Hen Boogie

Hen Boogie est une légende pour quelques uns, un parfait inconnu pour la plupart. Un peu comme Sach avec The Nonce, il est la moitié d'un groupe culte du hip hop westcoast des années 90, les Dereliks, hélas trop rapidement oubliés après des débuts fulgurants et un tournant de carrière mal négocié. Et pourtant, les quelques privilégiés qui ont jetés une oreille sur "A Turn On The Wheel" et "Change For The Bus Ride Home" savent qu'ils tiennent là des clients de la carrure des Souls Of Mischief ou Pharcyde. Après un break de quelques années, Hen, le beatmaker, revient dans le rap game. Entretien avec Hip Hop Core sur son parcours. English version



Hip-Hop Core: Bienvenue Hen... Peux-tu te présenter aux lecteurs et nous raconter ton tout premier contact avec la culture hip hop?



Hen Boogie: D'abord, merci pour l'interview. C'est toujours un plaisir d'avoir l'opportunité de partager ses opinions avec le reste du monde.

Wow, eh bien je crois que la première expérience dont je me rappelle, si on met de côté l'écoute de Rappers Delight, a été l'achat de mon premier disque "The Adventures of Grandmaster Flash on the Wheels of Steel". Je l'ai acheté seulement parce que j'ai vu qu'il était sur le même label que le disque de Sugarhill Gang. Je me rappelle, la première fois que je l'ai écouté je pensais qu'il y avait un problème avec le disque parce que je n'avais jamais entendu de scratchs avant (rires). Mais je me souviens avoir joué ce morceau encore et encore en essayant de comprendre comment il avait été fait. C'est marrant parce qu'en parlant de ça je me rend compte que je cratediggais sans le savoir étant enfant. Tu vois? Comme se renseigner sur qui est sur quel label, des trucs comme ça.



HHC: Parlons maintenant de tes débuts en tant qu'activiste, de Star Records, de la rencontre avec Iz et de l'origine des Dereliks.



HB: C'est assez long (rires). Eh bien j'étais dj et j'ai juste eu envie de faire de la musique que j'écoutais, j'ai donc économisé et je me suis acheté un Roland 626. A l'époque le son de basse de la 808 était vraiment en vogue alors j'essayais de faire le même en passant le Low Tone sur la table et en faisant ces patterns de batteries pourris. Mais j'étais vraiment content de mon son.

Puis j'ai mis de côté mes aspirations artistiques pendant un temps et j'ai continué à mixer. L'endroit où j'achetais mes disques s'appelait Star Records, c'était un point de rendez-vous pour tous les amateurs de hip hop depuis des années. Je n'aurais jamais pensé travailler là-bas. C'était un des premiers modèles de "dj de comptoir" (ou "dj derrière le comptoir", ndla), tu devais avoir le respect le plus total pour la personne qui tenait ce rôle. C'était un peu le gourou de l'information musicale, tu vois ce que je veux dire? Un jour j'entends qu'ils cherchent à embaucher et la proprio m'a adoré. Je pensais que c'était pour ma connaissance musicale, mais c'était parce que j'étais un gros type et elle pensait que j'aurais l'air assez effrayant derrière le comptoir! (rires).

En fait j'ai su plus tard que c'était un peu des deux. Ensuite je me suis rendu compte que la personne que je remplaçais était Peanut Butter Wolf. Il ne s'appelait pas comme ça à l'époque, mais tu vois ce que je veux dire. Donc je me retrouve à bosser là et ça a été une expérience sans prix. Tout le monde passait par là. Des artistes signés, des artistes en devenir, etc. J'étais le "mec hip hop" là-bas donc je me suis retrouvé à traîner avec beaucoup de gens que je ne pensais jamais rencontrer. Je me suis remis à faire du son, j'allais dans des studios qui possédaient l'équipement que je ne pouvais pas m'offrir, et je bossais avec mon pote Ed Main. Ca m'a fait beaucoup progresser comparé au vieux son de batterie que j'avais auparavant, mais il manquait quand même quelque chose.

