Murs
Murs 3:16 [The 9th Edition]

Maintenant que le médiocre troisième volume de "Definitive Jux presents" a finit d'entériner la déchéance totale de l'ancien meilleur label indépendant, l'espoir ne semble plus vraiment permis quant au futur de Def Jux. En utopistes convaincus, on continuerait bien à parier quelques dollars sur le premier album des membres de l'Atoms Fam, Hangar 18, annoncé pour le mois de Juin prochain et à espérer un sursaut d'orgueil d'El-P mais, en vérité, les carottes semblent plus que cuites… Alors qu'un album porteur du sceau Def Jux pouvait souvent prétendre au rang de classique dans les premiers temps du label, on en est aujourd'hui réduit à espérer, plus prosaïquement, que chaque nouvel album ne soit pas une catastrophe de plus (après celles causées par S.A. Smash, PFAC ou même Aesop Rock). En cherchant un peu les racines du mal qui touche El-P et ses compagnons de route, on se rappelle sans mal que le premier gros coup de fatigue était venu avec la sortie d'un "The End of the Beginning" un peu maladroit et un soupçon racoleur. Premier album pour Def Jux du transfuge californien Murs, cet opus paraissait en effet bien loin des sommets de "The Cold Vein" ou "Fantastic Damage". A vrai dire, il paraissait même bien en deçà des "Good Music" et autres "Murs Rules The World" concoctés auparavant par Murs sous le giron Living Legends. Solide sur le plan lyrical, il souffrait en effet de productions la plupart du temps tristement banales et sans relief… ce qui ne l'avait pas empêché de faire sévèrement grimper la côte de Murs auprès de l'auditeur de rap lambda. Au point, visiblement, d'intéresser un des producteurs les plus en vue du moment : 9th Wonder.

C'est en effet au côté du jeune producteur de Little Brother que l'on retrouve Murs aujourd'hui. A défaut de nous combler, Def Jux continue donc de nous surprendre. On ne s'attendait pas vraiment à voir les 2 bonhommes ensemble. Suite au buzz qui a entouré "The Listening", son opportuniste album de remixes de Nas "God's Stepson" mais aussi la très remarquée participation officielle au chant du cygne de Jay-Z qui a suivi, il faut dire que 9th Wonder est un peu devenu une star de la production. On arrive d'ailleurs difficilement à s'expliquer l'ampleur de l'engouement actuel à son sujet, au vu de la nature solide mais somme toute très classique et statique de son travail post-"The Listening". Tout en restant dans la lignée de ses travaux précédents, ce "Murs 3:16 [The 9th Edition]" montre pourtant que 9th Wonder semble s'être décidé à dépoussiérer quelque peu ses confections. S'il pioche toujours allégrement dans la soul, ça et là, les beats se font en effet plus heurtés que par le passé et les structures tendent à être moins linéaires. Avec sa rythmique énorme et son sample de guitare trituré aux consonances métalliques, l'introduction ultra-efficace de ce mini-album le prouve et met en confiance. Idem pour le saxophone caressant et la basse enveloppante de 'Freak These Tales', pour le piano tout en écho 'The Animal' ou pour les violons mélancoliques de 'The Pain'. Ailleurs, certaines compositions un peu fades et trop compressées (effet Fruity Loops) peinent malheureusement à convaincre. Ainsi, rien ne ressort vraiment du confus 'H-U-S-T-L-E' ou d'un '3:16' percutant mais brouillon. Sans parler d'un 'Bad Man' aux relents reggae sympathiques mais irrémédiablement plombé par une mélodie de clavier simpliste pour le moins agaçante. En dehors de quelques coups d'éclat, le producteur de la Justus League rend donc une copie inégale… mais parvient quand même à donner à ce mini-album une couleur globale adaptée à Murs.

