J-Live
Always Will Be

Prodige de l'underground depuis bientôt une décennie, J-Live récolte enfin ces dernières années les fruits de son dur labeur après avoir été longtemps coincé dans les rouages d'une industrie du disque préférant la rentabilité immédiate au talent pur. Désormais indépendant et libre de sortir des disques comme il l'entend par le biais de sa structure Triple Threat, il en a profité cette année pour parachuter dans les bacs 2 EP's. Il y eut tout d'abord "Always Has Been", anthologie complète et incontournable des premières bombes lâchées par J-Live entre 1995 et 1997. Cette réunion inespérée des titres qui ont fait sa légende nous avait fait chaud au cœur, tout en permettant à un nouveau public de découvrir ces perles devenues rares. En cette fin d'année, J-Live donne suite à ce EP inégalable avec un second EP compilant cette fois 8 titres inédits fraîchement enregistrés et annonciateurs de ses travaux futurs. Autant le dire d'entrée de jeu, "Always Will Be" est une grosse déception…

La faute à un niveau de production qui confine à la catastrophe. En voulant se charger seul de toutes les productions, J-Live a pêché par gourmandise et a commis une grossière erreur. En effet, si son évolution en tant que producteur s'était révélée encourageante sur "All of the Above" (peut-être du fait des conseils avisés de Joe Money), ses instrumentaux sont ici d'une pauvreté et d'une banalité affligeantes. Exit les nombreux instruments et la texture chaude qu'on avait pu entrevoir sur ses précédents projets. A la place, J-Live signe des sons squelettiques trop minimalistes, vides d'âme et souvent mal assortis qui font peine à entendre. Le beat horripilant de 'Always Will Be', la rythmique esseulée surmontée d'un clavier creux de 'Deal Widit', les violons synthétiques à vomir de 'Walkman Music' ou les faux cuivres cheap de 'Get Live' sont autant d'éléments qui plombent lourdement le EP. Certes, tout n'est pas totalement noir et quelques titres sortent un peu du rang (voir plus loin)… mais ils ne sont jamais renversants. Du coup, on nage globalement dans la médiocrité. Quoiqu'il en soit, même s'il est plus économique et gratifiant de s'autoproduire totalement et d'être capable de maîtriser tous les aspects d'un titre, on se demande comment J-Live a pu, en son âme et conscience, croire que ces beats aux ficelles grossières feraient le poids face à sa discographie antérieure…

Au milieu du marasme ambiant, 2 titres parviennent pourtant à se détacher et montrent enfin J-Live sous son meilleur jour à tous les niveaux. Retour aux sources de circonstance, 'Add-A-Cipher' s'écoute comme un futur classique des performances scéniques de son auteur. Un breakbeat quasi-nu au rythme effréné, des bruits de foule, quelques percées cuivrées, un passage scratché en beauté par DJ Flo Fader; un second couplet d'anthologie et un refrain interactif: la formule est à n'en pas douter explosive… et le sera encore plus sur les planches. Mais c'est surtout le soyeux '9000 Miles' qui rassure un peu quant aux capacités de J-Live, le producteur. Pour une fois profond, détaillé et chaud, l'instrumental nous envoûte à base de basse addictive, de piano discret et de samples fantomatiques faisant écho à une batterie jazzy. Quand on rajoute à cela un texte poétique à la beauté abstraite, le bonheur est enfin complet…

Ailleurs, malgré tout son talent, J-Live peine à briller sur les instrus décevants qu'il s'est confectionné. Pourtant il s'est une fois de plus échiné à aborder ses sujets avec un point de vue original. Comme les grands réalisateurs, J-Live sait en effet livrer sa vision de la vie avec finesse (voir l'honnête 'Deal Widit') mais surtout placer sa caméra là où on ne l'attend pas, captant ainsi les imprévus et éclairant les thèmes les plus communs sous un nouveau jour. On pense évidemment ici à 'Car Trouble' où J-Live, revêtant le costume d'un ancien rapper devenu chauffeur de taxi, conduit un jeune emcee (interprété par Wordsworth) vers le building du label où il est censé signer son premier contrat. Sur la route, la discussion s'engage… et la ballade se transforme en une métaphore filée parfaitement exécutée où J-Live compare le monde concurrentiel des taxis new-yorkais avec son parcours sinueux et truffé d'embûches dans l'industrie du disque. Servi par une ligne de basse qui rentre vite dans la tête (même si elle s'essouffle après quelques écoutes), 'Car Trouble' est une pirouette réussie qui permet à J-Live d'avertir les aspirants rappers des dangers du métier tout en ficelant une histoire prenante et divertissante. Dans le même registre, on se doit de mentionner 'Walkman Music', authentique hommage à tous ceux qui écoutent sa musique avec des écouteurs, écrit avec un sens du détail incomparable. Lorsque J-Live joue avec les concepts, même les egotrips sont un petit régal. A l'image d'un 'Always Will Be' qui le voit successivement défaire un tueur à gage envoyé par ses opposants puis personnifier sa musique en femme attisant la jalousie de tous. Lyriciste éblouissant, J-Live se permet néanmoins ici quelques facilités inhabituelles et un peu énervantes à l'instar du refrain affligeant d'un 'Get Live' qui s'impose comme le pire titre de la carrière de J to the L.I.V.E. Ces petites baisses de régime au micro (même s'ils sont rares) confirment qu'à vouloir trop en faire Jean-Jacques en perd parfois son latin.

S'il est donc comme on s'y attendait chargé en bonnes rimes et en flows excitants, "Always Will Be" ne parvient que trop rarement à s'extirper de productions médiocres. Avec 2 titres enthousiasmants et 2 titres passables (dont l'outro 'Skip Proof') pour 4 ratages en bonne et due forme, le bilan de ce nouvel EP est bien maigre et fait plutôt mal au cœur. N'envisageons même pas une comparaison avec "Always Has Been" ou "The Best Part"… Incontestablement, J-Live signe ici son premier faux pas. Espérons qu'il saura en tirer les conséquences dans le futur et qu'il mettra en sourdine ses velléités de production pour laisser les rennes à des personnes plus compétentes. Pour le moment, "Always Will Be" laisse un goût amer…

Cobalt
Décembre 2003

PS: La version CD de "Always Will Be" est agrémentée de liens internet et surtout d'une vidéo Quicktime de J-Live en concert. 6 minutes de vidéo qui nous permettent de voir brièvement une interprétation épatante du classique 'Them That's Not', un passage turntablist plus que plaisant et, cerise sur le gâteau, la fameuse version live de 'Braggin' Writes' où J-Live recrée le morceau en direct aux platines tout en rappant son texte. Si les prises de vues ne sont pas toujours idéales, ce supplément de consolation atténue donc un peu la déception…
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Label: Triple Threat Productions
Production: J-Live
Cuts: J-Live & DJ Flo Fader
Année: Novembre 2003

01. Always Will Be
02. Add-A-Cipher
03. Deal Widit
04.–Get Live
05. Car Trouble
06. Walkman Music
07. 9000 Miles
08. Skip Proof

Best Cuts: '9000 Miles', 'Add-A-Cipher', 'Skip Proof'

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