Birdy Nam Nam

Il est 21h00, les quatre membres de Birdy Nam Nam entrent en scène et offrent au public nombreux ce soir là un show dense et tonitruant, où s'enchaînent sans encombres certaines de leurs meilleures compositions parmi lesquelles 'Too Much Skunk Tonight', 'Body, Mind, Spirit', 'Escape', 'Abesses', 'Engineer Fear' (morceaux que l'on retrouve sur leur premier album éponyme qui vient tout juste d'atterrir dans les bacs), le tout entrecoupé de quelques routines solos bien senties. Fin du show, le public sort de la salle conquis par la performance du groupe. Une fois remis de nos émotions, direction les loges, où Crazy B, Need, Pone et Lil' Mike ne nous ont pas attendu pour commencer à fêter cette soirée plus que réussie. Ambiance joviale, plutôt arrosée, et enfumée. Une bonne occasion pour parler de tout et de rien, mais surtout de leur musique, de leurs parcours en solo ou en groupe.

Lieu: La Cartonnerie, Reims, France.
Date: Samedi 28 Mai 2005.
Festival: Elektricity 3 par Binary Gears.



HHC: Tout d'abord, qu'est-ce qui différencie les Scratch Action Hero's des Birdy Nam Nam?



Pone: Bah déjà on est beaucoup moins (rires), parce que finalement avec Scratch Action Hero on était beaucoup. Birdy Nam Nam c'est en quelque sorte une évolution de Scratch Action Hero.

Crazy B: La différence c'est qu'on ne faisait pas trop de musique avant, c'était surtout pour les compétitions.

Pone: Ouais à l'époque de Scratch Action Hero on était encore dans le délire des compétitions. Toutes les prestations qu'on faisait c'était plus ambiance showcase, démonstrations techniques, championnats, ca restait basé sur la compétition.

Need: On était encore fort à cette époque là, techniquement… (rires)

Pone: Oui, et en fait certains membres du crew ont décidé de partir dans d'autres directions.

Crazy B: En gros, c'est un autre groupe. Maintenant, on a plus un concept de groupe qui fait de la musique ensemble.

Pone: Et donc, tous les quatre, on s'est retrouvé par affinités à faire ça.



HHC: Est ce que vous vous intéressez au travail de vos ex-collègues Mouss et Moth?



Pone: Franchement non! On ne fait pas attention mais si on entend parler d'eux ça nous fait plaisir quand même.



HHC: Les différences d'âge, notamment entre Crazy B et Little Mike, ne créent-t'elles pas un "conflit de génération" entre vous. Etes-vous sur la même longueur d'onde?



Pone: Bah en fait il y a un conflit de génération entre chacun de nous, car personne n'a le même âge, on ne vient pas du même endroit et on n'a pas eu les mêmes vies, et c'est ce qui fait la force du groupe. Mais on arrive toujours à faire ce dont on a envie. On a tous des univers différents, on a tous des influences différentes. On met du temps des fois à trouver un chemin similaire mais quand on le trouve on est généralement content du résultat.

Crazy B: Ouais on est souvent d'accord quand même.

Pone: C'est pas simple parce qu'on aspire pas aux mêmes choses au même moment mais on arrive après moult et moult engueulades à ce qu'on veut.



HHC: Pourquoi avez-vous arrêté les championnats du monde par équipe?



Crazy B: Pour faire de la musique, au lieu de passer énormément de temps à se concentrer sur un championnat.

Pone: Parce que les championnats c'est une époque, un passage, une façon de penser, et ta manière de travailler est différente que quand tu fais de la musique. Donc je pense qu'on s'est retiré au moment ou il fallait. On n'avait pas forcément tout fracassé mais on n'avait plus rien à prouver.

Crazy B : On a donné quand même…

Pone: Ouais surtout toi (rires). A un moment donné, on se dit que les compétitions c'est bien mais on a envie de faire des concerts, de faire vraiment de la musique, pas que des plans de compétitions, on voulait vraiment faire autre chose.





HHC: Comment s'est décidée la signature chez KIF? Le label vous a-t-il laissé carte blanche?



Pone: On n'a pas signé chez KIF.

Crazy B: On est en train de signer chez UWE pour l'album.

Need: Ouais enfin les deux premiers maxis de l'album qui sont dans les bacs sont sortis chez KIF. C'est KIF qui a produit l'album et qui nous a donné les moyens de le réaliser. Quand on a commencé l'album on ne savait pas vraiment vers quoi on s'engageait, vu tout le background qu'on avait individuellement et en équipe, on était resté dans des réseaux de compétitions. Quand on est passé à la composition on savait pas vraiment ce à quoi ca allait ressembler. C'étaient pas seulement des beats fait aux platines et des solos avec des "fresh" et des "ahh", on avait été plus loin que ça et ca ouvrait plus de perspectives. Mais à partir du moment où l'album était fini c'est vrai qu'on a fait la démarche d'aller le faire écouter à pas mal de labels. Parce que KIF ca reste un petit label indépendant... il y a eu quelques accroches et au final c'est UWE qui a été le plus chaud, qui était enthousiasmé par l'album et qui voulait travailler plus en profondeur avec nous.

