Radioinactive
Soundtrack To A Book

Soyons francs : Radioinactive, c'est un peu notre chouchou par ici. Un gars bien, humble, inventif, libre, sans idée préconçue. Une discographie qui donne envie, de "Fo'Tractor" à "Free Kamal" en passant par l'incontournable "The Weather", et ce indépendamment de la qualité variable des enregistrements. Des amis plus que recommandables. Un flow caméléon qui n'en finit pas de changer de couleur et de sauter sur des beats rebondis à la vitesse d'un Edgar Grospiron grande époque. Une assimilation parfaite de tous les meilleurs côtés de l'école californienne du Good Life et des Shapeshifters. Beaucoup de forme mais aussi du fond (parfois) et plein d'images vocales qui retournent le cerveau. Le emcee idéal en quelque sorte. Alors, certes, "Free Kamal" n'était peut-être pas la meilleure livraison de Radio mais on n'en attendait pas moins la suite de l'aventure avec autant d'excitation que des petits angelinos guettant le passage du camion de glaces en plein cœur du mois d'août. Surprise! Ce n'est pas sur Mush que la nouvelle galette attendue voit le jour mais sur le nouveau-né Stranger Touch Records.

Certaines choses ne changent pas. Comme la photo de Radio enfant qui orne à nouveau la pochette de cette bande originale qui n'en est pas une. Comme la qualité impressionnante du flow magnétique de l'ancien de Log Cabin. Pour autant, les surprises sont nombreuses sur ce "Soundtrack to a Book". Ainsi, cette fois-ci, Kamal n'a pas fait appel aux talents de son compère de toujours AntiMC. Pour la première fois, monsieur a décidé de s'occuper quasi-intégralement de l'habillage sonore d'un de ses projets solos (un seul titre 'Radiator' étant alloué au beatmaker Eliot Lipp, ancien coturne de Subtitle récemment remarqué pour son "Tacoma Mockingbird"). Un parti-pris étonnant, vu que les compositions de Radio étaient devenues de plus en plus rares au fil des ans. Homme de défi, Radio a de plus décidé (histoire de se compliquer la tâche) de s'imposer une contrainte technique en composant son album sur un CMI de Fairlight, un des dinosaures de l'échantillonnage musical (dont la technologie remonte à la fin des seventies).

Etonnant donc, mais surtout convaincant. "I don't need anyone to make my life complete". A l'écoute de ce nouvel opus, Radio fait en effet preuve d'aptitudes insoupçonnées à la manipulation des sampleurs. Versant dans son grand shaker une bonne dose de rap surréaliste à la sauce Shifters, quelques touches d'électro, une pincée d'énergie rock accrocheuse et quelques ovnis sonores incongrus, il secoue le tout avec vigueur et obtient un breuvage pour le moins addictif. "Make your head spin like a fifth of vodka". Tirant le maximum des capacités limitées du CMI, il parvient à assembler un son évolutif et artisanal, qui dresse un pont entre la préhistoire analogique et le futur numérique… comme une mise en perspective des élucubrations de la période "Know Future". Il suffit d'écouter le génial 'Personality Theft' pour s'en convaincre. Guitares désaccordées, tam-tam tribaux, extraits de films improbables et nappes fantomatiques sorties tout droit d'une série Z à la Ed Wood : bienvenue au royaume de l'étrange, où le rythme peut s'accélérer sans prévenir et où des fusillades de laser guns peuvent vous tomber dessus au détour d'une ruelle. Un royaume bancal où se croisent ailleurs un clavecin, le sifflotement d'un cowboy solitaire, des guitares électriques survitaminées, des beats autodestructeurs ou encore les scratches old school d'un L.A. Jae sous amphé…