Je parlais avec pas mal de gens et un jour ce mec est arrivé, il savait que je faisais de la musique et il m'a dit qu'il connaissait deux gars qui avaient besoin de beats. Je les ai rencontrés et l'autre gars était cool mais Iz avait un rap qui s'est finalement transformé en premier morceau commun. Il m'a époustouflé. On a discuté, je lui ai dis que je voulais bien travailler avec lui, mais que je ne voyais pas son pote intégrer le groupe. En fait il avait rencontré le gars à peine un mois auparavant, ça ne l'a donc pas trop dérangé de s'en séparer. A partir de là on s'est aperçu qu'on avait pas mal de points communs et qu'on adhérait pas avec ce qui se faisait à ce moment là. On a donc essayé de le retranscrire dans nos textes, c'est comme ça que les Dereliks sont nés.Ca a été le déclic direct. C'était assez bizarre parce que ça s'est fait très simplement.



HHC: En tant que membre des Dereliks tu as sorti le EP "A Turn On The Wheel Is Worth More Than a Record Deal" qui est devenu un objet assez recherché (j'ai vu une copie partir à 110$ il y a quelques temps sur ebay). Vous l'avez sorti sur un tout petit label, Low Self Discipline. N'avez-vous pas eu l'opportunité de signer chez une plus grosse maison de disques, surtout vu les contacts que vous aviez (PBW, etc)? Pareil pour l'énorme "Change For The Bus Ride Home" qui est sorti en catimini sur Sublevel Epidemic alors que cet album est un vrai classique pour moi.



HB: Ouais c'est dingue que des gens soient près à mettre autant pour ce disque. Je sais pas. Je veux dire, je suis partagé, car d'un côté c'est flatteur mais je pense que c'est juste un moyen qu'on trouvé certaines personnes de capitaliser sur un objet sur lequel l'artiste n'aura aucun bénéfice. Cela dit j'aimerai qu'il existe un disque pour lequel je serais prêt à mettre 100$ (rires).

On l'a sorti avec l'aide de ce mec, Brandon, qui nous a découvert via une chronique de démo parue dans Bomb Hip Hop Magazine. C'était l'A&R d'un label et quand ils nous ont laissé tomber il a quitté son job pour nous aider à sortir le disque. Ce qu'on voulait c'était sortir un classique qui deviendrait un objet recherché. Et réussir à sortir ce que tu veux, ça veut dire beaucoup, particulièrement dans le milieu de la musique où c'est quitte ou double. Il y avait d'autres labels sur le coup mais on aurait fini comme tous ces groupes qui sortent un album et dont on entend plus parlé ensuite. Qui sait? On aurait pu être beaucoup plus connus, mais je n'ai aucun regret. Il est plus important d'accomplir les buts que l'on se fixe soi-même tu sais.



HHC: Que s'est-il passé avec Iz? Que penses-tu de sa curieuse reconversion avec Tha High? Y'a-t-il une chance de voir un nouvel album des Dereliks un jour?



HB: Je crois qu'Iz et moi nous sommes lassés de tout ça. On faisait beaucoup de grandes choses et on n'était jamais payés. On remplissait un club à tel point qu'ils étaient obligés de le fermer en ayant peur de problèmes de sécurité et en payant des pizzas aux gens qui attendaient à l'extérieur. On ne maîtrisait pas bien les règles du business à l'époque. Ca nous a poussé à améliorer l'aspect artistique mais ça nous a rendu plus amers au final.

Je ne vois pas comment Iz et moi pourrions nous remettre ensemble. Avant tout il y a pas mal de trucs qui ont été enregistrés entre "A Turn On The Wheel" et maintenant que personne n'a entendu. Comment les gens pourraient comprendre où l'on va s'ils ne savent pas d'où on vient? Iz et moi étions comme des frères. Il vivait chez ma mère et faisait quasiment partie de la famille quand nous faisions de la musique ensemble. Mais c'est du passé. J'ai fais mon chemin et Iz a déménagé et est revenu dans son ancien quartier où il a rejoint Tha High. Traxamillion qui a fait les prods de leur album et aussi celles du Superhyphy de Keak Da Sneak faisait partie de notre crew à l'époque. On s'occupait de ces gamins et ils ont réussis dans leur voie. Donc c'est pas comme si Iz c'était retrouvé au fond du trou... Il fait juste de la musique de quartier ('neighborhood music'). Il a une fille et doit la nourrir, il fait donc ce qu'il faut pour ramener de quoi manger. Je ne doute pas qu'il puisse revenir mais beaucoup de temps s'est écoulé et nous nous sommes pas mal éloignés, donc je ne pense pas que cela puisse se faire à nouveau.