Pone: Pas forcément le plus gros mais en tout cas le label le plus motivé.

Need: Voilà, ils sont motivés, c'est un label indépendant aussi sauf que KIF il est tout seul, eux ils sont douze et il y a un vrai staff, une vraie équipe. Mais l'album sortira quand même en vinyl chez KIF.



HHC: Toujours en parlant de KIF Records, il était annoncé un remix des Jazz Liberators par vos soins, pourquoi ce projet n'a t'il pas vu le jour?



Pone: Bah parce que ça n'a pas fonctionné…

Crazy B: On a été mauvais. (rires)

Need: C'est une question de temps aussi…

Pone: On n'a pas eu la vibe au moment où il fallait, ça ne le faisait pas mais ce sera à refaire.



HHC: [Need] Tu voulais sortir une tape indé 90's avec Pone, est-elle toujours d'actualité?



Pone: On avait commencé à sélectionner des sons, à chercher des mixs, etc… Mais en fait c'était vraiment au moment où on a commencé l'album, donc l'album a pris le pas sur la tape.

Need: On ne s'est jamais dit qu'on n'allait pas la faire, on a juste d'autres projets pour l'instant…

Pone: C'est tombé au début de l'album et on a préféré bosser des prods.

Need: Mais on aura sûrement l'envie d'y revenir à un moment ou à un autre.

Pone: Ouais ca c'est sûr.



HHC: Justement, quel est votre intérêt pour le rap actuel?



Pone: Et bien moi ca fait quatre mois que je n'ai pas acheté un seul disque de rap, alors qu'avant j'en achetais toutes les semaines.

Need: Il décroît (rires).

Pone: Ouais je ne sais pas si je décrois mais je m'intéresse de mois en moins au rap.





HHC: [Pone] Etant le plus prolifique des 4 en ce qui concerne les mixs, peux tu nous parler de tes futures sorties?



Crazy B: Pone le plus prolifique! C'est un gag ou quoi? (rires)

Lil' Mike: Ouais, attention Crazy B il a fait Alliance Ethnik aussi… (rires)

Pone: Ouais, c'est lui qui a gagné le plus de fric quand même (rires). En ce qui concerne les futures sorties, déjà l'album de Birdy Nam Nam, une mixtape à la rentrée aussi j'espère, le nouvel album des Svinkels en janvier 2006 je pense, et voilà.



HHC: [Need] Tu as aussi collaboré au bouquin "Scratch Graphique", avec le recul comment juges tu ce travail et quels ont été les retours?



Need: On y a tous collaboré en fait. C'est un pote à moi qui a fait le bouquin donc j'ai été impliqué dans le projet dès le début. C'était son mémoire de fin d'études pour son école de graphisme. Après qu'il ait rendu son mémoire et qu'il ait été diplômé et major de promo, un éditeur a décidé de le sortir. Il avait développé cette idée plus où moins en me voyant, ca faisait longtemps que ca germait dans sa tête. C'était le début de Birdy Nam Nam, on avait cette volonté de faire de la scratch music et de composer un peu avec la platine comme élément majeur. En gros ça a été nos premiers morceaux totalement réalisés aux platines avant l'album, donc ce fut une étape importante pour Birdy Nam Nam.



HHC: "Scratch Graphique" était accompagné du fameux cd où figure le superbe titre 'From Here To There', y aura t-il une chance de voir une version vinylique de ce morceau?



Need: Il sera peut-être sur l'album cd, mais pas sur le vinyl.

Pone: Ouais c'est un très vieux morceau qui a au moins deux ans. Donc on verra.



HHC: Le nouvel album est près depuis pas mal de temps, qu'est ce qui freine la sortie? La recherche d'un label plus conséquent, plus performant en terme de distribution, vos projets individuels, les nombreux lives que vous avez donné...?



Pone: Oui, il est près depuis très longtemps (rires). Mais, quand tu vois le label sur lequel on est tu te doutes bien que ce n'est pas une histoire de gros ou de petits labels. C'est une histoire de vérités, d'engagements et de motivations.



HHC: Je crois savoir qu'il y aura un featuring avec D-Styles, comment s'est passée la rencontre? Comment a-t'il abordé le projet?



Need: Le morceau est déjà fait!

Pone: On l'avait rencontré par le biais des compétitions. Moi j'avais fait une compétition à San Francisco, j'avais été chez lui et on avait bien kiffé.

