Lab Waste
Zwarte Achtegrond

Annoncé à demi-mot depuis plusieurs mois, la perspective d'une alliance longue durée entre Subtitle et Adlib nous donnait déjà des sueurs froides. Avec les superbes "Lost Love Stays Lost" et "Decomposition", il faut dire que les 2 collègues avaient, chacun de leur côté, fait monter leur cote de façon exponentielle. Du coup, on imaginait avec un enthousiasme non dissimulée la rencontre entre les rythmiques heurtées et volontairement dissonantes de Subtitle et les sonorités de fin du monde d'Adlib. Qu'il semble loin le temps où Subtitle n'était qu'un grand échalas un peu perdu au milieu de la galaxie Shapeshifters, sortant dans l'anonymat le plus total des projets plus gouffriques les uns que les autres. Qu'elle semble lointaine l'époque où Adlib n'était que le petit producteur en chambre des Global Phlowtations. Au fil des ans, le bouche à oreille aidant, leurs albums mais aussi les projets de Weekend Science Experiment ou Inoe One (portant la marque de Subtee et/ou Adlib) n'ont cessé d'être (re)découverts et sont devenus des incontournables pour tous ceux qui suivent avec attention les évolutions de l'underground californien. Alors que Thavius Beck a le vent en poupe, posant aussi bien des productions chez Saul Williams que sur les projets angelinos les plus prisés, et que Giovanni Marks prépare la sortie très prochaine de son "Young Dangerous Heart", "Zwarte Achtegrond" tombe à point nommé. Voici donc enfin le résultat des expérimentations non accréditées du laboratoire californien le plus innovant de ces dernières années.

Lab Waste. Le nom est peu ragoûtant mais le menu l'est plus. En effet, ce ne sont pas des déchets ou des vieux restes qui nous sont servis mais bien du matériel flambant neuf. Un son brut, minimaliste et ultra-dense d'où surnagent, cachées derrière une nuée de filtres, quelques mélodies de clavier maladives. A la limite de l'implosion, les solutions acides élaborées par Lab Waste sont basées sur une association de composants aux propriétés pour le moins instables. Constamment parcourus de bugs numériques, les beats captent la lumière et l'emprisonnent comme un trou noir. Prenez au hasard l'exemplaire '2 In 1' et son impitoyable décor de désolation. Fracas électronique, nappes rutilantes et menaçantes, clavier aux allures funèbres, rythmique écrasante, bleeps incohérents, percussions glissant sur le titre comme des gouttes d'eau glaciales, petite mélodie de clavier blafard, voix froides aux reflets métalliques… Tout est parfois question de douceur dans la brutalité des univers post-mortem d'Adlib et Subtitle. Mais pas trop souvent. Entêtants, hypnotisants, éprouvants, les bruits concassés et violemment entrechoqués dans le chaos sonore qui règne ici ont un goût à part, l'odeur du napalm et de la calcination après un raid aérien sur Saigon. Un chaos où surnagent tout juste quelques mélodies en souffrance, noyées sous des sons filtrés et compressés jusqu'à en extraire toute trace de vie.

Si l'univers sonore de Lab Waste a quelque chose d'unique, d'inclassable, on y retrouve avec plaisir certains éléments familiers; à l'instar des rythmiques épileptiques qu'affectionne tant le "Manipulator" ou des delays et des voix robotiques typiques du Shifter géant. Mais Subtitle et Adlib ont eu l'intelligence de faire plus que simplement fusionner leurs univers respectifs, tout en poussant plus loin leur entreprise de déshumanisation de l'art. Plus qu'une simple rencontre entre musique électronique et hip-hop, la musique de Lab Waste va au-delà des raccourcis faciles et galvaudés. Pleines d'évolutions à peine perceptibles mais bien réelles, elle est ailleurs, plus loin que le rap, quelque part dans l'espace des possibilités. "It's physically impossible to truly explain the inner workings of this mechanical bio-organism that I live within". Certes, l'ensemble est complexe et pourra en rebuter plus d'un mais, avec son lot de remixes au diapason groupés en fin de parcours, "Zwarte Achtegrond" a plus d'une corde à son arc pour convaincre les réticents.