Je crois que Tha High était une expression de cela. C'est un peu comme si tu découvrais que ta copine t'a mentie. Tu te mettrais à détester toutes les autres filles pour avoir été autant blessé. Personnellement je ne lui en veux pas pour ce qu'il a fait. Ma réaction a plutôt été de m'enfermer, de faire des dizaines de morceaux et de ne pas les faire écouter pendant plusieurs années. Je pensais que personne ne méritait de les entendre. Mais au moins on peut dire que lui n'a jamais arrêté, ce qui n'est pas mon cas. Je veux dire, j'ai eu énormément de chance d'avoir été bien reçu quand j'ai fais mon retour sur la scène hip hop, bien plus que je ne l'espérais. Donc désormais je vais enfin faire écouter aux gens ce qu'ils auraient dû entendre depuis bien longtemps et ce que je fais maintenant.



HHC: Dans le même style tu as fait quelques concerts avec Blackalicious, Black Eyed Peas et De La Soul dans les années 90. Ils se sont tous largement éloignés de leur son initial depuis... Qu'en penses-tu?



HB: J'espère ne pas avoir le même son que j'avais alors (rires). Je pense qu'il reste toujours un élément de leur style passé dans ce qu'ils font aujourd'hui. Tant que tu ne restes pas coincé dans un état d'esprit, ça me va. Stagner est la pire chose qu'une personne puisse faire. Ceci étant dit, il y a toujours quelque chose de magique dans le premier album de quelqu'un. C'est là où l'artiste est le plus affamé et libre artistiquement. Si tu peux maintenir cette attitude d'indépendance vis à vis des autres et bosser comme si personne ne t'écoutait, tu n'as pas à te préoccuper de ce que les gens veulent entendre et c'est toujours mieux ainsi. Mais si tu m'avais dit un jour que mes gamins deviendraient fous à l'écoute d'une chanson des Black Eyed Peas, je t'aurais ris au nez. Ils ont rendu leur son accessible à un public plus large et je ne peux pas les en blâmer. Ce n'est probablement pas la route que je prendrai intentionnellement mais si cela arrivait et que je savais que je ne me trahi pas, je pourrais vivre avec ce type de succès. Prend Arrested Development par exemple. Speech s'est contenté de balancer une prière sur un beat et ça a cartonné. On ne peut jamais savoir.



HHC: Ton son est vraiment basé sur la recherche de la boucle parfaite et du beat parfait, parlons donc de disques... Quelle importance accordes-tu au cratedigging en tant que dj et producteur? Quel est le prix le plus élevé que tu ais jamais mis dans un disque?



HB: C'est Peanut Butter Wolf qui m'a donné la fibre en me faisant écouter la série des Ultimate Beats & Breaks. Au début je prenais ça à la légère mais après qu'il me les ais montrés, j'ai su qu'il ne me restait plus qu'à trouver les disques qui n'étaient pas dessus. Mais autrement j'ai reçu beaucoup des disques pour diverses raisons, par différentes personnes que je croisais à l'époque. Je ne suis pas vraiment parti à la chasse aux samples, ils m'ont trouvé. J'ai réalisé que j'avais certains morceaux qu'en en écoutant d'autres sur le même album bien plus tard. C'est ainsi que s'est monté le projet avec Female Fun.

Le prix le plus élevé que j'ai dépensé pour un disque est 75$ pour un vinyle de Sun Ra, le 12" Nuclear War il y a environ sept ans. Mais à part ça je ne me vois pas mettre autant d'argent dans de la musique. Je veux dire, certains des plus gros classiques qui utilisent des samples ont trouvés leur origine dans le bac à occasion. Ca enlève une partie du plaisir de payer autant pour quelque chose. C'est comme tricher. Je préfère avoir une histoire à raconter sur comment j'ai trouvé tel ou tel disque. Ceci étant dit, je défie quiconque de nommer tous les samples utilisés sur "A Turn On The Wheel". C'est aussi pour cela que j'en suis aussi content, parce que la plupart des trucs dessus sont inconnus. J'aime le fait que les gens continuent à chercher leur origine. J'ai reçu quelques offres d'argent de gars qui voulaient savoir d'où venaient les samples (rires). C'est entre moi et les disques baby!