Crazy B: Au Batofar aussi.

Pone: Il est venu à Paris, au Batofar, on a fait un truc avec lui et il nous a dit : "J'aime bien ce que vous faites et j'aimerais bien qu'on bosse ensemble", il n'a pas parlé dans le vent, et le jour où on a eu envie de faire quelque chose avec lui, on l'a fait venir avec Mike Boo des Ned Hoddings. Ils sont restés une semaine à Paris et on a fait le morceau avec eux.



HHC : Qu'apportent t'ils de plus au titre?



Pone: C'était une ambiance. Ils avaient une façon de travailler bien différente de la nôtre. Ils faisaient beaucoup de freestyles, ils essayaient des sons et dès qu'il y en avait un qui leur plaisait ils l'enregistraient.

Need: On a fait ce morceau assez tôt, vers le milieu de la réalisation de l'album, donc on avait tous les morceaux mais aucun n'était complètement fini. On découvrait notre propre méthode de travail, ils en ont apporté une totalement différente. D-Styles bosse sur le même logiciel que nous en fait (Pro Tools), du coup il s'est occupé de l'enregistrement de la session et quelque part il l'a un peu dirigé artistiquement. On retrouve bien l'atmosphère D-Styles dans le morceau si tu connais un peu son album (ndlr : "Phantazmagorea"), c'est quand même le morceau de l'album le plus…

Pone: "Dark".

Need: Nan pas vraiment "dark", mais un peu atmosphérique. On est rentré dans leur délire. A un moment on a capté que D-Styles était peut-être pas aussi ouvert que nous parce qu'on balançait des sons et on voyait un peu sa réaction. On s'est un peu limité pour ce morceau contrairement au reste de l'album. Et des fois c'est vrai qu'une seule piste peut complètement changer la couleur et la perception qu'on peut avoir d'un morceau. Mais, quoi qu'il en soit, on est super contents du résultat.

Pone: Il a vraiment apporté quelque chose.

Need: Oui, on a composé tout le morceau ensemble. Il n'y a pas de solos dessus.

Pone: C'est pas un morceau où il y a D-Styles qui se défonce en scratch, parce que lui ca l'aurait saoulé de faire ça. Il a fait tout le beat du morceau en live.

Need: On enregistre très souvent piste par piste. On trouve une ligne de basse, une batterie, le lead... et on va finir par les arrangements. Eux, ils travaillent beaucoup plus à base de jam sessions. Donc on a enregistré à quatre, et quand on a trouvé un truc qui tournait bien, on l'a enregistré sur une longue piste en live de 4:30 minutes, ensuite on a développé le morceau en faisant des séquences sur ces 4'30.

Pone: Le beat a été fait en une prise. C'est chaud mais ca fait mal!



HHC: Mike Boo est aussi un ex-membre de 89 Scratch Gangstaz, cela me fait rebondir sur l'autre Pone des states, y a t'il eu confrontation artistique entre les deux Pone?



Pone: Ouais! A San Francisco…

Lil' Mike: Il lui a niqué sa race (rires).

Pone: C'était en 2001, il y avait la compétition ITF et moi j'y participais. Et effectivement il y avait ce Pone et on a fait une battle scratch dans la chambre d'hôtel.



HHC: Et il y a eu des témoins?



Pone: Oui, il y a eu des témoins.

Lil' Mike: Il s'est fait fumer en vrai (rires).

Pone: Tu leur demanderas!



HHC: 'Too Much Skunk Tonight' l'année dernière, 'Mary Jane' en 99 sur l'album du Double H DJ Crew, la fumette est-elle une vraie source d'inspiration pour vous?



Pone: Pour moi oui. Enfin ça en fait partie.

Need: Non, pour moi ce n'est pas une source d'inspiration.

Lil' Mike: Non, c'est un kif de travailler quand t'as fumé parce que l'ambiance est différente.

Crazy B: On ne fait pas la même musique, obligatoirement. Mais c'est bien de faire les deux.

Need: Sur l'album on n'a pas tant fumé que ça en fait (rires). On fume beaucoup plus depuis la fin. Mais ça ouvre des perspectives.

Crazy B: Voilà, mais ce n'est pas un cheval de bataille…

Lil' Mike: En gros, on aime juste fumer des joints (rires).

Pone: On adore ça mais après on n'en fait pas l'apologie.



HHC: Comment abordez vous une nouvelle composition?



Lil' Mike: En freestyle.

