tim. On venait juste de déménager à LA et Tim aussi… ce que je trouvais vraiment marrant. Après avoir dit "Fuck Compton!", il habitait à Los Angeles. Mais bon, donc, il est venu nous voir et on lui a dit, "Faisons un disque"… et voilà comment tout a démarré.



HHC : Ta première production pressée sur acétate était pour le groupe Red, Black & Green en 1990. Comment t'es-tu retrouvé à produire ce titre ?



KMK : En gros, c'était un groupe local qui était dans la Bay Area (où j'habitais à l'époque). J'avais un copain qui bossait sur un documentaire à propos du surf, une sorte de film pour la marque O'Neil. Il voulait que je fasse un titre pour ça. Je connaissais ces gars (ndlr: Red, Black & Green) et on a enregistré cette chanson… Et il s'est trouvé qu'ils ont sorti toute la bande originale sur disque. O'Neil a sponsorisé le documentaire et ils ont trouvé un label pour la B.O., IRS Records (qui n'existe plus). Ils ont sorti tout cet album. Il y'avait Ice-T dessus. Il y'avait les Red Hot Chili Peppers, Jane's Addiction… et nous! C'était cool.



HHC : Comment est venue l'idée des "Masters of Illusion" ?



KMK : Je bossais depuis pas mal de temps déjà avec Kool Keith et on avait fait quelques albums ensemble. J'avais toujours voulu faire mon propre projet avec lui parce que les autres disques que nous avions fait étaient plus des genres de collaborations. Je voulais aussi donner sa chance à Motion Man, avec qui je bossais depuis longtemps, pour qu'il puisse se faire connaître. Je me suis dit: "Et si je faisais un disque avec ces 2 gars ensemble, un disque marrant". Tout est parti de là. Entre les albums, j'avais repris mon travail de vendeur de tracteurs pour un petit moment. Là où je bossais, ils avaient une subvention de la banque du Mexique et j'étais super pote avec le gars qui travaillait là-bas. Je lui ai dit que j'avais besoin d'argent pour faire un disque. Il m'a dit: "J'ai un ami qui bosse pour Lucha Libre. Tu devrais lui parler parce que Lucha Libre essaie de se faire plus connaître aux Etats-Unis maintenant." En effet, ils venaient de commencer à montrer des combats de Lucha Libre, du catch mexicain, à la télé américaine, donc ils voulaient le promouvoir. J'ai donc rencontrer le copain dont il me parlait, Juan, et Juan m'a dit: "Ecoute, j'ai une idée. Tu portes un masque de catch. Tu feras la promotion de Lucha Libre et je te donne 10,000 pesos pour que tu puisses faire ton disque". On a fait un deal… Et je suis toujours son contrat (ndlr: Kurt portera en effet son masque sur scène et au cours de plusieurs interviews).



HHC : Tu as surtout produit pour les affiliés Skhool Yard et pour tes 2 "maîtres de l'illusion". Pourquoi es-tu resté centré sur ces artistes alors qu'on sait que tu as plein de liens au sein de la scène californienne (notamment avec les Shape Shifters) ?



KMK : Et bien, je produis certains disques que je sors sur mon propre label, Threshold. Comme pour Skhool Yard, Motion Man, "Masters of Illusion". Mais j'ai aussi fait pas mal de remixes. Et je suis un mercenaire en gros. Donc si des gens veulent que je bosse pour eux, je le fais. D'ailleurs en parlant de la Bay Area, je viens de faire un remix pour Prozack (de Foreign Legion) qui devrait sortir sur Dreamworks. Un remix que j'ai fait il y a pas mal de temps pour Mos Def & Diverse vient aussi juste de sortir. Donc, tu vois, je suis disponible… Il suffit juste de m'acheter. D'autre part, tu ne peux pas toujours bosser avec tous les gens qui te le demandent. Mais c'est vrai cependant que j'ai majoritairement travaillé avec des artistes de Californie comme Rasco, Planet Asia et quelques autres. Il faut dire qu'il y a beaucoup de talent là-bas.



HHC : Récemment, tu as produit des titres pour PMD, 7L, Grand Agent… On dirait que tu as envie de multiplier les nouvelles collaborations ?



