Portrait
Diamond D



Le Hip Hop est un microcosme où pullulent les grandes gueules patentées qui ont érigé la mythomanie en art de vivre, les puristes toujours prompts à s'asseoir sur leurs convictions une fois que la hype aura changé de sens, les autoproclamés manipulateurs d'UZI incapables, en temps normal, de soulever le sac des courses, et d'autres entités qui faute de place ne verront pas leurs dérives exposées ici. REAL B BOYS MOVE IN SILENCE. DiamonD a certes fait beaucoup de bruit, mais son écho ne raisonne, pour l'essentiel, que dans les tympans de ceux qui ne ressentent pas le besoin de prouver, à tort et à travers, qu'ils sont des "vrais".

Tout commence en 1979. A l'âge où d'autres essaient péniblement de réciter leur tables de multiplications, le petit Joe Kirkland, mémorise les phases de scratch de Grand Wizzard Theodore et les enchaînements de breaks de Grandmaster Flash. Il apprend les bases du DJing en usant ses fonds de culottes dans les blocks parties de son quartier de Forrest Project, situé dans le Bronx. Inquiet de l'apparition quasi quotidienne de nouvelles rainures sur son inestimable collection de disques de soul, le patriarche de la famille Kirkland décida d'accumuler les heures supplémentaires afin d'offrir à son rejeton deux magnifiques platines. A l'âge de 12 ans, le petit Joe peut dignement rajouter le terme DJ devant le nom qu'il a usurpé à un certains Diamond David, un MC officiant dans le voisinage. Sa réputation grandit jusqu'au 11ème étage de son immeuble ou réside Master Rob, dont l'un des principaux faits de gloire est d'avoir été l'un des 5 Romantic Fantastic, qui font une apparition dans le film "WILDSTYLE". Ayant subitement découvert que le style lover n'avait plus la cote avec les filles, ce dernier opta pour le Hip Hop pur et dur, et monta un groupe appelé Ultimate Force. En 1985, Diamond lâche définitivement cahiers et pupitres et entame sa carrière dans le rap en devenant DJ du groupe susnommé. A la même époque, Master Rob rencontre au Négril Club, une des premières grandes boîtes Hip Hop de New-York, Jazzy Jay l'un des manipulateurs de cire résident. L'homme a déjà derrière lui un Curriculum Vitae impressionnant. Succinctement, outre le fait qu'il ait participé à l'aventure Soulsonic Force avec Mr Biggs, Globe, Pow Wow et Afrika Bambaata, qu'il soit un ancien Zulu King Dancers, qu'il apparaisse dans "Beat Street", qu'il signe les crédits de production, avec Rick Rubin, du morceau 'It's Yours' (qui est le premier disque à porter le logo Def Jam, bien qu'il soit sorti sur le label Streetwise Partytime, et du mythique 'I Need A Beat' de LL Cool J, entre autres, il est aussi le premier DJ a avoir eu sa propre émission de radio. Jazzy Jay fatigué par le flot ininterrompu de paroles dithyrambiques à son égard du leader d'Ultimate Force, décide de signer le groupe en entier sur le label qu'il a monté avec Rocky Buccano, "Strong City Records". Diamond se démarque rapidement des autres membres du groupe par sa connaissance quasi encyclopédique des morceaux, enregistrés dans les années 60 ou 70, qui ont la chance de receler un break ou une boucle utilisable. Jazzy Jay va le prendre sous son aile et va profiter des séances d'enregistrement de l'album "Cold Chillin' In The Studio" pour lui inculquer les techniques de maniement du sampleur. Ensemble, ils vont produire 'I'm Not Playing' le seul maxi sorti dans le commerce d'Ultimate Force. Déçu par la prestation lyricale de ses congénères, Diamond songe de plus en plus à entamer une carrière de rappeur. Son projet restera lettre morte jusqu'au jour ou, dans le studio de Jazzy Jay, il rencontre Grand Puba, qui est alors en pleine session d'enregistrement de "One For All", le premier album des Brand Nubians sorti en 1990. Les deux B-Boys vont se lier d'amitié et passer un marché. Le jeune producteur va épauler le black muslim dans sa recherche de beats, en échange ce dernier va lui apprendre les bases du MCing. Mis en confiance, et fort de son nouveau apprentissage, Diamond va enregistrer, avec son crew Psychotics Neurotics, la démo de ce qui deviendra 'Best Kept Secret'. Grand Puba, heureux d'avoir découvert un nouveau talent, va présenter son ami aux membres d'A Tribe Called Quest, qui lui laisseront quelques mesures de libre sur le titre 'Show Business', tiré de l'album "The Low End Theory", pour entrer dans l'histoire.