HHC: Parle nous un peu de "Nobody Beats The Boog".



HB: La meilleure description serait : "moi en train de me vanter de mes disques". Pas que je soit vaniteux mais ça fait partie du truc. Ca sert aussi de petit guide élémentaire à ceux qui ne connaissent pas les originaux. La plupart des diggers un peu expérimentés connaissent la bonne majorité d'entre eux, mais je sais qu'ils ne les connaissent pas tous. J'y ai ajouté quelques pépites spéciales. Mais j'espère vraiment que les gens vont en profiter pour les sampler parce que je préfèrerais écouter de la bonne musique pour changer (rires). C'est juste un cd marrant. Tu peux le mettre en fond sonore ou à fond. Il y a une personne qui m'a écrit qu'elle s'en servait pour le cours de danse qu'elle donne aux enfants et qu'ils l'adore. Une autre personne m'a dit que c'était comme un trivial poursuite hip hop. C'est un de mes aspects et certainement pas le seul, mais ça m'a permis d'ouvrir pas mal de portes. Donc merci encore à Peter et DJ Fisher de l'avoir sorti.



HHC: Ton type de son est assez respectueux de ce qui se faisait au début des années 90. Ecoutes-tu aussi d'autres styles de hip hop, des choses plus expérimentales ou synthétiques comme Anticon, Def Jux, etc.? Que penses-tu de cette évolution?



HB: Je suis un produit de mon passé mais je ne suis pas bloqué sur cette époque. J'écoute tout les nouveaux trucs, ils m'intéressent tous. J'aime le fait que des gens aient saisis la balle au bond et soient allés plus loin avec. Je dirais même que j'aimerais remixer certains de ces artistes pour essayer d'y apporter une touche différente. Cela dit je respecte tout à fait leur travail.



HHC: Selon moi on peut considérer le hip hop comme une sorte de religion avec ses puristes, ses extrémistes, ses codes, ses bibles... C'est un peu comme si certaines personnes prêtaient serment au style de vie hip hop. Le considères-tu comme étant au centre de ta vie? Quelle importance prend-il dans ta vie de tous les jours et as-tu déjà eu à sacrifier quelque chose pour lui?



HB: Non, plus maintenant. Je ne peux pas le laisser détruire quoi que soit. Il y a bien trop de facteurs en jeu et de gens que je ne contrôle pas pour qu'il puisse me décevoir. Mais c'est une bonne façon d'échapper au quotidien en ce qui me concerne. La musique est un sanctuaire sous toutes ses formes et bien qu'elle représente une parcelle de ma vie, elle ne prendra jamais le dessus sur tout le reste. Ce serait trop radical.



HHC: Raconte moi ta meilleure et ta pire expérience liée au hip hop.



HB: Les meilleures expériences, c'est simplement les moments qui ont été amusants et excitants. Quand Iz et moi étions à notre top et vivions une vie que j'aurais voulue sans fin. Avant que les stratégies et le business s'en mêlent c'était bien. Etre respecté par ses pairs et les gens que je rencontrais était cool aussi. La pire expérience a été de perdre des amis à cause de cela.



HHC: Quels sont tes projets à venir? Gardes-tu une certaine ambition par rapport à ta carrière musicale?



HB: J'espère ne pas m'arrêter tout de suite. J'ai quelques projets en préparation. En particulier la B.O. d'un film, The Fool, qui sort fin 2006 normalement. Quelques projets avec O.U.O. de Zimbabwe Legit, un avec Cadence de Raw Produce et (normalement) Pep Love des Hieroglyphics. Et pleins d'autres surprises.



HHC: Quel conseil donnerais-tu à un jeune qui veut se lancer dans le rap?



HB: Garde ton nez propre, ne t'arrête pas et ne brûle pas les ponts.



HHC: Ok, merci pour tes réponses. Un dernier mot?



HB: La réputation est la pierre angulaire du succès.



Interview de Pseudzero
Novembre 2005

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