Et les arguments ne sont pas que musicaux. Reconnu pour ses talents de producteur, Adlib prouve ici à tous ceux qui en doutaient que sa présence microphonique n'est pas à négliger. Le couplet d'ouverture de 'Dope Beat (Or Something)' où il chevauche le rythme avec une maîtrise impressionnante marquera à coup sûr les esprits. La variété des bpm's proposés invite aussi Subtee à étaler sa panoplie de flows et à prouver qu'il n'est pas ce emcee au phrasé monolithique que certains voyaient en lui. Du coup, alors qu'on ne s'y attendait pas forcément, l'aspect vocal du projet prend plus d'ampleur. Racontant leurs migraines et leurs peurs, décortiquant le processus de lobotomisation dont est victime une majorité du public rap, mettant en scène leur quotidien peu glamour, manifestant leur ras-le-bol de la violence affichée partout dans le hip-hop, Subtee et Adlib restent ces artistes un peu hautains et égocentriques. "We came to inject a little bit of intellectual info / Set to a beat to offset / The inimical complaints of the ignorant; / Those content within the confines of a weak mind designed to neglect / The text set to tape within a virtual space and time". Malgré leur misanthropie affichée, les touches d'humour noir et le talent évident font qu'on ne peut résister. Le pouvoir d'attraction des trous noirs est irrésistible. Il faut les entendre s'interroger sur les secrets de la vie et de la mort dans un vocabulaire fouillé et volontairement ésotérique pour toute personne non avertie ('Internal Psi/Sci/Ence'). "Speaking in non-sequiturs, incomplete sentences". Le rap est cérébral; le registre est scientifique; les termes informatiques abondent; les egotrips se transforment parfois en manuels de chimie pour les expérimentateurs en herbe ('2 In 1'), mais on est fasciné.

La fluidité des enchaînements, les interactions à distance entre Adlib et Subtitle ne donnent que plus de valeur à leurs obscures expériences. Et puis, les deux gaillards savent aussi se taire lorsqu'il le faut. Laissant souvent des respirations instrumentales libératrices d'énergie en fin de morceau, ils proposent aussi quelques compositions nues surlignées par des dialogues intrigants (cf. le bombardement d'énergie d'un 'Static Wednesday' post-apocalyptique et contradictoire). Mieux, ils mettent toujours leurs voix au service de la musique. La litanie diabolique de 'Get The Signal', le côté obsessif des répétitions de 'Tell Her To Come Overrrr', les effets mécaniques de 'Too Close/2 Clothes', le fracas traumatisant du remix final de 'Dope Beat (Or Something)': chaque élément vient s'insérer logiquement sur le disque non formaté de Lab Waste. Si bien qu'en dehors d'un 'The Debris Meets The Sea....' un peu terne on ne trouve rien à reprocher à "Zwarte Achtegrond"…

Peut-être moins radicale et hermétique que sur certains des travaux passés de Subtitle et Adlib, la musique de Lab Waste reste cependant furieusement captivante et clairement "not intended for commercial use". Comme prévu, Subtitle et Adlib ont en effet mis sur pied un album compact, aventureux et inquiétant, toujours à la limite de la rupture. Un LP qui exerce sa torture psychologique sur l'auditeur de la première à la dernière seconde, sans le moindre répit. Si on frissonne un peu moins qu'à l'écoute d'un "Lost Love Stays Lost" ou d'un "Manipulator", Lab Waste signe indubitablement là l'un des albums phares de ce début d'année. "Zwarte Achtegrond"? En V.O., ça donnerait "Black Background". Pourtant la toile de fond de cet album hors du commun doit peu au lourd héritage musical noir. Ici, le noir a plus à voir avec le fond infini du vide intersidéral, avec les obscurs mécanismes qui régissent la vie et la mort ou avec les zones sombres du pysché. "Combine your awareness of transcendance / With the frustration of existence / And you might just understand internal science". Et peut-être Lab Waste par-là même. En tout cas, tentez l'aventure.

Cobalt
Janvier 2005
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Label: Temporary Whatever
Production: Lab Waste, Daedelus, Sixtoo, Dntel
Année: Janvier 2005

01. Introduction
02. 2 In 1
03. Secret Elemental Block #001
04. Get The Signal
05. Dope Beat (Or Something)
06. Static Wednesday
07. Tell Her To Come Overrrr
08. Too Close/2 Clothes
09. The Debris Meets The Sea....
10. Stress'd Rest
11. Internal Psi/Sci/Ence
12. Secret Elemental Block #002
13. In Conclusion
...
17. Dope Beat (Or Something) (Sixtoo's Remix)
18. To Close/Too Close/Too, Too Close (Dntel's Remix)
19. Go And Get The Signal Back (Daedelus's Remix)
20. Dope Beat (Or Something) (Thavius Beck's Remix of Sixtoo's Remix)
18. Dope Beat (Or Something) Video

Best Cuts: '2 In 1', 'Static Wednesday', 'Get The Signal'

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