Krewcial
25/8

Connaissez-vous la scène belge? Moi non plus. Mais voici un artiste qui va peut être changer la donne. Bien que nos deux pays soient voisins, nous n'avons que très peu d'échos de ce qui se passe de l'autre coté des Ardennes. Pourtant, Pascal Garnier a.k.a. Krewcial, a eu le temps de se créer une discographie copieuse (certes assez underground puisqu'il s'agissait de k7 albums) en l'espace de plus de quinze ans d'un activisme acharné. Six albums distribués en indépendant avant de sortir le premier album en langue anglaise de l'histoire du hip hop belge : "Live Guy With Glasses" sort en 1999, distribué cette fois par la branche belge de Pias. C'est le début de la reconnaissance dans ses propres terres et, langue anglaise oblige, l'aube d'un intérêt étranger pour le musicien.

Pour que Krewcial ait marqué les oreilles des distributeurs d'un label aussi sérieux et réputé que BBE, on se dit qu'il y autre chose de marquant chez lui que sa passion déclarée et avérée pour le hip hop et son obstination à imposer sa musique par tous les moyens. En se penchant encore un peu plus sur son parcours, ce dernier nous dévoile de nombreuses participations à des premières parties d'artistes aux noms pour le moins impressionnants : GZA/Genius, Common, Company Flow, Blackstar, Roots Manuva pour ne citer qu'eux ont partagé leur affiche le temps d'un soir ou d'un festival avec le MC/Producteur belge. Fort de toutes ces expériences, Krewcial va rapidement être invité à collaborer avec des artistes internationaux, oscillant entre des productions soul avec Tanya Saw (qui n'est autre que la chanteuse de Zap Mama) ou volontiers plus hip hop avec certains des membres des Living Legends (à qui il est d'ailleurs affilié), ou encore plus récemment, à travailler avec D'Angelo et les Roots sur des projets Okayplayer, le tout sous l'égide du défricheur ?uestlove. Plutôt alléchant comme casting.

On comprend facilement ce qui a pu plaire dans sa musique, elle se définit par un son doux, composé de rythmes tendres et d'instruments que l'on peut croire live, le tout aboutissant à un hip hop que l'on imagine interprété par une formation basse-guitare-batterie-trompette et clavier hammond, un mc et une chanteuse pour les refrains; le tout dans l'ambiance tamisée d'un piano bar branché. Ah oui, et joué pas trop fort, c'est encore mieux. "25/8" ne s'émancipe pas de la musicalité qui a fait connaître Krewcial. Au contraire, elle s'affirme et se confirme encore plus tout au long de l'album que nous allons décortiquer de plus près.

Dans son ensemble, l'album dévoile une souplesse sonore indéniable. Les productions de Krewcial sont clairement influencées par le jazz et la soul (qu'il a découvert plus jeune par le biais de ses parents) et on est tenté de dire que c'est tant mieux, car le son est propre, doux, maîtrisé et flatte les oreilles, même les plus sensibles. Mais n'allons pas trop vite. Un survol rapide de "25/8" nous conforterait dans l'idée que la Belgique a trouvé son Jay Dee (on peut penser parfois à du Slum Village première époque), mais en s'y penchant avec une oreille plus acerbe ou plus aiguisée, les insuffisances se dévoilent nombreuses. Ce qui apparaît rapidement gênant, c'est que toutes les productions sans exception semblent s'articuler de la même manière autour d'une même méthode de travail. Une méthode sans autre élément de départ qu'un rythme, auquel Krewcial vient ajouter un riff de guitare ou gratter quelques notes, un air de trompette pour faire bonne mesure… et le tour est joué. Il n'y a plus qu'à refaire tout ça en changeant les compositions, en ajoutant une basse ou en rajoutant un semblant de mélodie au synthé et on peut tenir sur un album. C'est parfois tellement basique qu'on a l'impression d'assister à un cours de réalisation sur MPC. En fermant les yeux, on pourrait presque se représenter le découpage des pistes sur un écran d'ordinateur. Ce dont souffre la musique de Krewcial finalement, c'est d'un cruel manque de style. Avoir du style, ce n'est pas avoir 18 pistes qui se ressemblent. C'est être capable d'insuffler à sa musique sa passion, ses goûts, sa culture, un peu de sa vie finalement et l'insérer dans un processus créatif qui ressemble à son auteur et que l'auditeur est apte à capter, à ressentir. C'est de cette manière qu'on peut éprouver la musique d'artistes comme Prince Paul, DJ Premier, Pete Rock, Lord Finesse, RZA (autrefois) et Madlib aujourd'hui. En procédant de la même manière avec l'album de Krewcial, et bien, on ne ressent qu'un vide, une fadeur. Des pistes comme 'Krewc Control', '25/8' ou 'Stupid' tendent tellement à l'épuration quelles ne rencontrent que le néant. Là où ces morceaux se révèlent soporifiques, 'Statement' se dévoile insupportable. Une boucle qui se résume au strict minimum, un refrain cheap et des touches synthés qui tiennent plus de l'habillage foireux que d'autre chose, des scratches bien placés qui tentent désespérément de camoufler la pauvreté de la production… Bref, cette piste est imbuvable. On trouvera heureusement des moments plus réussis, comme la réminiscence old school de 'Live From MJ's Basement' et la vivacité enthousiaste de 'Krewcial'.

