Concert
Wu-Tang Clan



Lieu : Zénith, Paris, France
Date : 2 Juillet 2004

Au centre du Zénith, zeppelin carré échoué au sol, vendredi 2 juillet 2004, vingt-et-une heures quarante et quelques minutes, dans les vapeurs du kif. Les projecteurs s'éteignent, la foule est fébrile et scande avec dévotion "WU-TANG / WU-TANG", comme une bise avant l'orage. Un sample rapide retentit soudain, "Move Like Kobe Bryant". Après plus d'une décennie d'existence, il n'est pas si étonnant de voir un concert du fameux Wu-Tang Clan débuter par une mention de l'arrière shooteur vedette des Los Angeles Lakers. Depuis ses débuts, Bryant brille, époustoufle, fascine, déroute. Mais aussi, dernièrement, Bryant rate, défraie, Bryant perd. Le Wu-Tang s'est toujours démarqué par une certaine humilité, aux accents teintés d'humour. Dès lors, la référence au sport se retrouvera surtout dans les tenues des rappeurs, sous le signe de la marque-citoyenne maison, le "Wu-Wear" : les Wu-garments vont au base-ball pour le RZA, au street basket pour le GZA, à la boxe pour Ghost Face Killah, cependant qu'à peu près tous les autres arborent survêtements amples et serviettes éponges blanches.

Capadonna, peut-être le moins connus du groupe, ouvre la marche des prises de micro, quand, successivement, tous viendront. "Nine fellas", la première fois sur scène ensemble depuis sept ans dira le RZA. Sept ans, une éternité dans l'histoire du rap pas encore trentenaire, c'est aussi le temps qui nous sépare du deuxième album du Clan, "Wu-Tang Forever". Depuis, certains d'entre nous se sont parfois morfondu dans des bureaux, ou ailleurs, dans le labeur à perte de vue, jetant par la fenêtre des regards idiots sur un paysage banal, à la recherche d'un élan comparable à la fougue des flows acérés du Wu, de leurs beats fiévreux rythmant des extraits jouissifs de films délirants, inconnus et magnifiques.

Voulez-vous, en guise d'interlude, avoir un aperçu visuel frappant de l'atmosphère du concert de vendredi ? Soyez deux, joignez vos mains par les pouces pour faire le W emblématique et avancez-les vers l'avant, chacun sur une cadence légèrement différente. Répétez plusieurs fois l'opération. C'est certes risible, mais multipliez par trois mille l'effet obtenu, il approchera le résultat d'une vague hypnotique, dont votre sketch n'était qu'une goutte d'eau. C'est par exemple l'impression que beaucoup d'entre nous ont ressenti en voyant l'an dernier, dans la bande annonce de l'excellent "8 Mile", la scène de la battle finale. Rappelons-nous que le Wu-Tang Clan naît en 1993 quand le quartier new-yorkais de Staten Island est rebaptisé par eux Shaolin.

Exotisme, mythe fondateur au-delà de l'ennui, de la répétition du moins peuplé des "five boroughs" de la grosse pomme, c'est le premier pas d'une véritable saga dans la crème du rap game. Car onze ans plus tard, le maître à penser du Clan, le RZA, a gagné suffisamment de légitimité pour rassembler les troupes en plein coeur du concert d'un discours fédérateur "East coast, west coast, french rap, italian rap,..." dans le prolongement de son album "The World According To RZA", sur la couverture duquel il pose tel un MC Pantocrator, super-producteur et mécène démiurge du hip hop mondial. A l'occasion de cet album le RZA a apparemment apprécié la gouaille du Saïan Supa Crew (SSC pour la rime), puisqu'ils sont là ce 2 juillet pour chauffer la salle, ce qu'ils font avec force talent et une sacrée pêche. Nos ex-mateurs hexagonaux de Dragon Ball Z trouvent très vite leur place, avivent de plus en plus l'excitation collective et préparent en experts l'arrivée en masse du "Wu-Tang Style". Ils seront par ailleurs les seuls, au cours de cette soirée, à faire référence aux filles très absentes, sinon de la salle en tout cas de la scène.

Le set des neufs larrons enfin réunis se déroule alors dans une ferveur égale, on sent parfois qu'une partie de la salle s'arrête de sauter pour mieux réaliser la véracité du festival qui se fait. Dans le bouillonnement de ce concert-retrouvailles, on savoure les rythmes fous de 'Gravel Pit', 'C.R.E.A.M.', 'Uzi' et la reprise des titres phares des différentes carrières solo, autour d'un cathartique 'Wu-Tang Clan Ain't Nuthin' To F*** With'. Et c'est un peu ça : une réunion jouissive et foutraque, un besoin du Clan de sentir qu'il peut continuer de fasciner sur le plan qu'il veut. Même si celui qui intéresse chacun des membres, le RZA en tête, a changé. Lui, Robert Diggs, ses cousins et Toney Starks ont changé bien sûr, leurs aspirations se modifient et ce concert semblait parfois quelque peu anachroniqe. L'ensemble n'en restait, pas moins, terriblement efficace. Le défouloir d' une génération, déjà, de chercheurs en sciences dures du rap. Irrésistible et dominatrice, c'est bien la réaffirmation d'un "Wu-World Order" qui s' est produite à Paname, "sixth borough" le temps d'un soir.

Billyjack
Juillet 2004

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