Sefyu

"Avec le succès, y’a l'interview Hip-Hop Core qui va avec!" Une gimmick, un gros buzz et un phénomène ghetto qui terrorise le rap français. Sefyu est hardcore et bouffe les micros comme peu l’ont fait ces dernières années dans l’Hexagone. Résultat : un succès considérable en 2006 avec un album, "Qui Suis-Je?", violent comme un direct du droit dans l’estomac. A la manière du Booba époque Lunatic, Sefyu refuse ‘strass et paillettes’ et prône un retour à un rap direct et proche de la base. Entretien.



Hip-Hop Core: On sent que ton buzz de 2006 était bien préparé, avec une grosse campagne de stickers, des affiches, des concerts gratuits... Les retours ont été à la hauteur de tes espérances?



Seyfu: C'est vrai. Le buzz s'est fait grâce à toute la campagne de street-promo et le street-marketing dont s'est occupé le G8 (ndlr: le crew qui entoure Sefyu). Mais on ne se prépare jamais à ces choses-là. Aujourd'hui il faut avoir un peu d'humilité, bien resituer les choses, être entouré de personnes franches qui disent les bonnes choses en temps et en heure, comme ils le font actuellement. Et puis sinon, je gère ça en étant tout le temps avec la même équipe, en gardant la même ambition et, surtout, en gardant la même continuité. Je ne m'endors pas sur mes lauriers en me disant que c'est bon. L'album est sorti et a reçu un bon accueil, mais je ne m’en contente pas. Aujourd'hui, je me projette déjà dans le deuxième album, je suis en train d'écouter des instrus et d'y travailler. L'essentiel est d'être bien entouré, sinon on peut vite perdre la boule et se sentir dépassé.



HHC: Es-tu d'accord pour dire que ce premier album, « Qui Suis-Je? », est d'abord marquant par la violence qu'il dégage ?



S: La violence dans l'album c'est quoi? C'est la réalité. Quand j'écris un texte comme 'La Légende', qui décrit les clichés, forcement on dira que c'est violent. Pourquoi? Parce que c'est la réalité! Aujourd'hui, on a tellement tendance à se faire endormir quand il s'agit de musique avec des clips où les meufs sont en petites tenues, lingerie et strings... On nous endort, on essaie de nous faire avaler la pilule!

La réalité est violente, elle est dure, et quand on dit ces choses c'est jamais tendre. Si des gens ne veulent pas entendre ça, s'ils ne veulent pas entendre la réalité, c’est leur problème. Il y a des guerres territoriales, des gens qui meurent pour du pétrole ou pour leurs confessions religieuses, des gens qui sont au chômage par rapport à des contextes sociaux, notamment à cause de leur provenance ; s'ils viennent de telle ou telle cité, ils ne sont pas embauchés. Et c'est ça que l'on appelle 'violent'? Quand on dit clairement la vérité ?



HHC: Ton message oscille entre violence / tristesse d’un coté et union / solidarité / volonté de positiver de l’autre. C'est assez paradoxal non ?



S: L'homme est paradoxal. Certains matins, tu te lèves et t'as envie de buter tout le monde parce que tu es de mauvaise humeur. J'ai fait cet album à l’image des différentes humeurs que peut ressentir une personne. L’envie de buter tout le monde parfois et d'aimer tout le monde ou de sourire à d’autres moments. Quand on écoute un morceau comme 'En Live de la Cave', c'est vraiment ghetto, égotrip, je me lâche! Mais il y a des morceaux comme 'La Légende' où j'essaie d'être un peu plus fin, dans la réflexion. Et puis, il y a également des morceaux conceptuels comme 'La Vie Qui Va Avec'. Dans 'Noir & Blanc', je fais parler mes sentiments, comme quand tu es avec ta meuf, tu ne fais pas 'Grrrrrrr', tu es plus posé, plus tranquille. Il faut mettre chaque morceau dans son contexte en fait. J'ai fait un album humain.





HHC: As-tu conscience de l'impact que tu as sur les jeunes ados ?



S: Oui, bien sûr. J'en ai pris conscience en faisant le tour des villes de France. Je vois qu'à mes concerts il y a beaucoup de jeunes, des ados, mais aussi des gens de 25/30 ans. C'est vrai que l'influence auprès des jeunes existe, elle est visible. Je vais essayer d’en profiter pour me faire entendre.