Need: On n'aborde pas du tout. Il n'y a aucune méthode, il n'y a aucune façon de préparer un nouveau morceau. C'est juste la vibe en fait, quand on sent qu'il y a un truc. La plupart des nouvelles musiques qu'on a faite récemment, c'était dans le cadre de répétitions pour un concert. Pour revenir à ce qui s'est passé avec D-Styles et Mike Boo, s'il y a quelque chose qu'on a gardé de cette rencontre, même si on le faisait déjà avant et que ca n'a pas été une révélation, c'est qu'on jam beaucoup plus maintenant et il y a beaucoup de morceaux qui partent de ça. Mais, on ne se dit jamais, quand on fait un nouveau morceau : "Dans quelle direction on part?"



HHC: "The Scetchbook" de Ricci Rucker et Mike Boo ou le travail de Gunkhole en général, vous a-t-il inspiré dans vos démarches de composition?



Crazy B: Absolument pas.

Need: Pas du tout.

Crazy B: On ne l'a même pas entendu.

Need: Mike Boo avait ramené "The Scetchbook" quand on a collaboré mais notre album était déjà super avancé. Moi je connaissais un peu parcequ'à un moment j'étais actif sur le net, puis bon après quand j'ai bougé sur Paris, je n'avais plus de maison, plus rien, donc plus d'ordinateur et plus de connexion Internet...

Pone: Homeless!!! (rires)

Lil' Mike: Révélation! (rires)

Need: Donc il y avait surtout Pone et Mike sur le net, et un peu Crazy B, qui était moins à l'affût. Ils ne l'avaient jamais entendu avant que Mike Boo nous le fasse écouter.

Crazy B: Ca fait donc peu de temps.

Need: Puis ca ne les intéresse pas en fait. Moi, personnellement j'ai peut-être était très influencé, à un moment, quand j'ai commencé le scratch et que j'avais besoin de cette inspiration et de ces influences. Je voulais comprendre les démarches de chacun. Je me suis beaucoup influencé de D-Styles et de plein de gens, pour les scratchs. Mais, à un moment, je pense qu'on a complètement passé ce cap-là. Maintenant on est nous, on est le résultat de toutes ces choses-là mais on n'a plus besoin d'éléments extérieurs.

Pone: On n'est plus à l'affût de ce qu'il se fait en scratch ni de ce qui se fait en compétition, on a complètement lâché.

Need: Et quelque part je pense que c'est ca aussi qui a plu à D-Styles et à Mike Boo.

Pone: On s'inspire aussi entre nous, comme on n'écoute pas les mêmes choses. Chacun fait découvrir des trucs aux autres.





HHC: Comme vous l'expliquez dans l'interview de votre DVD promotionnel, vous n'utilisez que vos disques/mixettes/vinyls pour vos compositions. Pourquoi bannir samplers, boites à rythmes et autres machines?



Need: Ce n'était pas "bannir" en fait. C'était un peu dans l'air du temps au moment où on l'a fait. C'est vrai qu'il y avait les références D-Styles, Ricci Rucker et Mike Boo qui ont repris le truc, mais nous on avait envie de relever le challenge, c'était plus un pari avec nous-même.

Lil' Mike: C'est aussi quelque part le seul moyen qu'on avait pour faire de la musique. Les platines, c'est ce qu'on contrôle le mieux, donc c'était la suite logique des choses sans penser à ce qui s'était fait avant.

Pone: C'était aussi un peu un défi à relever, parce qu'on a pas retourné notre veste. Maintenant c'est clair qu'on a un peu plus envie de bosser avec des samplers et avec des musiciens.

Need: Oui, c'est l'évolution aussi…

Pone: Voilà, c'est l'évolution, le challenge de faire tout aux platines on voulait le relever et on l'a relevé. Maintenant, on a envie de s'ouvrir, on aspire à d'autres trucs.

Crazy B: Oui, mais on va garder ce concept pour le live, car c'est un peu la base de notre musique quand même, l'intérêt c'est de le faire aux platines.

Pone: Je pense que pour le prochain album il y aura l'intervention de musiciens. Tout ne sera pas forcément fait aux platines.

Need: C'est aussi parce qu'on a fait ca à un moment et qu'on a vu un peu tout ce qu'il était possible de faire. Maintenant, on en voit aussi les lacunes.

Pone: L'album a été mixé il y a presque un an et demi, il sort en Octobre, et c'est vrai que depuis, on a bossé avec des musiciens, on a fait d'autres choses. Des mecs venaient poser des claviers sur les morceaux qu'on avait fait, si on les dirigeait comme on l'entendait, ils nous sortaient des trucs de dingues. Donc la suite logique de Birdy Nam Nam c'est de bosser aussi avec des musiciens, de ne pas forcément tout faire aux platines.



HHC: Comment se fait la sélection des samples? Etes-vous des crate diggers dans l'âme, à la recherche permanente de nouveaux samples?



Pone: Absolument pas!

Lil' Mike: Crazy B a bien crate diggé, à un moment, quand même.

