Littérature
The Book of Hip Hop Cover Art

Tout d'abord, une remarque : il est d'autant plus plaisant de parcourir et re-parcourir les pages de ce livre au format carré – la forme d'une pochette d'album, comme il se doit – qu'il est gratifiant d'écrire dessus, de le porter au jour un peu plus. Espérons donc que ces lignes capteront votre attention et, surtout, vous donneront envie de lire ces pages.

Par ailleurs biographe d'Eminem, Andrew Emery explore dans cet ouvrage les pochettes de disques Hip Hop américains sortis durant le quart de siècle écoulé. Il traite donc de ce que l'on qualifie aujourd'hui d'Artwork (usuellement tout ce qui n'est pas musical dans un disque). Notons d'emblée que cela n'exclut pas l'art pur, au seul profit de l'artisanat, du bricolage publicitaire. Dès 1983, bien avant que d'aucuns en viennent à se demander si les couvertures cartonnées de cette nouvelle musique pouvaient bien être de l'art, Jean-Michel Basquiat, le "protégé" de Andy Warhol, illustrait la fameuse pochette du 'Beat Bop' de Rammellzee versus K-Rob, dont chaque exemplaire dépasse aujourd'hui le millier de livres sterling chez Christie's.

Dans l'avant-propos, Emery pointe le caractère bigarré de sa compilation illustrée et l'assume comme sa volonté de ne pas faire là un précis d'histoire, mais beaucoup plus de saisir l'air qu'a respiré toute une génération de hip-hoppers. Cependant, le parti pris de faire des chapitres correspondant pratiquement tous à des époques du rap (se succédant chronologiquement qui plus est) se révèle très pertinent par l'éclairage singulier qu'il apporte, aussi bien historique – dans les sens en mouvement du terme – qu'artistique. Sociologique aussi. La première apparition sur une jaquette de la mention "Explicit Lyrics" fait ici son apparition en 1987 chez Niggaz With Attitude… A laquelle s'adjoindra un an plus tard le célèbre logo "Parental Advisory" (chez Slick Rick).

Naviguer parmi les pochettes au fil des ans nous permet d'explorer en détail les nombreuses évolutions du genre musical qui nous rassemble. Ainsi durant la très courte période Electro (1984-85), on retrouve soulignée toute la portée métaphorique du rap: une franche et rigolarde visée vers le futur en forme d'espoir et d'appel aux troupes à sortir du ghetto, ou du moins de la ghettoïsation, de l'uniformisation. Quelques pages plus loin, on savoure tout l'humour du rap à travers les pochettes du prolixe Biz Markie (issues de ses fructueuses collaborations avec le graphiste George Dubose, souvent cité par l'auteur). On se régale avec la véritable pépite visionnaire et lucide de The Alliance en 1988, dont on voit les membres squatter une chambre d'hôtel luxueuse, tous en Converse autour de leur platine vinyle ; le titre est clair comme un programme : "Nous pourrions nous habituer à ça".

Souvent les couleurs frappent et tournoient quelque peu dans les pages du "Book of Hip Hop Cover Art". Certaines sont plus chargées de sens que d'autres : en particulier, le rouge, le vert et le noir sillonnent le clairvoyant chapitre consacré à la période afro-centrique du rap, au tournant des années 80-90. Autour du "Am I Black Enough for You ?" de Schooly D (qui, autant du côté de la pose que du paradigme, renvoie l'écho de la soul d'un Syl Johnson chantant vingt ans plus tôt 'Is It Because I'm Black ?'), il est à vrai dire passionnant de voir comment se définissent les interprètes face à ce point invariant particulièrement significatif. C'est comme si pendant deux ans l'origine et le but des rappeurs était devenu l'Afrique, son affirmation par dessus tout. Mohamed Ali – l'ultime rappeur, le pionnier pour certains – n'est pas loin, avec cette scansion célèbre qui précédait ses plus grands combats. C'est dans le prolongement naturel de cette réaffirmation que MC Shan, Boogie Down Productions ou Paris en appelleront à la résistance contre l'oppression policière, qui en quelque sorte prolonge l'Afrique dans les quartiers de South Bronx ou de Brooklyn.

Décidément, les inspirations graphiques ne manquent pas et il faut noter absolument l'une des influences rétiniennes les plus tenaces de ces nombreuses pochettes : les logos de groupe. Tout particulièrement le fameux pictogramme en forme de cible, découpé – on l'apprend – par la main de Chuck D lui-même pour marquer à vie les disques de Public Enemy. Plus marquante encore, quoique moins connue, la présence du "Little Sambo" de KMD, caricature du bon noir volontairement barrée, démultipliée, agrandie ou mutilée, véritable accomplissement visuel au sortir de la période africaine et à l'entrée dans une nouvelle ère du hip hop. A l'époque même où KRS One appelait clairement de ses vœux un retour du "Boom Rap".

Même si, on l'a vu, le choix de rédiger le livre dans une progression chronologique est tout à fait intéressant et remplit au passage la promesse faite de ne pas "plomber" pour autant l'analyse, il faut signaler la richesse du seul chapitre thématique, dédié aux références que le hip hop fait transparaître à travers ses pochettes, dans une manière de les affirmer plus encore. Les révérences vont ainsi à Marvin Gaye à James Brown et au Funk – jusque là rien de bien étonnant – mais aussi au Jazz de Blue Note et aux Beatles. On sent aussi planer l'aura politique d'un Malcolm X ou encore l'autocélébration des sommets atteints avec Public Enemy. Le groupe-phare du rap est d'ailleurs à l'honneur dans l'interview de Chuck D, jalonnée d'un grand nombre de pochettes originales. Si on peut trouver que le leader de Public Enemy manque de modestie ou de distance sur ses propres couvertures, on remarquera tout de même qu'il leur préfère l'épurée pochette du "Raisng Hell" de Run DMC, ou encore qu'il déplore le MP3 quand ce dernier signifie l'adieu à l'objet du livre de Emery. C'est selon lui la perte de tout un pan de l'imaginaire véhiculé par le hip hop. Une simple pochette peut avoir une portée énorme, comme en témoigne le légendaire "Fear of a Black Planet"… Les crate-diggers en savent quelque chose.

Enfin, Emery conclut par une ébauche de thèse, à l'usage du temps présent des jaquettes rap, directement destinée à la faune qui explore régulièrement les bacs de leur disquaire préféré : l'appauvrissement de la qualité artistique des pochettes d'album depuis 2000. C'est peut-être vrai, l'histoire le dira, mais il semble aussi surtout que l'auteur est mal à l'aise avec les jaquettes qui lui sont immédiatement contemporaines. Oui, vous l'aurez compris, ce livre est frappé du sceau de la nostalgie. Mais la plupart du temps, c'est pour le meilleur et cela nous donne envie de ne pas finir sur une note aussi mitigée que l'auteur : cet art neuf des pochettes est encore vivant comme en témoignent au hasard – avec panache – les livraisons récentes de Non Phixion, qui se renouvellent dans une parano jouissive accordée à leur textes.

Best covers:
Afrika Bambaataa & Soul Sonic Force - Renegades of Funk ! (Tommy Boy, 1984)
Kaos - Court's In Session (Bad Boy, 1988)
3rd Bass - Product Of The Environment (Def Jam, 1990)

de Andrew Emery (Mitchell Beazley Editions., 160 pages, ISBN: 1840009195, 2004)

Billyjack
Octobre 2004

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