Zion I
Deep Water Slang V2.0

Comment donner suite à un premier album de la trempe de "Mind Over Matter "? Comment succéder à une œuvre magnifique qui, dès sa sortie en 2000, s'est imposée comme un des albums majeurs en provenance de la nouvelle scène californienne ? Une question dont certains groupes ne se sont jamais relevés et à laquelle Zion I s'est retrouvé confronté sans préavis. Plusieurs options s'offraient au groupe. Soit suivre précisément dans les traces de leur premier essai. Soit s'aventurer sur de nouveaux chemins sans chercher à faire un second "Mind Over Matter"… et risquer alors de s'y casser les dents. A l'écoute de ce "Deep Water Slang V2.0", qui sort enfin après d'innombrables problèmes de labels et la défection de DJ Khalyil des rangs du groupe, MC Zion et Amp Live ont clairement décidé de prendre la deuxième option et d'aller plus loin dans leur recherche musicale… avec beaucoup de bonheur.

Car ici, en dehors d'un 'Mind Blow' qui sonne comme une continuation du sublime 'Inner Light' avec son beat épileptique et sa guitare acoustique, pas la moindre trace des escapades drum & bass qui avait tant fait jaser à la sortie de "Mind Over Matter". Plutôt que de se répéter, Amp Live a cherché à enrichir sa science de production en amenant en de maintes occasions des instruments acoustiques dans son melting-pot sonore. Toujours aussi profonde, structurée, éclectique dans ses influences et variée dans ses ambiances, la production d'Amp Live démarque le groupe de tout ce qui se fait actuellement dans le rap. Aussi à l'aise dans les morceaux downtempo ('Sorry', 'One More Thing') que lorsque les bpm s'affolent ; aussi doué pour les ambiances synthétiques que pour des paysages organiques métissés d'instruments divers, Amp Live impressionne par son ouverture d'esprit et ses prises de risques répétées. Se refusant à se reposer sur ses lauriers, il préfère avancer et expérimenter. Cependant sur le trajet, il livre quelques ratés. On pense inévitablement au single 'Cheeba Cheeba' (ici inclus) où l'instru faussement sautillant s'avérait d'une pauvreté étonnante et rendait une brillante collaboration lyricale entre Zion et l'incomparable Aceyalone assez inaudible. Difficile de choisir un plus mauvais single au sein de "Deep Water Slang V2.0". Le beat bounce à forte teneur électronique de 'Le, Le, Le' ou le synthé lourd de 'A.E.I.O.U.' peinent eux aussi à nous tenir en haleine et deviennent vite irritants. Dans un registre différent, on a du mal à comprendre l'intérêt de l'interlude 'Deepwaterslang'. Bref, si Amp Live est doué, il n'est pas encore infaillible. Ces quelques morceaux font donc fortement tâche dans un tableau autrement onirique. Car, ailleurs, Amp Live est à la hauteur de sa réputation acquise avec "Mind Over Matter". La diversité de ses talents frappe de plein fouet. Sur la divine alliance avec The Grouch intitulée 'Flow', il compose une merveille d'instru chaud, apaisé et jazzy. Mélangeant les talents acoustiques d'un contrebassiste, d'un pianiste et d'un batteur, il leur ajoute la sublime voix de la choriste attitrée des Hieroglyphics, Goapele, en contrebas pour mettre en musique à la perfection la poignante réflexion sur la spiritualité à laquelle se livrent Zion et le grincheux. Sur le mémorable 'Boom Bip' (déjà disponible depuis un moment), les vibes planantes et mélodieuses qu'Amp installe dessinent un écrin qui reste un des sommets indétronables de ce nouvel LP. Sur l'interlude 'Kick Snare', il crée une respiration musicale fracassante en utilisant les talents de beatboxer de Killa Kela pour donner encore plus de relief à sa rythmique hautement dosée en adrénaline. Son utilisation d'instruments live lui donne une liberté totale de changer les couleurs, d'insérer des breaks dans ses morceaux et de les faire évoluer à sa guise, sans contrainte, tout en gardant intact l'esprit de la boucle si cher aux b-boys du monde entier. Au nombre des satisfactions dues à cette nouvelle méthode, il faut compter 'Kharma'. Basé en premier lieu sur un riff de guitare acoustique torturé et quelques scratches bien pensés de DJ J Period, 'Kharma' part en cours de route sur le chemin des influences orientales en se parant des atouts d'une sitar… et en nous emmenant dans un final extatique. Mais s'il fallait ne retenir qu'un titre, ce serait sans doute 'Sorry'. Sa flûte enchanteresse, son clavier renversant, sa section de cordes émotionnelles : dur de ne pas verser une larme devant une telle perfection… entièrement mise au service du texte de Zion.