Need: Oui, il a crate diggé quand même huit mille disques qui ont été une bonne base pour faire l'album! Enfin, il a au moins quatre milles disques de jazz, de funk…

Pone: Ca a été un bon apport, mais après on n'est pas des crate digger de dingue…

Crazy B: Enfin si. On l'est, quelque part, parce qu'on a quand même plein de disques, Need en achète beaucoup, moi aussi, avant...

Need: Quand on a commencé l'album, j'ai dû acheter 400 disques dans les six mois qui ont suivis. J'ai aussi découvert beaucoup de choses chez Crazy B, à travers sa collection. Je commence à acheter des disques à 60, 80 ou 100 euros, donc je commence à digger et à mettre de l'argent dans les disques. C'est une vraie satisfaction pour moi d'aller acheter des disques et d'utiliser le disque pour faire un morceau. Mais je ne veux pas écouter les disques avant de les acheter, j'ai des potes qui ont des pick ups et qui le font, mais moi je ne les écoute pas, je veux faire confiance à ce que je vois, à l'impression que j'ai.

Crazy B: Dans l'ensemble, si on regroupe toutes nos collections, on a quand même beaucoup de disques à notre disposition. On a beaucoup de sons par rapport à des gens qui vont commencer la scratch music maintenant et qui se retrouvent avec vingt breakbeats et puis quelques disques de jazz, c'est vrai qu'on a un background de sons important.

Need: Mike achète beaucoup de rock et d'électro, donc il va amener ce son-là par exemple dans les batteries. Du coup, ça peut sonner très électro. Nous, on a plus une base de black music.

Crazy B: En ce moment on ne dig pas, mais on va s'y remettre pour le prochain album.





HHC: Durant le live vous prenez le temps d'expliquer au public votre façon de procéder (chacun de vous a un vinyl regroupant des sons correspondant à un instrument). Est-ce important que les gens comprennent comment vous réalisez votre musique?



Pone: Oui, parce qu'au début on n'était pas du tout chaud pour expliquer ce genre de trucs en live, parce qu'on n'est pas des rappeurs, parce que la prise de micro est très difficile, des fois c'est un peu ridicule même (rires). Mais effectivement, on s'est aperçu que les gens ne comprennent pas forcément toujours ce que l'on fait, et peut-être qu'ils pensent qu'on passe seulement des disques…

Need: Surtout qu'on est quand même pour l'instant amené, et c'est ce qui est intéressant aussi pour nous, à jouer devant des gens qui ne savent pas du tout qui on est.

Pone: Ouais c'est pas un truc de championnat.

Need: Quand on fait des festivals et qu'on est amené à jouer devant plus de 800 personnes, souvent tu as 20 personnes qui sont devant et qui connaissent les morceaux, mais les 800 autres non.

Pone: Oui, on explique vite fait.

Need: En plus on n'a pas des moyens pour rendre notre show super lisible aujourd'hui. On a pas un mec aux lumières qui tourne avec nous, il n'y a pas de vidéo vu qu'il n'y a pas systématiquement un écran derrière... donc c'est déjà assez dur pour les gens de savoir qui fait quoi quand ils ont compris le truc. On préfère leur faire comprendre tout de suite.

Lil' Mike: En même temps, le fait de prendre le micro et de parler apporte un contact en plus, un truc qu'il n'y avait pas avant.

Pone: Ca nous permet de tenir un peu les gens. Mais c'est super récent, ca doit faire trois ou quatre concerts qu'on fait ca.



HHC: Bien que le phénomène DJ soit à la mode, la scratch-music reste un genre très underground. Cette nouvelle manière d'aborder le scratch, avec des sonorités plus "électro" peut-elle lui permettre de sortir de l'ombre?



Lil' Mike: Alors là attends, parce qu'il y a amalgame. La scratch music, ce n'est pas un son ou une sonorité, c'est une manière de faire. Tu peux faire plein de styles de musique en gros. Après, c'est clair que le fait d'utiliser d'autres sons, des sons qui parlent peut-être plus aux gens, en l'occurrence de l'électro, amène forcément le public à s'intéresser à ce que tu fais, je pense. Si tu fais de la musique un peu jazzy, il y aura forcément un public un peu plus jazz, mais de toute manière, faire de la musique amène autre chose que du scratch en soi, c'est trop réducteur de scratcher pendant une heure.



HHC: Est-ce que le scratch est maintenant complètement indépendant du hip-hop et est devenu un art à part entière?



Need: Oui, complètement, du moins c'est en voie de développement.

Crazy B: Vu l'évolution que prend le scratch maintenant, je pense que ça va faire revenir les rappeurs à travailler avec des DJ's scratch.

Lil' Mike: Et à faire autre chose que leur rap de merde qui tourne sur une boucle de huit mesures…

Need: Ils n'ont pas besoin de nous pour ça, les instrus rap évoluent et c'est de plus en plus intéressant.

