Sixtoo
Next (A Primer On Urban Painting)

Parfois, quand on s'ennuie, on va chercher des sucreries dans un placard. En musique, c'est presque pareil. Et régulièrement, on peut compter sur Bully pour nous abreuver en maxi assassins et nous donner le coup de fouet nécessaire pour nous sortir de ce marasme. C'est une nouvelle fois le cas. "Next : A Primer On Urban Painting" est un documentaire sur le graffiti et tous les types de peintures urbaines réalisé par Pablo Aravena. Et quelle bonne idée a-t-il eu en faisant appel aux talents du canadien Sixtoo pour en illustrer les images! C'est une œuvre toute particulière pour le canadien, aussi bien pour son utilisation que pour le "son" développé ici. Le plaisir provoqué par ce projet démarre avec les yeux. L'artwork mériterait presque à lui seul l'achat de ce mini album. Mais quoi de plus normal pour une musique qui illustre un documentaire sur l'art graphique. Proposé sur deux 45 tours, les deux galettes sont enveloppées au sein d'un livret qui a la couleur bleue du ciel d'été, ce dernier étant aussi agrémenté d'un dessin de choix réalisé par un certain Nunca. Joli travail. Mais ce qui nous intéresse, nous, c'est bien ce qu'il y a de gravé dans les rainures de ces deux 45 tours. Bonne nouvelle : on ne va pas être déçu.

Dès 'Catacombs Theme', on retrouve cette saveur obscure et angoissante qui nous avait marquée dans son récent "Krunks Not Dead". Mais cette fois-ci, le voyage se fait encore plus sombre. Imaginez vous perdu dans une grotte exiguë aux murs humides, avec pour seul chaleur une boite d'allumettes qui se consument bien trop vite pour essayer de vous sortir de là. Ah ah! L'image donne des frissons mais mieux vaut être prévenu sur ce qui vous attend si vous vous risquez à acheter ce mini album. Basse synthétique aussi sourde que puissante qui résonne comme les pas d'un démon au fond d'une forêt noire de la Transylvanie, mélodie empoisonnée pour piano et beat dont les snares semblent tout droit sortis de machines à compression… Il y a dans ce 'Catacombs Theme' qui porte bien son nom de quoi provoquer un trauma chez l'auditeur.

Le pire (ou plutôt le meilleur) c'est que tout le disque est de ce niveau. On le comprend dès la piste suivante, 'Incedental 1', débauche sonore mélangeant rythmes lointains et sourds avec un gimmick électronique répétitif. Vous l'aurez compris, il se dégage de cet album un goût prononcé pour une impressionnante violence musicale. De partout semblent frapper des jeux de basses sévères, et quand ils ne sont pas à la base de la mélodie ('Incedental 7'), ils exercent un étrange pouvoir sur nos tympans ('Incedental 8'). Ce qui rend aussi ces productions si addictives, ce sont leurs beats qui semblent impossibles à concevoir et que Sixtoo arrive pourtant à réaliser. Ils agissent comme un virus contagieux dont on n'arrive pas à se détacher. On peut tantôt croire les productions du canadien stériles ou sans développement, mais elles ont toujours le pouvoir extraordinaire de nous envoûter à chaque fois et jusqu'au bout. Sans doute ce mélange de dépression et de fin du monde avec un zest de mélancolie fait de ce cocktail rugueux un nectar aussi appréciable. De dialogues découpés sur une mélodie à la guitare acoustique ('Other's Theme') en passant par une complainte s'apparentant plus à une alarme de caserne associée à un jeu de notes très basses ('Incedental 2'), ou encore l'utilisation de bruitages tout droit sortis d'usines industrielles, tout est construit de façon à virer à l'hystérie ou à l'hypnotisme. Au choix.

Si "Krunks Not Dead" se composait de deux perles noires, "Next" est fait de souffre et de lave. Le premier vous étouffe, le second vous brûle. Voilà l'effet de ce court mais intense "score" (musique originale composée pour une œuvre de cinéma dans le jargon des pros…). Face à cette expérience nouvelle, le canadien a trouvé un souffle neuf. Pas que sa musique avait besoin d'une révision, mais ses sorties cd's longs formats ne trouvaient pas toujours ces derniers temps l'efficacité transmise sur des formats plus courts. Moins de fureur, moins de fièvre. Et le documentaire dans tout ça, me direz-vous? Et bien je n'ai pas pu le voir, mais à l'écoute de sa musique, je l'imagine tourné en super 8 avec une photo sous exposée et un montage crade renforçant l'aspect sur le vif qui fait tout l'attrait d'une vie de graffeur. Ce n'est pas le cas mais pourquoi pas. Bref nous y reviendrons si nous avons pu y jeter un coup d'œil… Pour en revenir au travail de Sixtoo, il semble très inspiré en ce moment, et cela laisse augurer du meilleur pour son album à venir chez Ninja Tune.

Encore un projet de haute tenue pour Sixtoo et une pièce de choix de plus au sein du passionnant catalogue Bully, qui ne cesse d'enchaîner les sorties indispensables. Dommage que leurs sorties restent souvent assez confidentielles, du fait d'une circonscription aux tirages vyniles (souvent limitées) dans la majorité des cas. Mille pièces ont été pressées pour ce "Next". Alors si vous possédez une platine, vous savez ce qu'il vous reste à faire. Maître de la claustrophobie musicale, incitateur malfaisant et musicien torturé, Sixtoo c'est un peu tout ça. Et quand tout se marie sous les auspices d'on ne sait quel démon diabolique, écouter sa musique relève plus d'une expérience éprouvante que d'une balade de santé. Secoué? Oui.

Finesse
Février 2006
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Label: Bully Records
Production: Sixtoo
Année: Février 2006

A1. The Catacombs Theme
A2. Incedental 1
B1. Other's Theme
B2. Incedental 2
C1. Incedental 3
C2. Incedental 4
C3. Incedental 5
D1. Incedental 6
D2. Incedental 7
D3. Incedental 8

Best Cuts: 'Other's Theme'; 'Incedental 2'; 'Incedental 5'

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