Littérature
Who Shot Ya?

N'est-il pas curieux de deviser sur un tel livre ? Album-photo couvrant trente ans de Hip Hop, album de famille même, galerie de portraits, parfois presque Photomaton du rap. Curieux en effet, mais curieux comme l'est cette photographie sur deux pages (vers le début du livre) prise à l'occasion du tournage de la vidéo "Stop The Violence". Une assemblée de rappeurs y est amassée, posant dans d'épais manteaux et se réchauffant avec le sourire en attendant la fin de la prise de vue. On dirait une bande d'artistes exclus du show médiatico-humanitaire "USA for Africa", mené en plein Reaganisme par Michael Jackson et Lionel Ritchie, alors au faîte de leur gloire. Le cliché est d'ailleurs à peine plus récent et constitue un véritable témoignage pour les adeptes du mouvement rap, si tant est que cette formule ait un sens. C'est en cela qu'on peut parler de curiosité et c'est précisément cela qui est de loin le plus intéressant dans la compilation en images de Earnie Paniccioli.

Ainsi, au-delà de l'aspect collectionneur de l'ouvrage – on cherche forcément les absents (Beastie Boys et autres) – on restera particulièrement sensible aux précieuses transitions que réserve ce livre entre les nombreux portraits d'artistes qui, parfois, semblent attendre une page derrière l'autre en file indienne. Transitions tout d'abord liées à l'environnement. Comment parler du rap et faire quoi que ce soit de rétrospectif en la matière sans évoquer l'atmosphère urbaine du métro, du béton, du métal, des graffitis et du breakdancing? Et comment ne pas faire allégeance aux modes vestimentaires, dont les artistes ne sont pas les seuls dépositaires, mais qui ont toujours été de massifs codes d'appartenance à travers les âges du Hip Hop : fat laces, doorknocker earings, big hair, backwards baggy style, etc. Allégeance suprême, aussi aux icônes telles que James Brown, ou même Elvis (devant une photo duquel pose Kid Capri). Enfin, transitions touchantes dues à la vie de l'auteur, quand cette vie s'immisce entre les pages. Les enfants de Paniccioli paraissent tout fiers de se faire tirer le portrait par Papa, à quelques encablures de Grand Master Flash ou Run DMC.

Mais qui est-il, ce Earnie Paniccioli dont l'appareil photo a visé tant de visages qui ont fait le rap ? On est touché par l'histoire de ce petit rital vivant seul dès l'âge de treize ans, s'engageant dans la marine six ans plus tard, vétéran du Vietnam depuis et dont le travail de photographe du milieu des artistes hip hop sera reconnu en même temps que le rap sera réellement médiatisé (alors que Paniccioli mitraillait déjà depuis une douzaine d'années). Il est maintenant presque soixantenaire et, comme il le dit lui-même, les enfants qui décorent aujourd'hui les murs de leur chambre avec ses posters ont parfois des parents qui le faisaient déjà, déjà avec des clichés de Paniccioli. Il n'a pas bougé de Jersey City depuis ses vingt-cinq ans et pour cause, il semble y jouir d'une vue imprenable sur le "phénomène rap", qu'il montre avec admiration et avec une vraie sensibilité.

Son œil est tour à tour fasciné ou protecteur, il semble pris dans son propre flot et chaque pression sur le bouton déclencheur de son appareil affûté résonne comme une bravade de plus, un pas de plus dans une "hip hop pride" qu'il mène tambour battant. Car son regard est parfois enflammé: il réclame des poses et des figures étonnantes ou se les voit offrir le plus souvent; mais il est la plupart du temps "objectif" – c'est le cas de le dire. Qu'on ne se méprenne pas. Il ne s'agit pas seulement d'un inventaire des accoutrements et des attitudes des rappeurs que dresse Paniccioli dans ces pages. De la photo "originelle" rassemblant DJ Kool Herc et Africa Bambaataa à celle du concert de Ice-T où certains doigts se dressent partout dans la fosse, c'est une petite histoire épique du rap qui s'imprime ici sur nos rétines.

Ce n'est pas par hasard si la couverture du livre est marquée par presque moitié de portraits "In Memoriam" (The Notorious B.I.G., Big Pun, Tupac Shakur) et que le défilé des prises de vues s'achève par la photo d'Aaliyah, "female rapper, female background", paix à son âme.

Best shots : Divine Sounds, Kurtis Blow, Geto Boys, Gangsta Boo.

de Earnie Paniccioli (Amistad Ed., 210 pages, ISBN : 0066211689, 2002)

Billyjack
Novembre 2004

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