"Strong City Records" n'avait pas d'assise financière assez solide pour offrir aux membres d'Ultimate Force la possibilité d'enregistrer un album. Pendant l'année 1991, ceux-ci vont d'abord démarcher "Capitol Records", qui accepte de les signer à condition que Diamond puisse exercer son talent au micro, et ne soit plus seulement cantonné au rôle de DJ. Mais ce dernier refuse le deal. Les négociations n'aboutissent pas, et le groupe se décide à aller frapper à la porte de "Mercury", où on leur propose le même marché. Au final il n'y a que Diamond qui posera sa signature en bas de page d'un contrat. Ainsi débute l'enregistrement de "Stunts, Blunts & Hip Hop". Sur cet album, Diamond veut retrouver les schémas lyricaux des pionniers du Bronx. Il a l'ambition d'opérer un véritable retour aux sources, qui s'entend aussi dans sa manière de choisir et d'utiliser les boucles. Il est épaulé, lors de la phase de conception et d'enregistrement, par Mark The 45 King. A la sortie de l'album en 1992, Diamond devient, aux cotés de Hank Shocklee du Bomb Squad, Prince Paul ou Large Professor (qui est crédité sur le morceau 'Freestyle (Yo that's that sh…)') , une figure de proue de la nouvelle génération de beatmakers. L'album est un succès critique, et est encore en bonne posture sur les listes des classiques que tout B-Boy, qui se respecte, doit emmener sur une île déserte.

En 1983, Diamond rencontre dans une fête de quartier un DJ qui avait la réputation d'être doué crossfader et platines en mains. Ce dernier qui répondait au nom de Rodney Lemay pour l'état civil, se faisait appeler, une fois franchi le pas de sa porte, Showbiz. Ils se découvrirent une passion commune pour l'étude en profondeur du contenu des bacs de disques. Le studio de Jazzy Jay, comme celui qui porta le nom de D&D en son temps, ne tire pas seulement sa renommée des tarifs avantageux qu'il affichait, mais aussi de la liste incroyable de ses clients. L'endroit résonne encore des morceaux enregistrés par Busy Bee, A Tribe Called Quest, Main Source, Brand Nubians et d'autres. C'est aussi pour tout fan du D.I.T.C. un lieu de pèlerinage. Après la sortie de 'I'm Not Playing', Diamond va être amener à travailler sur "Funky Technician", le premier album de Lord Finesse, un producteur qui, comme lui, officie comme Mc, et est issus du quartier de Forrest Project. Sur le titre 'Back To Back Rhyming', André The Giant pose, pour la première fois, ses rimes sur une production de Showbiz. En 1991, Greg Nice qui traînait lui aussi dans le studio, présente Joseph Cartagena à Diamond, qui était en pleine conception de son album. Le gangster, qui contrairement à d'autres ne devient pas nerveux à l'évocation de sa surcharge pondérale, a débuté sa carrière en œuvrant pendant les séances de freestyle des concerts de Nice & Smooth. Big L sera lui aussi invité à poser sa voie sur un des interlude du LP ('Comments From Big "L" And Showbiz'). Le crew, uni par l'amour des disques et des belles rimes, n'est pas tout à fait au complet mais se fait déjà appeler Digging In The Crates, en référence à leur hobby favori. Latief, un proche de Diamond, serait le véritable inventeur du terme. C'est pendant l'enregistrement de "Lifestylez Ov Da Poor And Dangerous" de Big L, que Buckwild et Omar Credle, qui fut découvert par MC Serch, sont intronisés officiellement dans le groupe. En 1997, d'organisation informelle ils vont se structurer en label et sortir le maxi 'Day One'.

Outre les membres du D.I.T.C., Diamond a offert ses talents à Apache, Chill Rob G, Pharcyde, Run DMC, KRS One et d'autres. En 1996, il sort de la confidentialité relative de l'underground New-Yorkais en travaillant sur le morceau 'The Score' tiré de l'album éponyme des Fugges. Malheureusement il ne tirera aucun profit de son labeur, et subira les mêmes mésaventures qu'un jeune premier pour trouver un label susceptible d'héberger son deuxième album, "Hatred, Passions And Infidelity", sur lequel Pete Rock et Busta Rhymes font une apparition.

L'âge d'or semble être terminé. Les claviers ont supplantés les boucles, Big L est mort avec l'espoir que le D.I.T.C. sauvera le rap de ses turpitudes malsaines, et les héros de notre enfance ont malheureusement pris un coup de vieux. Ce n'est pas les récents efforts de Fat Joe Da Gansta avec Ashanti, ou la comparaison de l'album de The Omen, bien que tout ne soit pas à jeter, avec "Stunts, Blunts & Hip Hop" qui prouvera le contraire. Diamond a dédié son existence au Hip Hop. Il a sans doute plus œuvré pour l'avancement de notre culture que n'importe quelle étoile éphémère à l'affiche ces jours-ci, sans que sa tête n'ait pris l'ampleur de sa collection de disque.

Voir aussi l'excellent article de Reeve Holt, dans Wax Poetics numéro 3, qui a servi de base à ce travail.

MelloW
Novembre 2003

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