De son côté, avec ce phrasé souple (influencé par l'école Hieroglyphics) et cette franchise brute qui ont toujours été ses marques de fabrique, Murs se présente plus que jamais comme un gars comme les autres, mais aussi comme un lyriciste touche-à-tout. Si les exploits flowistiques n'ont jamais été son fort, ses textes le placent au-dessus du lot. A la fois sérieux et blagueur, subtil et ignorant, autodérision et arrogance, le emcee californien s'autorise tout et joue avec les contradictions (trop?). Se portrayant en Don Juan embobineur et goujat enchaînant les coups d'un soir et devant jongler avec d'ex-amantes énervés sur un titre ('Bad Man!'), il n'hésite pas à se dessiner en gentil garçon peinant à trouver l'amour de sa vie sur 'The Pain'. Même si ses histoires d'amour et de fesses (voire le très cru 'Freak These Tales') semblent lui occuper l'esprit en ce moment, Murs survole quantité de sujets pendant les 35 minutes de "Murs 3:16 [9th Edition]"… Des manifestes anti-wack de rigueur ("a nemesis to niggers pumpin' their guns") aux passages introspectifs en passant par un autoportrait en forme d'hymne aux débrouillards du ghetto qui savent garder les mains propres ('H-U-S-T-L-E'), il sait trouver les mots juste qui font réfléchir et sourire à la fois. Comme ce bref 'Trevor An'them' où il nous dépeint avec humour sa rencontre surréaliste avec Trevor, copain d'enfance un peu simplet devenu braqueur de pacotille. Derrière la dérision, Murs dévoile pourtant une nouvelle facette: celle d'un artiste conscient et engagé pour la cause noire ("All this killing and this pimping and these foul ways of living / See everyone's forgetting that the struggle's not over"). Sur la basse charmante, les touches de guitare et le midtempo solidement installé de 'And This Is For', il fustige ainsi les discours complaisants à l'égard de la délinquance de certains de ses confrères avec une intelligence rare ("Contrary to what the legendary Big had to say / You don't have to sell drugs or make the NBA / It's easy to get a grant and get a MBA / To achieve one goal, there's more than just one way"). C'est pourquoi on comprendra d'autant moins le communautarisme douteux des couplets qui suivent et qui le voient se lancer dans un prêche endiablé contre ses auditeurs blancs accusés de faire "fuir" ses fans noirs et contre les artistes blancs "dévoyant" le hip-hop… On est en tout cas surpris par cette prise de position honnête mais vraiment déroutante et ingrate. Murs aurait-il oublié certains de ses compagnons de route les plus talentueux (The Grouch, Eligh, Slug ou Thes-One au hasard)?

Quoiqu'il en soit, toutes ces considérations et ces interrogations s'effacent le temps de l'impressionnant 'Walk Like A Man'. Cette fiction épique et dramatique, décomposée en 3 mouvements, a en effet tout d'un petit chef d'œuvre où lyrics et musique sont en adéquation parfaite. Batterie en avant et guitare chaloupée: tout commence naturellement par un instrumental funky bien balancé sur lequel Murs (dans la peau du narrateur) évoque sa fascination adolescente pour la puissance conférée par le port d'une arme à feu, avant de jeter un regard acide sur la stupidité de cette attitude. Dès lors, le décor change du tout au tout pour se faire plus émouvant: un sample vocal angélique déchirant fait son entrée sur quelques notes de pianos discrètes et Murs nous raconte le meurtre de son meilleur ami sous ses yeux dans les rues de Los Angeles. A nouveau, la production subit une mutation en un lit de murmures gospel et de vocalises lancinantes. Murs nous relate alors sa vengeance par le feu… et les remords qui le hantent depuis. 'Walk Like A Man' trotte longtemps dans la tête après écoute... Il atteste à lui seul que Murs est bien un des tous meilleurs storytellers actuels et que 9th a du talent à revendre.

Dans l'ensemble et malgré son déroulement chaotique, "Murs 3:16 [The 9th Edition]" confirme que Murs reste un emcee et un personnage à part dans le paysage rap actuel. Si son alliance avec 9th Wonder ne répond pas entièrement à nos attentes, elle contient son lot de (très) bons moments. Clairement supérieur à "The End of the Beginning", ce nouvel opus accessible constitue malgré ses défauts le premier album Def Jux digne d'intérêt depuis belle lurette… et nous permet de voir que Murs continue de diriger sa barque comme bon lui semble. On est loin de "Good Music"; ce n'est pas le paradis mais c'est toujours mieux que rien. Et puis il y a 'Walk Like A Man'.

Cobalt
Mai 2004
Par années... Par catégories... | Par ordre alphabétique... | Chroniques récentes... |
Label: Definitive Jux
Production: 9th Wonder
Année: Mars 2004

01. Intro
02. Bad Man!
03. 3:16
04. The Pain
05. Trevor An' Them
06. Freak These Tales
07. H-U-S-T-L-E
08. Walk Like A Man
09. And This Is For…
10. The Animal (feat. Phonte of Little Brother)

Best Cuts: 'Walk Like A Man', 'And This Is For…', 'Intro'

Si vous avez aimé...

Dernières chroniques

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net