Si l'ensemble est vraiment trop convenu pour être passionnant, c'est par quelques pistes isolées, la présence de Krewcial au micro et quelques featurings que l'album nous offre de vrais bons moments. Premièrement, Krewcial se révèle être un mc plutôt habile. Il sait, mieux que la plupart de ses invités, arranger son flow de la meilleure des manières avec ses compositions, et il habite sa musique avec une sincérité et une introspection touchantes. L'écriture est simple, pas de métaphores lunaires ou de diatribes sociales mais une forte volonté de défendre son identité musicale et de rester vrai coûte que coûte, qui apparaît comme un sujet récurrent, sur 'Oxygen' par exemple. Ailleurs, les valeurs que dégage l'authenticité d'un vrai hip hop sont abordées avec conviction ('Try Harder') et les bons comme les mauvais souvenirs d'une déjà longue carrière sont évoqués avec tendresse sur 'Reminisce'. Un morceau composé de quelques notes intelligemment associées à une basse moelleuse et à un refrain soigné, font de cette piste un moment savoureux, se terminant par une interlude musicale à la Pete Rock qui aurait mérité mieux que de terminer à la fin d'un morceau, surtout à l'écoute d'autres pistes franchement dispensables... Dans un album qui joue la carte d'un hip hop teinté de jazz et d'une soul suave, on se doit aussi de parler d'amour. C'est le cas avec 'U.R.U.' où la participation de Phonte nous replonge dans le sucre de Foreign Exchange sorti quelques mois plus tôt, toujours sur BBE et réalisé par un autre européen : Nicolay. Krewcial parle beaucoup de sa musique, mais aussi de lui. Il évoque la douloureuse perte de ses grands parents avec justesse sur 'Same Tears' ou fait le bilan (heureux) de sa carrière et de sa vie aux cotés d'un Murs pas très à l'aise dans sa partie rappée. C'est ce dévoilement qui se révèle salutaire pour l'album et qui nous rend le mc belge sympathique. Quant à l'insignifiance musicale qui se fait jour un peu trop souvent tout au long des pistes, elle est contredite à quelques reprises par les collaborations qui parsèment le disque. En effet, la présence d'autres artistes semble éveiller un peu le talent de Krewcial. Des morceaux comme 'Hedonism' et 'The Afters' avec les voix de Cee Majors et de Tanya Saw, se révèlent être des collaborations fructueuses. Les voix féminines qui recouvrent l'album offrent la douceur mélodique qui fait cruellement défaut aux productions de Krewcial. Ces chants et refrains féminins sont finalement les réponses aux attentes qui se développent dans de trop nombreux morceaux, celles d'un quelque chose qui manque, d'un aboutissement qui ne se réalise qu'en de trop rares occasions.

Terminons par le commencement. Sur la première piste de l'album, c'est le légendaire Chuck D qui introduit Krewcial. Encourageant. Mais à l'écoute de cet album, on se demande comment un acteur aussi important du mouvement Hip Hop et d'autres (comme ?uestlove) peuvent s'enthousiasmer sans retenue pour un disque si peu marquant, voire sérieusement fade. Un album qui perd un point à cause de la gourmandise ou de la générosité (au choix) de son auteur. Dommage car il aurait pu passer de la conventionalité la plus affirmée au stade de bon ouvrage si Krewcial avait su tailler un peu dans les 71 minutes qui font cet album. Sans remettre en cause l'activisme et l'influence de Krewcial au sein de la scène Hip Hop belge, cet album reste quand même bien en deça des louanges qui l'entourent. C'est un disque de Hip Hop dans les règles, simplement un peu trop zélé.

Finesse
Janvier 2005
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Label: BBE Music
Production: Krewcial
Année: Novembre 2004

01. The Krewc
02. Krewc Control
03. 25/8
04. Live From RJ's Basement
05. Sky To Land (feat. Inkslove)
06. Statement (feat. Shyrock & Ugene)
07. Reminisce
08. ISP
09. Oxygen
10. Stupid
11. Krewcial
12. On point (feat. Kazi & Oh No)
13. Everyday (feat. Murs)
14. Try Harder (feat. Tanya Saw)
15. Hedonism (feat. Cee Major)
16. The Afters
17. Same Tears
18. U.R.U. (feat. Phonte & Tanya Saw)

Best Cuts: 'Krewcial', 'Hedonism', 'Reminisce'

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