KMK : En effet. Je suis vraiment ouvert à l'idée de bosser avec plein d'artistes différents. Même des artistes qui opèrent dans un autre style de musique que le rap. J'ai envie de collaborer avec Kenny Rodgers, pour faire une sorte d'album fusion Funky Redneck! Et je suis ouvert aux emcees, d'où qu'ils viennent. S'ils ont du talent, ça me fait plaisir de bosser avec eux. En plus, en collaborant avec différents artistes, ça attire d'autres gens vers mon travail. J'attends toujours de travailler avec des rappers français.



HHC : Tu viens de produire un titre pour PMD sur son dernier album "The Awakening" comme nous venons de l'évoquer. Comme par hasard, c'est le meilleur titre du LP ! As-tu rencontré PMD en studio ?



KMK : Je suis content que le titre vous plaise. Mon copain Matt, qui est le propriétaire de Solid Records, a donné à PMD une liste de producteurs qu'il voulait qu'il appelle pour leur demander des CD's de beats. P m'a appelé et je lui ai envoyé un CD avec 20 instrumentaux, comme je voulais être sûr qu'il en aime au moins un! Il s'est avéré qu'il en aimait 3, mais il devait en choisir un seul. Je l'ai donc aidé à décider lequel prendre. Je pensais que ce serait bon pour lui de rapper sur un titre qui avoisine les 100 bpm. Comme sur les vieux EPMD qui étaient plus uptempo. Je lui ai envoyé un D88 et il a enregistré ses rimes à New York. A l'époque, il avait inclus un refrain chanté. Quand je suis rentré en Californie, j'ai mis le refrain à la poubelle et j'ai conçu un refrain scratché à la place. Tout le monde a préféré cette version. A l'origine, la chanson ne devait être qu'un titre parmi les autres sur le LP. Mais notre collaboration a tellement bien rendue qu'ils ont décidé de l'utiliser pour un single!



HHC : Que penses-tu de la scène underground californienne ?



KMK : C'est une scène géniale! Et elle prend de l'ampleur! J'ai travaillé avec plein de gens qui ont maintenant beaucoup de succès. Par exemple, j'ai fait de Dilated Peoples ce qu'ils sont aujourd'hui. Sans 'Work The Angles', ils n'auraient jamais explosé comme ils l'ont fait. J'ai travaillé et aidé des tas de groupes comme Lootpack (et Madlib) en enregistrant et en mixant des trucs pour eux. J'ai bossé avec Xzibit bien avant qu'il signe sur un label et ait besoin d'enregistrer des démos pour obtenir un deal. Defari a quasiment fait tout son premier album "Focused Daily "dans mon studio. Et puis, comme je l'ai déjà dit, il y a tous les artistes d'ici que j'ai sortis moi-même comme Motion Man, Kool Keith, The Skhool Yard, Dopestyle 1231, etc… Je suis totalement impliqué (de plein de façons) dans la scène west coast. Ca fait du bien d'être une part intégrante de cette scène.



HHC : Qu'est-ce qui t'a poussé à créer Threshold Records ?



KMK : Je m'occupais de Funky Ass Records avec Keith depuis quelques années déjà et je me suis dit que c'était la direction que je devais prendre, naturellement… Commencer mon propre label. J'avais des artistes avec qui je voulais travailler et que je voulais sortir sur mon label. Funky Ass était juste un moyen pour Keith de sortir exclusivement ses propres trucs…



HHC : En parlant de Threshold, quels sont les projets ? Ca fait un petit moment qu'on n'a pas eu le droit à une sortie significative.



KMK : Le planning ressemble à ça :
- Album de Dopestyle 1231 avec des apparitions de Del, Motion Man, Kool Keith et Vast Aire de Cannibal Ox;
- Une compilation de mes remixes et faces-B avec Linkin Park, les Beastie Boys, Blackalicious, Mos Def, Del, etc;
- Le nouvel album de Motion Man, probablement l'été prochain;
- De nouveaux trucs avec Planet Asia.
Et peut-être quelques surprises aussi… On ne sait jamais.



HHC : Comptes-tu refaire un jour une émission de radio ?



KMK : Probablement. Pas tout de suite mais j'aimerais bien avoir ma propre station radio un jour. Comme Marley Marl. Ce serait vraiment cool. Je fais des apparitions ici ou là à la radio de temps en temps mais ce n'est pas mon objectif principal pour le moment.



Propos recueillis par Cobalt et Blaze
et traduits par Cobalt
Photos de Blaze
Septembre 2003

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