Pour autant, tout n'est pas fait que d'idées et de bout de ficelles. Ici, les prises de voix sont propres, professionnelles. Mais là où "Free Kamal" paraissait parfois trop propre et policé (s'adaptant mal à l'abandon des enregistrements 4 pistes qui faisaient partie intégrante de l'identité des premiers jets de l'auteur de "Pyramidi"), "Soundtrack to a Book" parvient à n'être jamais trop carré et professionnel. Certes les morceaux sont plus structurés qu'il y a 5 ans, les couplets sont de longueur raisonnable et la présence de refrains est quasi-systématique, mais pourtant l'album part dans tous les sens et laisse libre cours à une créativité débridée qui fait plaisir à entendre. En un sens, et au contraire de nombre de ses comparses Shifters, Kamal parvient à rester fidèle à l'esprit amateur des essais fondateurs un peu foutraques du collectif californien, tout en en proposant une version "améliorée", plus présentable (mais pas moins audacieuse).

D'autant plus que Radio a rarement été aussi inspiré vocalement qu'ici. Si 'Trouble' défie à nouveau les lois de la métrique ainsi que les limites théoriques de la respiration humaine, Radio fait par ailleurs montre d'une palette de styles sans réel équivalent. "Sometimes I rhyme slow, sometimes I rhyme quick / Fly on a track like a witch on a broomstick". De 'Refrigerator' où Radio dévale des montagnes russes à une vitesse affolante au refrain chantonné de 'Tarantulas', il y a un fossé que seul un virtuose polymorphe de la trempe de Radio pouvait franchir. Chapeau bas. Pour ne rien gâcher, Radio profite aussi de cette aventure solo pour triturer et trafiquer sa propre voix quand l'envie lui en prend… La ralentissant, la filtrant, la découpant, il lui réserve parfois le même sort qu'à ses samples, ce qui se révèle être une sacrément bonne idée.

Comme toujours, Radio crée son propre rythme dans le décor mouvant de ses productions, traçant son chemin off-beat en alignant les autoportraits ironiques, les égotrips décalées et les images impressionnistes. "Tougher than Russell Crowe / Getting beat up on the Muppet Show / Get up, stand up and touch your toes […] Gotta get my hustle on, eat an artichoke". Free association still rules… Que dire de plus alors? Qu'au rayon des limites de ce "Soundtrack to a Book", il y a bien évidemment sa courte durée (vingt-six minutes) ainsi que le caractère indéchiffrable des lyrics d'un 'Radiator' où la voix de Radio est hachée sans pitié. Que, par extension, on pourra regretter l'absence d'un livret regroupant les textes colorés de Kamal (on s'était habitué au luxe des éditions Mush, avouons-le). Mais à bien y regarder, c'est à peu près tout.

"Soundtrack to a Book" propose en effet un rap ludique, hybride et créatif à l'image exacte de son auteur. Ce quatrième album est un energizer culotté, énergique, audacieux, plein d'idées, de prises de risques et d'approximations attachantes. Un min-album qui fait du neuf avec du vieux pour mieux se projeter dans l'avenir. Un gros EP qui revient à la source de l'académie Shifters et la revisite, en explorant au passage une multitude de possibilités tout en parvenant à maintenir une vraie cohérence. Le temps le dira, mais il se pourrait bien que ce "Soundtrack to a Book" soit le meilleur essai solo de Radioinactive. En tout cas, il atterrira sans aucun doute pas loin du sommet de nombre de classements d'ici la fin de l'année. Les paris sont ouverts. En attendant, courrez l'acheter dès qu'il atteindra les bacs.

Cobalt
Avril 2006
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Label: Stranger Touch Records
Production: Radioinactive & Eliot Lipp
Cuts: LA Jae
Année: Mai 2006

01. Preface
02. Refrigerator
03. Tarantulas
04. Personality Theft
05. Page Six
06. Radiator
07. Sometimes
08. Footnote
09. Refrigerator [Reprise]
10. Trouble

Best Cuts: 'Tarantulas', 'Personality Theft', 'Refrigerator'

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