Car 'Sorry' est avant tout un tour de force lyrical. Un texte intime et bouleversant sur le pouvoir du pardon où Zion se met à nu et se montre vulnérable en remettant ses compteurs à zéro en s'excusant auprès de tout ceux qu'il a pu blesser au cours de sa vie. A ranger dans la catégorie des "emcees conscients mais pas chiants", Zion possède toujours un flow habité, versatile et maîtrisé qui se montre à même de parer à toutes les éventualités et configurations sonores. Comme lors de ses précieuses apparitions ces dernières années, il se montre d'une intelligence rare en ficelant des textes personnels et complexes qui touchent aussi bien à la politique (on n'est pas affilié à Raptivism pour rien !) qu'au personnel en gardant toujours une touche d'émotion. Sous le vernis d'un hit rythmé aux saveurs digitales, 'Warrior's Dance' est ainsi un appel à la mobilisation de la communauté noire face à un gouvernement plus oppressant que jamais mais aussi un hommage à tous les combattants morts pour la cause noire. Parfumé d'influences africaines par le biais de l'usage astucieux de chants tribaux en fond sonore, cette collaboration avec un Pep Love toujours dans le ton fait honneur à Zion I. Tout comme 'Kharma' qui aborde tour à tour la difficulté de rester dans le droit chemin quand on est jeune et les relations troubles entre argent, armes et religion… ou comme le positif 'Mind Blow'. En fat, Zion se montre en grande forme dans ses textes, abordant les sujets qui lui tiennent à cœur sans se mettre des œillères et sans oublier de livrer quelques egotrips bien tournés pour faire bonne mesure. Bref, comme prévu, Zion resplendit et tient son rang, aidé par son alchimie réelle avec son producteur. Pourtant, sa fiche n'est pas exempte de petites erreurs quelque peu égratignantes pour nos oreilles. On regrettera ainsi sa propension à livrer à l'occasion des refrains assez insipides ('Le, Le, Le') ou profondément banals ('Cheeba Cheeba', 'Mind Blow') qui viennet quelque peu ternir le tableau…

Au bilan, "Deep Water Slang V2.0" surprendra sûrement les adeptes de longue date de Zion I. En effet, le groupe est allé de l'avant et nous livre un album bien différent de leur premier opus, qui n'a de commun avec lui que la haute dose d'individualité qui y est injectée. Force est de constater qu'en relevant le défi qui leur était posé, Zion I passent la fatidique barre du second album de belle manière. Original, intelligent, honnête, divertissant, maîtrisé, osé, ce nouvel album reste cependant un cran en dessous de son prédécesseur. S'il contient quelques titres magistraux et inoubliables, ce nouvel album n'est pas exempt de quelques défauts déjà évoqués (refrains faciles et occasionnellement titres bouche-trous) qui l'empêchent d'atteindre les sommets de "Mind Over Matter". Néanmoins, s'il n'est pas parfait, ce "Deep Water Slang V2.0" reste une aventure passionnante à plus d'un titre qui se montrera enrichissante pour tous ses auditeurs et où chacun trouvera sûrement matière à satisfaction… A vrai dire, ne serait-ce que pour 'Sorry', 'Flow', 'Boom Bip' ou encore 'Karma', il mérite amplement qu'on s'y attarde. En tout cas, Zion I confirment qu'ils sont un groupe plein d'idées et de ressources à suivre de près. Le duo d'Oakland a encore de beaux moments à nous offrir en leur compagnie…

Cobalt
Avril 2003
Par années... Par catégories... | Par ordre alphabétique... | Chroniques récentes... |
Label: Live Up/Raptivism Records
Production: 418 Hz (Amp Live)
Année: Février 2003

01. Jahmbo
02. The Drill
03. Warriors Dance (feat. Pep Love)
04. Finger Paint (feat. Susie Sush & Dust)
05. Kharma
06. Flow (feat. The Grouch)
07. A.E.I.O.U.
08. Deepwaterslang
09. Cheeba Cheeba (feat. Aceyalone)
10. Kick Snare
11. Sorry
12. Le, Le, Le (feat. Dust & Deuce Eclipse)
13. Boom Bip (feat. Goapele)
14. Mind Blow
15. Dune
16. One More Thing (feat. Susie Sush)
17. Rock Y'All

Best Cuts: 'Sorry', 'Boom Bip', 'Flow'.

Si vous avez aimé...

Dernières chroniques

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net