Crazy B: Moi je pense que ca va revenir. Il y a encore un peu de travail.





HHC: Maintenant que la hype est un peu passée, comment trouvez-vous que la scratch music évolue? Car même si c'est un phénomène récent, j'ai l impression que l'engouement est fortement redescendu, et que finalement vous êtes peu à faire de la scratch music à ce jour.



Need: Il n'y a jamais eu d'engouement autour de la scratch music... Je pense que tu veux plutôt dire que l'engouement pour les compétitions et la culture DJ est un peu redescendu. Je pense que la scratch music n'a jamais vraiment décollé, à part pour les gens qui sont un peu sur le net. Mais si c'est ce que tu veux dire, je suis peut-être complètement à côté..mais je crois qu'il y a l'aspect compétition qui a été en explosion jusqu'à il y a un, deux ou trois ans et qui est un peu sur la descente. Mais en même temps, on est tellement dans un créneau "nouveau" que les gens ne connaissent pas, mais qui par chance les intéresse, que l'on calcule pas ça. On est complètement passé à autre chose et on arrive avec un projet, quelque part avec un concept, même si n'a pas du tout été conceptualisé en amont et que c'est pas du tout un résultat marketé ou quoi que ce soit. Pour nous, c'est juste la suite logique, vu le parcours que l'on a eu. Donc, même s'il y a une perte d'engouement qu'elle quelle soit, on est tellement en marge qu'on ne le ressent pas.



HHC: Pourquoi remplir vos maxis de sons, d'instrus, à la manière d'un breakbeat plutôt que de mettre simplement les titres du single?



Lil' Mike: Et pourquoi pas?!!

Pone: Parce qu'on est DJ avant tout! (rires)

Need: Encore une fois ce n'est pas une démarche de vouloir un peu formater le truc. C'est juste pour en donner plus, en fait, on essaye de donner les sons pour ceux que ca intéresse de refaire les morceaux.

Lil' Mike: On est de gars sympas (rires).

Need: Et puis, voilà, ce n'est pas du rap, on ne met pas la version vocale, l'instru, la clean et la dirty. On ne met que le morceau déjà, parce qu'il y a des morceaux pour lesquels on ne voit pas l'intérêt de mettre l'instru, vu que c'est déjà principalement instrumental. Donc plutôt que de donner trois morceaux de 3'30 où tout pourrait tenir sur une face, autant utiliser les douze minutes de l'autre face.



HHC: Et est-ce que vous prévoyez de sortir le "breakbeat" de l'album?



Need: On a parlé de ça parce qu'on a pressé deux disques avec les sons que l'on a utilisé pour faire l'album, et on s'était dit qu'on allait peut-être mettre en bonus dans la version vinyle de l'album un des deux disques qui nous a servi à le réaliser. Mais au final, je pense que ca ne va pas se faire pour plein de raisons trop longues à expliquer.



HHC: [Lil' Mike] Peux-tu nous en dire plus sur ton autre pseudo : le "remix boy"? Comment cela t'est venu?



Lil' Mike: J'en sais rien, c'est venu au hasard. Enfin ca vient de Crazy B à la base.

Crazy B: J'avais monté un concept de manager et je m'occupais de lui. Je le faisais tourner dans tous les mariages (rires).

Lil' Mike: Voilà c'est un trip à la con (rires).

Crazy B: On avait un peu fumé. On était parti dans un délire et tout le monde croyait que c'était super sérieux alors qu'en fait c'est du dixième degré.



HHC: [Need] Un pseudo beef entre toi et Ricci Rucker est né, qu'en est-il exactement?



Need: Je n'ai pas vraiment suivi en fait, je ne suis même pas trop au courant vu que je n'étais déjà plus trop sur le net. Je crois que c'est par rapport à ce que j'ai dit dans une interview. Enfin je ne sais pas, il n'y a rien à dire sur lui. Je ne m'intéresse même plus à ce qu'il se passe et à ce qu'i peut dire parce que je le respecte complètement artistiquement, mais voilà le mec il est... On a même abordé le sujet avec D-Styles et Mike Boo et eux aussi souffrent de son attitude quand ils travaillent ensemble. Mais le mec est comme ça. Ils sont amis donc ils prennent le gars comme il est, ils ont conscience que son attitude leur nuit. Quand il dit que Gunkhole c'est de la bombe forcément ca met la barre super haute. Donc tu ne peux qu'être déçu quand tu vas les voir! C'est comme quand tous tes potes vont voir un film et te disent que c'est génial, tu arrives dans le ciné et ils ont tellement mis la barre haute que t'es forcément déçu. Gunkhole c'est méchant, techniquement et musicalement, nous on est incapable de faire ca, d'improviser pendant une heure et demie, mais le problème c'est qu'à force de dire que c'est génial, que c'est révolutionnaire et que ca repousse les frontières de tout ce qui a été fait avant dans la musique, tu t'attends au moins à voir Mozart sur scène, et même à en voir trois en même temps, donc t'es forcément décu. Il n'y a pas vraiment de décalage entre ce que l'on peut penser et ce que peuvent penser les gens, on est juste un peu objectif sur son attitude, il pourra dire tout ce qu'il veut, on sait qui on est, on sait ce qu'on fait. Mais, il n' y a même pas de mauvais esprit ou quoi que ce soit, c'est juste que voilà, il est comme ca. Ca n'a aucune influence sur nous, ça ne nous changera pas, mais c'est vrai que c'est un peu triste pour lui, un peu triste pour la musique…