HHC: C'est quand même une grosse responsabilité face à des jeunes qui sont parfois sans repères…



S: Ce n'est pas une responsabilité parce que je ne demande pas que l'on me suive. Je donne mon point de vue mais je suis sur un terrain d'échange, une confrontation d'opinion ; je suis pour le débat. Quand j'écris 'La Légende', je ne demande pas que l'on soit d'accord avec moi, mais je dénonce, je constate la réalité. Le fait qu’un noir ne puisse être qu’un rappeur ou un danseur, c'est ancré dans la tête de beaucoup de monde! Avec les jeunes, c'est vrai qu'il y a une part de responsabilité mais je me contente de donner mon point de vue et c'est ensuite à eux de cogiter. Je leur fais part de mon expérience et ensuite c'est à eux d'être curieux.



HHC: Et tu penses que des jeunes ados ont assez de recul par rapport à tout cela ? Dans tes concerts, certains pètent les plombs...



S: Après, ça dépend de leurs intentions... Si tu fais référence au concert de l'Elysée Montmartre où, à la fin, c'était assez chaud, et bien, ce n'est pas dû au public de manière générale mais plutôt à un détail. On aurait pu le continuer mais j’ai pris la décision de l’arrêter parce que j'ai vu une personne prise à partie juste pour une embrouille de vol de portable. En ayant vu ça, de manière instinctive et humaniste, et même si cela ne concernait pas tout le public, je me suis dit que je ne pouvais pas continuer le concert. Sinon 'La Vie Qui Va Avec', je ne vois pas qui ça peut exciter...



HHC: Les beats avec les bruits de flingues, c'est toi qui les as exigé ?



S: A la base, c'est un concept de Therapy, un concepteur / compositeurs du G8. C'est sa marque de fabrique, une manière de se démarquer. Ca veut également dire que Sefyu ne s'arrête pas, je charge et je décharge sans arrêt. C'est très métaphorique.



HHC: Tu parles des faits divers de la cité et d'une certaine façon du « code de la rue ». Tu cherches à faire passer quelle image des quartiers que tu fréquentes ?



S: J’essaie de dire qu'il n'y a pas que des casseurs. Il ne faut pas seulement garder en tête l'image des émeutes. Il y a aussi des jeunes de quartiers qui réussissent, mais on n'en parle pas assez...c'est ce que je dis dans 'Goulag' : « ne jette pas ton cartable pour abattre le fer ». C'est pour expliquer aux jeunes que l'école est une opportunité que leurs parents n'ont pas forcement eu. Il n'y a aucun intérêt à finir à l'usine, sauf si c'est une conviction personnelle. Si tu as eu l'opportunité d’aller plus loin et que tu ne l'as pas saisie, il faut te remettre en question.





HHC: Mais ce que tu dis là, ça ne ressort pas dans l'album...



S: Je ne l'ai pas dit sur l'album parce que c'est d'abord et surtout un album autocritique. J'ai été à la racine de l'Homme, dans ses hauts et ses bas. Dans le morceau 'Qui Suis-Je', je dis que l'Homme est à la fois l'agresseur et la victime. Chaque fois, on en apprend sur soi. Mais la réussite passe par l'école, c'est pour ça aussi que je m'adresse aux plus jeunes.



HHC: Tu dis que l'insécurité est le fond de commerce des politiques (dans le titre 'Intro'), mais ce n'est pas aussi en train de devenir le tien ?



S: (surpris) Par rapport à quoi ? Mon fond de commerce ? C'est le fond de commerce des politiques. Moi je dénonce, c'est tout ! Les émeutes ont surtout profité à Sarkozy, à son ministère, ça lui permet d'avoir un terrain d'expression. C'est bon pour eux, ça leur donne du boulot, des choses à dire. Ca leur permet d'effrayer un peu plus la France et ça alimente leur programme.



HHC: Mais cette insécurité alimente aussi tes textes, c'est donc aussi ton fond de commerce.



S: ...Oui, je parle aussi de l'insécurité. Je dénonce. Je dis que l'insécurité est un fond de commerce pour les politiques...



HHC: Ton album dégage une rage que l'on n'a plus entendu sur disque depuis des lustres, qu'est-ce qui l’a nourri ?



S: La réalité. Je n’invente rien. Je suis sincère. Que je sois dur ou plus sentimental comme sur 'Noir & Blanc', je dis vraiment ce que je pense. J'explique que j'ai grandi avec des blancs, des personnes d'autres couleurs que moi. Ca me semblait important de le dire. Des amis blancs avaient des parents qui ne m'appréciaient pas trop parce que j'étais d'une couleur différente et inversement. J'avais des oncles qui venaient du bled et qui ne comprenaient pas que j'ai des amis blancs. Mais nous, en tant que jeunes, on s'en battait les couilles! C'est pour ça que j'ai gratté le morceau 'Noir & Blanc'. Aujourd'hui, on est une génération qui sait qu’elle peut être de couleurs différentes mais être de la même nationalité. A l'image des States en fait. Ma rage dans l’album, elle explore les extrêmes, aussi bien des sentiments humains que des phénomènes de société.



