Aceyalone
Grand Imperial

C'est quand même rageant ces rappeurs dont les street-CD's et autres sorties officieuses deviennent systématiquement plus captivants que les albums officiels, non? Surtout que certains artistes commencent à devenir coutumiers du fait. Prenez Aceyalone par exemple. Les preuves semblent contre lui depuis le début du millénaire. Première pièce à compter au dossier : après avoir pondu l'embarrassant (avec le recul) "Accepted Eclectic" en 2001, l'ancien leader de Freestyle Fellowship sort quelques mois plus tard en toute discrétion un "Hip-Hop and the World We Live In" autrement plus abouti (mais bien moins médiatisé). Second élément à charge : dans la foulée d'un "Love & Hate" un peu brouillon, le Californien a l'audace de se fendre du tour-CD "Grade A", vite fait mais au moins aussi intéressant. Comme pour narguer le jury, voici qu'au moment où le décevant "Magnificent City" venait juste d'atteindre les bacs et qu'on ne donnait plus cher de la peau d'Acey Uno, ce dernier annonçait la sortie prochaine d'un disque en édition limitée contenant une tripotée d'inédits ainsi que quelques chutes de studio de son alliance avec RJ. Du coup, on se demandait si le vétéran du Project Blowed n'allait pas nous refaire le coup du side-project qui entretient l'espoir… malgré des projets solos officiels de plus en plus insignifiants.

Voilà donc ce "Grand Imperial" au titre pompeux mais à la diffusion plutôt limitée (si l'on s'en réfère à la distribution à grande échelle des derniers projets de Decon). Et sans vouloir tuer le suspense, il prouve à nouveau qu'Aceyalone fonctionne sur courant alternatif. Ici, contrairement à ce qu'on commençait à se dire, Acey est loin d'être à l'agonie. "My goal is just to be the coldest mic holder who ever got to touch the controller". Facile, relaxé, volontiers joueur, Acey est en pleine forme, bien loin du visage fatigué qu'il exhibait sur 90% de "Magnificent City". Plus proche de ses racines, dans son élément, il apparaît régénéré et retrouve de sa superbe, libéré des carcans et des formules toutes faites… alors que les grands enjeux semblent désormais avoir un effet anesthésiant sur la créativité et la spontanéité du pilier de Lemert Park.

Entouré de producteurs et de emcees (globalement) moins côtés, il se rappelle sa jeunesse et retrouve enfin le goût de la performance vocale. Quand il s'allie à l'afterlifer Pterradacto et à Otherwize pour livrer sa version des 'Sunsets & Waterfalls' qui éludent constamment l'horizon des ghettos de la cité des anges, la claque est même magistrale. A de nombreuses reprises, il se livre ainsi à quelques envolées cathartiques où transparaît une passion qu'on croyait éteinte. "A kind of sorcery we're doing for a sport". Quand l'instru le mérite, l'auteur de "All Balls Don't Bounce" sait encore lui faire honneur. Prenez le grandiose 'Grand Imperial' que nous a concocté ce bon vieux Kenny Segal, par exemple. Mélodies de guitare angéliques, cuivres swingants, chants aériens mais discrets, fond de percussions classieux : on touche au sublime… et Acey en profite pour livrer une prestation de premier plan, jonglant avec les mots et devisant sur son art avec finesse. L'occasion est trop belle pour ne pas noter, au passage, qu'après avoir fourni quelques pépites à P.E.A.C.E. pour son (sous-estimé) "Megabite", Kenny semble actuellement le mieux placé pour faire briller les vieilles gloires de la confrérie du freestyle. Espérons que les principaux intéressés en prennent conscience.

En attendant, Acey se fait plaisir au rythme d'egotrips vivants, de descriptions du bûché des vanités angelino mais aussi de nombreuses variations sur l'amour. "Ain't it funny the games they play?" Bien servi (pour une fois) par une brochette de producteurs inspirés, il se fend ainsi de quelques textes bien vus sur ses relations avec la gent féminine, entre récits de passions qui s'étiolent, portrait de garce impitoyable ou mémoires d'un amant au cœur en mille morceaux (la version live animée de 'Makebalillia' sur fond de 'Billie Jean'). Exactement le genre de textes sincères qui étaient cruellement absents des derniers projets d'Aceyalone. Histoire d'enfoncer le clou et de nous mettre un peu plus en rogne contre l'irrégularité du gaillard, on trouve parmi les rebuts des sessions de "Magnificent City" qui se glissent dans ce décor, deux titres qui dépassent tout ce que ce projet survendu a eu à nous proposer dans sa version officielle (nommément, 'Angelina Valintina' et la harpe synthétique enivrante de 'Never Come Back').

Bon, comme d'habitude sur ce genre d'albums pas vraiment peaufinés où se côtoient indifféremment passages rêveurs et beats rentre-dedans, "Grand Imperial "laisse aussi une impression d'hétérogénéité évidente avec sa liste de producteurs longue comme le bras. De manière prévisible, ce nouveau projet contient en outre son lot de déchets mal triés. Comme ce 'Pose' à la production bête et méchante qui n'aurait pas démérité au milieu des compositions répétitives du suscité "Accepted Eclectic". Comme l'instru pompier de 'Too To The Max' ou encore le risible 'Push', tentative de ragga digital avortée dont la vacuité et la pauvreté sonore semblent totalement hors-de-propos. Mais même si l'album perd clairement de son intérêt au fur et à mesure que sa conclusion approche, l'important n'est pas là.

L'important, c'est qu'Acey Uno nous a prouvé (une énième fois) qu'il n'était pas à ranger au rayon des fossiles décomposés et que son nom pouvait encore se conjuguer au présent. Mieux, "Grand Imperial" fait pencher la balance du bon côté et pourrait bien être le meilleur projet solo d'Aceyalone depuis "A Book of Human Language". Rien que ça. En attendant la suite, profitons-en. Ca pourrait ne pas durer. "Who knew that life was so beautiful?"

Cobalt
Mai 2006
Par années... Par catégories... | Par ordre alphabétique... | Chroniques récentes... |
Label: Project Blowed / Decon
Production: RJD2, Kenny Segal, Z-Trip, Aziph of the Crux, Beat Science, The Functionist, Morgan Z & Chris Craft
Année: Avril 2006

01. Grand Imperial
02. Everything Changes (feat. Mystic)
03. Push (feat. Zulu)
04. Sunsets & Waterfalls (feat. Otherwize & Pterradacto)
05. Pose
06. Never Come Back
07. Angelina Valintina
08. Makebalillia Live
09. Doin' My Job [UK Remix]
10. Too To The Max
11. Impact

Best Cuts: 'Grand Imperial', 'Sunsets & Waterfalls', 'Never Come Back'

Si vous avez aimé...

Dernières chroniques

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net