Lil' Mike: C'est son fond de commerce en même temps, c'est ce qui lui permet d'exister. Si Niks n'était pas une grande gueule sur Internet on entendrait pas parler de lui, ou alors on entendrait parlait de lui en tant que bon scratcheur, mais vu qu'il ouvre sa gueule sur tout et tout le monde, il est devenu un personnage incontournable, mais on s'en bat complètement les couilles.

Need: En plus, moi je dirais que ça va jusqu'à gâcher son talent. Parce que le mec a plein de choses à dire, plein de choses à faire, il a plein de concepts. Franchement dans les perspectives c'est un artiste de grand talent, c'est indéniable, je ne dirais jamais le contraire, j'ai le plus grand respect pour lui.

Lil' Mike: Mais il est tellement excécrable…

Need: Mais, à un moment on aurait pu tenir son discours aussi, peut-être même que c'est ce qu'on pense. Nous, on a fait un album en scratchs alors qu'il y en avait eu deux précédemment, l'album de D-Styles et l'album de Mike Boo ("The Scetchbook", ndlr), et même si c'était des "partages en couilles", on se disait qu'on été quand même allé quelque part, c'est quand même l'aboutissement de quelque chose, on était fiers du résultat. A un moment, quand tu vas dans une direction un peu inédite, tu fais des crises d'ego et tu te dis "Ouais, là on a tout niqué". Parce qu'en plus, on a fait un truc encore différent de ce qu'a pu faire D-Styles, même s'il y a un peu plus de vibes similaires entre le "Scetchbook" et notre travail, vu qu'ils ont, comme nous, samplé beaucoup de jazz, mais on était dans un autre délire. Donc je peux comprendre son attitude, je ne lui jette pas la pierre.

Lil' Mike: Mais j'étais à deux doigts de le faire (rires).

Crazy B: Et en plus, il finit par dire "Je ne lui jette pas la pierre" (rires).

Need: Je suis complètement tolérant. Tout le monde peut montrer son cul sur Internet, il peut faire ce qu'il veut, je serai objectif quand je vais écouter de la musique. Si c'est bien et que ca me plaît, je vais dire que c'est bien et que ca me plaît. Si c'est bien mais que ça ne me plaît pas, je vais pouvoir objectivement dire que c'est bien et qu'artistiquement il est allé quelque part même si ca ne me plaît pas. Mais si j'ai envie de dire que ca me plaît pas ca changera pas me perception de son son, de sa musique, si je n'aime pas, je n'aime pas.



HHC: Need.com a longtemps été le rendez-vous des nerds et autres fans de la scratch music, pensez vous que les deux soient liés (Internet et la scratch music)?



Need: Internet s'inscrit dans la réalité socio-culturelle de notre temps, donc forcément, ça influence la direction de tout ce qui se passe dans le monde actuel, que ce soit dans la musique ou dans tout autre chose. Pas uniquement sur les forums d'arts, mais aussi dans la communication, dans l'information, dans tout. C'est juste qu'aujourd'hui il y a Internet et forcément, ça a eu une influence parce que ça aide à ce que l'information circule mieux. Je pense que depuis qu'il y a des gens présents sur le net, surtout des gens comme Nicks, qui balance régulièrement du son sur Internet - le mec est tellement productif qu'une fois par mois il peut lâcher un ou deux morceaux - ça permet aux gens et aux fans d'avoir régulièrement de la nouveauté alors que c'est un truc super underground, encore pas trop reconnu par le monde de la musique et du disque, pas forcément facile à sortir et à être bien distribué. Dans ce sens là, ça a une vraie influence positive.



HHC: On a eu l'occasion de voir Crazy B avec Alliance Ethnik et Raggasonic ; Pone avec à peu près tous les groupes de rap français (Svinkels, Triptik, La Scred), Lil Mike avec Jeremy Chatelain, mais Need fut le DJ de qui?