HHC: Entre ton flow percutant et les instrus du même acabit, on a une vraie unité. Comment s'est construit le mélange ?



S: J'aime les atmosphères austères et intenses, avec des orgues par exemple. Je joue de ça. L'instru m'inspire beaucoup même si parfois j'ai déjà des thèmes en tête. Mais j'aime les sons qui ont une vraie intensité dramatique.





HHC: Il y a des sons sur lesquelles tu ne pourrais pas poser ?



S: Je peux poser sur tout ! J'ai posé sur du dancehall, sur tous types de riddim. Mais sur l'album j'étais vraiment sur le terrain que j’aime. Dans la vie il faut arriver avec une carte d'identité qui te représente clairement. Cet album, c'est 24 ans de réflexion, il fallait tout lâcher !



HHC: Aujourd’hui il y a une génération qui pousse fort avec un rap toujours plus 'ghetto'. C'est pour répondre à une demande ?



S: Je ne parle pas pour les autres. L'atmosphère que je dégage maintenant n'était pas du tout tendance à la base. Je suis arrivé dans un climat de rap 'bling-bling' avec mon délire très 'ghetto'. Ce genre de rap commence à revenir. Je ne sais pas si c'est moi qui l'ai ramené à la surface, c'est plus à vous de juger ce genre de truc. Quand tu taffes, t'es vraiment dans un cocon, dans ta bulle. Cet album, je l'ai fait sans trop regarder autour de moi, j'ai juste fait ce que je voulais faire. Les gens avaient besoin de sincérité, et moi, j'ai été sincère. Ca prouve que le public aime les artistes sincères, qui disent ce qu'ils pensent.

Aujourd'hui si des artistes suivent, j'espère que ce n'est pas une tendance. Ce qui est tendance ne dure pas, il faut surtout être sincère dans sa démarche. Si on fait du Dirty South pour être tendance ça ne sert à rien. Il faut aimer le Dirty South, être Dirty South, vivre Dirty South. Lil'Wayne et les mecs qui font ça, ils vivent, ils mangent Dirty South ! Quand j'écris mes textes, je les vis complètement. Je n'ai rien anticipé. Si demain l’envie me prend d’écrire des poèmes, je le ferai !



HHC: Rassure nous, en ce moment, ce n'est pas la cas ?



S: Non, c'est pas le cas! J'ai encore beaucoup de choses à dire, et derrière tout ça, il y a beaucoup de réflexion, je réfléchis vraiment. Quand je réécoute, je me dis parfois que j'aurais dû aborder certains thèmes différemment… mais j’apprends.



HHC: Au top! Combien de disques vendus ?



S: (rire) Non, pas au top, mais à un niveau...



HHC: Disque de platine?...



S: (gêné) Je ne sais pas, peut-être...





HHC: J'ai entendu parler d'un projet avec le californien Subtitle et Rockin'Squat d'Assassin. Qu'en est-il exactement ?



S: Un featuring avec un américain ? C’est encore une légende. Je n'ai pas prévu de faire quelque chose avec un américain, ni avec Rockin'Squat même si c'est un artiste légendaire.



HHC: A la fin du morceau 'Biff', on peut entendre 'The Delta Blue' de Robert Johnson. Pourquoi avoir laissé ce titre tourner ?



S: C'est purement artistique. Sur tout le morceau, on entend la boucle, la voix. Du coup, j'ai laissé le sample tourner jusqu'à la fin. Le blues, c'est aussi une musique qui me parle. J'écoute aussi beaucoup Sam Cooke, un autre artiste blues, et aussi du jazz. De la musique à l'ancienne.



HHC: Et en rap US, t'écoutes quoi ?



S: J'aime beaucoup Keith Murray , Gangstarr, Shabazz The Disciple, Lords Of The Underground et les artistes de New-York, de Brooklyn de cette période. Le gros son quoi !



HHC: Tu t’exprimes parfois en Russe sur l’album, pourquoi ?



