Eliot Lipp
The Outside

Depuis sa première apparition en 2004 pour un album éponyme sur Eastern Developments, structure montée de toute pièce par Scott Heren (a.k.a. Prefuse 73), Eliot Lipp a été jusqu'à ce jour capable de sortir du lot en partie grâce à l'utilisation de vieux synthés dignes de la meilleure période synth-pop du début des années 80. Car il ne paie pas de mine, Eliot, tout en incrustation et en chemise à carreaux sur un fond de métropole où la vie quotidienne semble suivre son cours, à coups de taxis nerveux et de travailleurs pressés. Sur cette pochette, c'est "The Outside" qu'il vient nous présenter, la mèche plaquée sèchement, le visage fermé. Pourtant, c'est la vie qui habite cet album à l'allure un peu étrange.

Elevé à Tacoma, ville située dans l'état de Washington à laquelle il consacra un album en 2006 via l'éminent Hefty Records (le prometteur "Tacoma Mockingbird"), Eliot semble avoir toujours été lié d'une manière ou d'une autre à l'environnement urbain qui lui permet de rapidement entamer la tournée des clubs pour commencer à se faire connaître. C'est chose faite grâce à une rencontre avec Prefuse 73 entérinant pour lui une période de création musicale qui va le conduire de San Francisco à Chicago via Los Angeles ou New-York. Chez Hefty, Eliot prend soin de se la jouer producteur prolifique puisque ce ne sont pas moins de deux maxis, deux albums et un EP qui atteignent les bacs durant la période 2005-2006. De qualité inégale, les productions d'Eliot peinent à convaincre et à se démarquer significativement. D'autant que "City Synthesis" sorti l'année dernière chez Metatronix ne fait qu'apporter un peu plus d'eau au moulin de ses détracteurs, ceux qui avancent le manque d'originalité du producteur.

C'est donc avec une interrogation quant aux réelles capacités d'Eliot que le quidam accueille ce nouvel opus. Pourtant, les choses ont un peu changé. S'il n'est certes pas exempt de reproches, en matière de hip-hop le label Mush n'a que rarement misé sur le mauvais cheval tout en prenant le risque de supporter des artistes encore peu confirmés. Objet musical sûrement pas des plus attendus en ce mois d'avril 2008, "The Outside" ne surprend pas au premier abord. C'est l'urbanité qui y est évoquée par ce panorama d'une ville en pleine effervescence duquel semble s'échapper un soleil alors en bout de course.

En intérieur, Eliot Lipp reprend avec soin sa méthode développée durant son séjour chez Hefty : breakbeats en tout genre sur des foultitudes de claviers, synthétiseurs et autres samplers. Impossible d'y voir ici le signe d'un changement significatif. Si les outils utilisés s'avèrent fidèles aux préoccupations musicales du producteur, c'est dans leur utilisation que les choses ont évolué. Et plutôt dans le bon sens si l'on en croit les cinquante minutes découpées ici en treize morceaux.

Une marche à travers la métropole pour nous faire découvrir les coins et les recoins de ce qui semble influencer Eliot Lipp dans son travail de production. Le bruit, la foule, les machines ; la vie sous toutes ses formes. Au détour d'une ballade agréable au sein de 'The Area Play', Eliot plonge dans les coulisses de la métropole pour un énigmatique 'Beyond The City' servi comme il se doit par des nappes de claviers en résonance avec l'espace qui les entoure. Au premier abord, excluant l'histoire contée par chacun des morceaux, c'est une impression de redite qui prédomine nettement. Mais Eliot s'est désormais aguerri, équipé d'un paquet de mélodies entraînantes jouées aux claviers. A l'évidence, c'est ce qu'il semblait manquer aux travaux précédents du producteur tant le résultat est loin de côtoyer les quelques errances des précédents LP's où l'ennui parvenait souvent à pointer le bout de son "e" plus vite qu'il n'était possible de se laisser amadouer par les convulsions sonores proposées. Ici, la rigueur mathématique des breakbeats est compensée par l'intronisation d'un groove mélodique indéniable qui ferait balancer de la nuque n'importe quelle personne un tant soit peu sensible aux rythmes électroniques.

Jouant des influences qu'il revendique, Eliot Lipp ne cherche pas à dissimuler ce qu'il aime pratiquer et nous offrir sur ces 13 pistes. Son inspiration puise allègrement dans les fontaines de jouvences technoïdes primitives autant que dans les convulsions datées des premières boîtes à rythme sur lesquels de vénérables anciens venaient tchatcher jusqu'à plus soif. La filiation apparaît comme des plus claires pour celui qui aura exploré un tant soit peu les méandres de Detroit et Chicago ou, plus loin encore, du côté d'un Düsseldorf alors en proie aux élucubrations délirantes d'une centrale électrique visionnaire. La confiance établie, c'est une main pourtant peu sûre que l'auditeur donne à Eliot Lipp pour se laisser entraîner dans l'obscurité de ce '7 Mile Tunnel' qui semble sans fin ; voyage initiatique qui se terminera avec la rencontre de 'The Machine And The Wind', l'allégorie à l'état brute d'une musique à ce moment précis en parfaite osmose avec le célèbre "Man Machine" de 1978. Un peu dépoussiéré, certes, mais les traits sont semblables.

A l'inverse de son comparse Subtitle pour qui se cloitrer dans une chambre minuscule est la clé qui ouvre les portes de l'imagination, Eliot Lipp aime l'effervescence de l'extérieur. Le mouvement de l'environnement urbain perçu alors comme une énergie positive et non une aliénation des sens au service d'une pensée unique. Qu'il soit physiologique ou mathématique, le cycle sait aussi entretenir cette solution musicale enthousiasmante là où certains pensaient ne voir que raideur numérique. Car c'est bien d'un groove électronique dont il est question sur "The Outside". Un balancement insoupçonné qui fera mentir les quelques-uns encore affairés à dénigrer un Eliot Lipp solidement campé en défense derrière une batterie de boucles évoluant plusieurs minutes durant sans la moindre variation.

Alors certes, ce cinquième LP n'est pas l'aboutissement d'une carrière à proprement parler, tout juste un amas de notes positives placées sur un chemin musical que l'on imagine bariolé de beats et de claviers en tout genre. Mais pour celui qui parvient à allier la cohorte d'éléments numériques sur les thèmes 'The March' ou 'The Outside' pour provoquer un emballement non négligeable chez l'auditeur attentif au soucis du détail qui lui est proposé, l'avenir se présente de la meilleure des façons. En contrepartie des bienfaits d'une introspection dans son Moi profond, Eliot Lipp dévoile ici un extérieur qui n'a jamais paru aussi mystérieux et accueillant.

Newton
Mai 2008
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Label: Mush
Production: Eliot Lipp
Cuts: Eliot Lipp
Année: Avril 2008

01. The Outside
02. Opening Ceremony
03. The Area Play
04. Best Friends
05. Baby Tank
06. Beyond The City
07. See What It's About
08. The Meaning
09. The Interlude
10. 7 Mile Tunnel
11. The Machine And The Wind
12. It's Time To Leave
Bonus track (version japonaise)
13. The March

Best Cuts: '7 Mile Tunnel', 'The Outside', 'The March'

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