Need: J'étais le DJ d'un groupe local qui s'appelait Riposte, un groupe d'Orléans, de la ville d'où je suis. C'était vachement bien à un moment, il y avait une bonne direction, il se passait des choses, on était six. On a même fait les découvertes du printemps de Bourges. Mais le mec qui faisait des sons a eu des enfants, les mc's qui venaient un peu d'horizons différents sont retournés dans leur pays d'origine. C'était une pure expérience pour moi, et même si c'était un tout petit parcours on a fait quand même quelques scènes dont j'ai bon souvenir.

Crazy B: Quelques sons avec Les Rieurs aussi…

Need: Oui, j'ai fais quelques trucs à un moment avec Les Rieurs, quand Pone est parti et avant que Moth ne reprenne le truc plus tard. J'ai fait trois dates avec eux, dont une au Bataclan.



HHC: [Lil' Mike] Comment t'es tu retrouvé DJ de Jeremy Chatelain?



Lil' Mike: En fait il s'avère que c'était mon pote, c'ETAIT hein… et que lui aussi avait été DJ donc il s'intéressait un peu à ce qu'on faisait. Il kiffait un peu Birdy Nam Nam aussi. A un moment, il a fait un album et une tournée, il m'a proposé de tourner avec lui. Au final, même si on ne se parle plus et qu'on n'est plus pote, parce qu'au niveau des directions musicales on était pas dans le même délire, ca reste une pure expérience parce que j'étais avec des musiciens. Ca m'a permis de taffer avec des mecs qui connaissaient la musique, qui savent être dans les temps... Ca a été un bon exercice, ca m'a apporté quelque chose.



HHC: Je me souviens d'une interview où Pone parlait des difficultés à vivre de son art, est-ce que vous vivez tous de votre passion?



Pone: On survit de notre passion, mais on n'en vit pas. On n'a pas de bagnoles, on ne vit pas dans des grands appartements, on ne se tape pas des restos tous les jours…

Lil' Mike: Ouais c'est la dèche, c'est par périodes, en fait.

Need: C'est comme dans la musique en général. Si tu fais pas un truc qui rentre dans la norme commercialement parlant tu vis pas de ton truc, t'es en survie…

Pone: Quand t'es avec Birdy Nam Nam ou Svinkels, ce n'est pas le genre de groupe qui génère énormément d'argent en ventes de disques.

Crazy B: Moi avec Alliance Ethnik, j'ai touché un peu quand même (rires).



HHC: Vous participerez à la soirée "The French Chapter" le 23 Juin qui réunit la crème des DJ's français, est ce que vous avez l'impression de faire partie d'une scène dite française? Portez-vous beaucoup d'attention au travail des DJ's qui seront présent ce soir là?



Need: On y porte attention, mais en même temps on se sent totalement dans un autre délire. Peut-être qu'on ne l'est pas et que les gens extérieurs ne le perçoivent pas comme ca, mais on a vraiment l'impression de faire tout autre chose que ce que fait Coup 2 Cross et Audiomicid (même si je ne sais pas ce qu'ils ont fait récemment). On est un groupe, donc sur la scène française on n'est pas comparable à beaucoup de gens à part Coup 2 Cross. Sinon, on a un grand respect pour Netik et Troubl, mais ça reste des individualités, ils font leurs trucs tout seul. Donc non, on n'a pas l'impression de faire partie d'une scène dite française.

Crazy B: Si, par rapport aux étrangers on défend un peu notre musique, parce qu'on est français.

Need: Forcément. Mais on n'est pas impliqué, ni socialement, ni politiquement, ni philosophiquement. Forcément, on est français et on le défendra jusqu'au bout.

Crazy B: On est universel (rires).



HHC: [Crazy B] Juste pour m'ôter d'un doute... c'était bien toi le DJ de Gloria Gaynor lors de son énième come back?



Crazy B: Oui. C'est un mec de Canal + qui voulait absolument que je sois derrière Gloria Gaynor, je ne sais même plus pourquoi d'ailleurs. Et pour tout te dire, ma maison de disques m'avait un peu poussé à le faire aussi. Mais, en même temps, je me suis dit "Gloria Gaynor pourquoi pas?". J'étais un peu obligé, ca faisait plaisir au mec de Canal, et pour moi aussi c'était un plaisir. Ce n'était pas du tout préparé, je ne savais pas du tout ce que j'allais faire, je n'avais même pas répété avec elle.



HHC: Avez-vous un dernier mot?



Pone: Merci à Reims et à La Cartonnerie, une des plus belles salles de France. Les rémois ont beaucoup de chance d'avoir une salle comme ca, avec des gens qui reçoivent les artistes super bien.



Propos recueillis par Phara
Questions par Bachir, MC23 et Phara
Photos de Elo B, exceptées la 3 et la 9 de Guilhem
Octobre 2005

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