S: Ca vient du concept Sénégalo-Ruskov… Parce que j'ai un style Molotov, corrosif, tu vois ce que je veux dire ? C’est conceptuel. Sénégalo c’est parce que je suis Sénégalais d'origine. Je ne suis pas de nationalité Russe, du moins pas encore (sourire) et je ne suis pas, non plus, métissé Russe/Sénégalais comme certains ont pu le dire. C'est un délire, mais en même temps il y a des similitudes entre la Russie et l'Afrique, notamment le climat super chaud / super froid. Plus il fait froid, plus on est pauvre. Même chose avec la chaleur. Et plus le climat est doux, mieux on se porte. Donc voilà, c'est aussi pour ce genre de similitudes.



HHC: Si tu avais percé dans le foot (ndlr: Sefyu est passé par le centre de formation d'Arsenal), avec le salaire qui va avec, tu aurais quand même fait quelque chose dans le rap ?



S: J'aurais peut-être continué à écrire, mais le foot aurait pris trop de place. Donc je pense que je n'aurais pas pu continuer à rapper.



HHC: Pourquoi tu caches ton visage ?



S: C'est un choix, pas un concept. Je l'ai fait car, à mon avis, les médias n'en font pas assez pour les artistes peu connus du grand public. Il y a beaucoup de négligences, car si on n’est pas pote avec untel ou que l'on ne vient pas de la part d'un mec connu on ne te calcule même pas. Dans le rap français, on a beaucoup négligé le talent et les médias ont préféré se concentrer sur l'image. Moi, j'ai surtout voulu me concentrer sur la musique, faire parler ma musique avant l'image, ne pas mettre la charrue avant les bœufs.



HHC: Tu vas continuer à te cacher ?



S: Oui, toujours fidèle à ce choix.



HHC: Pourtant, à la télé notamment, tu apparais à visage découvert…



S: Oui, car lorsqu'il s'agit de sujets importants tels que les jeunes ou les élections c'est le citoyen qui parle. Après, être dans des magazines qui ne peuvent avoir de l'influence qu'en prônant la beauté de l'image et les 'm'as-tu vu', ça ne m'intéresse pas. Je suis juste là avec ma casquette New-York baissé et un beau polo.





HHC: On a vu ton engagement pour que les jeunes votent, tu soutiens un parti en particulier?



S: Je ne soutiens personne. La politique c'est du business. Je soutiens seulement les citoyens français, et je leur dis d'aller voter. C'est tout. Votez bien, faites votre devoir de citoyen.



HHC: Au début de l’entretien, tu parlais d'un deuxième album. Où en sont ces projets ?



S: Je suis dans une phase de réflexion pour le second album. J'écoute beaucoup d'instrus, j'ai commencé à rassembler des thèmes. Je vais bientôt rentrer en studio, je n'ai pas encore fixé de date mais ça arrivera vite. Les autres projets, c’est le street album de RR du G8, celui de mon groupe NCC, une tournée et d'autres surprises. Donc restez à l'écoute car il va y avoir une suite explosive... qui va avec!



HHC: En parlant de tournée, la plupart de tes concerts ont lieu dans des petites salles de banlieue alors que tu as les moyens de remplir des endroits bien plus grands...



S: C'est pour rencontrer le public de base, celui qui m'a toujours soutenu. Ceux qui te soutiennent, c'est ceux qui n'ont rien. Arrivé à un moment, on commence à s'embourgeoiser. Par exemple, faire des interviews dans un hôtel ici, alors qu'il y a deux ans tu serais venu à la cité pour la faire sur la table de ping-pong, en plein air! Et puis à un moment, il faut rendre au public ce qu'il t'a donné. C'est eux qui font ton buzz, qui parlent. Le vrai média, c'est eux, le public. Il y a le bouche-à-oreille, ceux qui vont conseiller à leur pote d'écouter l'album. C'est pour cela que je vais déjà à leur rencontre avant d'aller à la rencontre des autres. Leur donner l'opportunité de venir à mes concerts gratuitement, de venir me voir, me parler... c’est ça, ma démarche!



HHC: Tu vises qui dans le titre 'Tu n'valais pas mieux' ?



S: C'est une fiction. C'est pour les mecs qui oublient tout avec le succès, ceux qui commencent à péter les plombs. Les mecs qui oublient d'où ils viennent, leur quartier, leurs origines. Ce n'est pas une personne en particulier mais un ensemble de gens. C'est pour les personnes qui se sentent visées justement.



HHC: Sefyu, c'est quoi l'origine de ce pseudo ?



S: C'est pour Youssef, Sef-Yu.



HHC: Ah ouais, forcement... un dernier mot ?



S: Posez-vous la question: « Qui Suis-je ?»



Propos recueillis par MC23
Questions par MC23, Checkspire et Bachir
Février 2007

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