Prince Paul
Itstrumental

Ce qu'il y a de bien avec un artiste comme Prince Paul, c'est qu'il n'a pas besoin d'être introduit. Vingt années d'activisme musical dans un milieu où les carrières naissent et meurent avec les saisons suffisent à asseoir la réputation du bonhomme. Un génie s'il en faut. Et pour ceux qui rougissent ou qui n'ont jamais entendu parler du maestro, allez corriger ça dans la section portrait de votre bien aimé site (Notre biographe officiel a fait le travail pour vous, il n'y a plus qu'à lire). Mais donnez avant tout à vos tympans la possibilité d'être effleurés par les productions intemporelles de Sa majesté. Sa discographie est assez ample pour couvrir à elle seule l'histoire du hip hop, et nul doute que vous trouverez de quoi vous émerveiller.

Dans ce contexte, la dernière galette de notre ami nous était quelque peu restée en travers des oreilles, avouons le. Son "Politics Of The Business" avait certes un concept intéressant (dénoncer les travers de l'industrie du rap), surtout en le sachant aux manettes, mais le discours ne trouvait aucun écho musical passionnant, pour ne pas dire tout le contraire. A croire que Paul s'était vu contaminé par son propre sujet tant les productions s'apparentaient à ce que le rap a de moins séduisant ces dernières années. A moins qu'il ait voulu emprunter les mêmes voies que celles qu'il pointait du doigt, mais là encore, cette idée s'est révélée assassine de toute démonstration. Un coup de poing dans le vent quoi. Enfin bref, passons. Une erreur de parcours est pardonnable quand elle se trouve isolée dans un coin de discographie et c'est bien le cas pour le moment.

Une jaquette soignée à teneur psychanalytique vient réveiller quelques souvenirs endormis au fond de notre mémoire. Ceux d'une précédente thérapie musicale du Docteur Paul Huston, une étrange introduction à l'analyse à vrai dire, datant celle-ci de 1997, "Psychoanalysis-What is it?!". Un peu son "Etudes sur l'hystérie" à lui. Paul nous proposait en effet une cure introductive intense et efficace qui aujourd'hui encore ne trouve aucun mal à faire son effet sur les patients qui veulent bien s'y pencher. Huit années se sont écoulées et il est temps d'entamer la deuxième phase de la thérapie. Comment, après s'être vu révéler ses démons, l'auditeur va-t-il en tirer les conclusions justes pour parvenir à la tranquillité de son esprit? Et bien laissez vous guider par le Docteur Paul, c'est lui qui dirige et qui orchestre l'analyse à travers son "Itsrumental".

Un album de Prince Paul, c'est toujours plus que de la musique, c'est aussi un concept. Et cette fois, nous allons suivre la MVU (Mental Victims Unit) qui est à la poursuite de Paul, notre beatmaker semant le trouble dans les rues de la grosse pomme. Au travers de cette enquête saugrenue, Paul va croiser le chemin de quelques potes invités à participer au joyeux bordel qui font tout le charme et l'humour de ce disque. Tout commence par 'It's A Stick Up!', un beat qui va poser des problèmes à vos cervicales : violent, intemporel, chargé de trouvailles électroniques et de sons triturés allant du piano au saxo ou encore agrémenté de montages sonores parlés pour le rendre plus vivant qu'il ne l'est déjà… Un vrai hymne à l'inventivité du hip hop à lui tout seul. Vous aimez les femmes mais ne savez pas les séduire? Une petite leçon ne vous fera pas trop de mal alors. Mais un conseil avant de vous lancer, travaillez votre discours un peu mieux que le tocard qui fait une tentative dans le disque, parce qu'il a dû rentrer tout seul. En plus d'être d'une drôlerie désopilante, 'Flattery' est aussi musicalement enivrant. Accords soyeux et rythmique entêtante se marient pour le meilleur d'une escapade sensuelle et douce. Humour toujours avec 'My Friend The Popmaster'. On repassera certes pour l'accent italo-américain plutôt foireux, mais plus que l'imitation c'est la qualité des accords et la façon de les arranger entre eux qui font toute la saveur de la piste, morceau comique en forme d'hommage à son pote Black Italiano the Popmaster. Tout pourrait être dit de cet album en se contentant d'analyser ces deux ou trois morceaux qui composent les premières pistes du disque. Tout l'art de Prince Paul y est représenté, intact. Mais nous ne nous arrêterons pas là, car à chaque piste sa surprise, son ton ou sa blague.

Il y a vraiment tout ça dans ce disque. Et plus encore. Pour s'en convaincre, il suffit de faire un tour du coté des années 80 au travers d'un fameux 'I Want You (I'm An 80's Man)'. Vous savez, c'était l'époque où des synthés soutenaient de leurs mélodies craignos les refrains de chanteurs à drôles de coiffures et portant des sapes déjà ringardes avant même qu'on ait pu les imaginer. Et bien c'est tout cela 'I Want You'. Et c'est bon. Dialogues de films obscurs détournés, cassette d'apprentissage d'espagnol et beat hypnotisant, voilà ce qui fait le génial 'What Are You Afraid Of?'. Les astuces utilisées ici sont partie intégrante du langage musical de Paul, mais si elles semblent le plus souvent servir le front de l'humour, elles peuvent introduire de manière encore plus subtile un discours politique grinçant, ici sur un postulat qui résonne comme une menace: "I am a white American". Le tout illustré par les mélodies lounge et pianotées de 'And The Winner Is?'. Mais on peut aussi retrouver quelques productions plus simplement présentes pour le plaisir de les écouter. C'est le cas d''El Ka Bong' (une boucle épurée et tellement parfaite) ou encore du joyeux 'Gangsta's My Style' (beat fat pour carillon désuet). 'Profit' quant à lui, semble sorti d'une banque de sons destinée à être envoyée à notre Booba national. Même si Prince Paul-Booba ne semble pas au menu de ce siècle, avec ce morceau, on se dit que ça aurait pu.

Ce qui peut rendre le portrait moins idyllique, c'est peut être la qualité "individuelle" des morceaux les uns par rapport aux autres. Comme souvent, ça part un peu dans tous les sens musicalement, même si l'ambiance générale se tient au final. On peut aussi bien se retrouver dans l'Angleterre victorienne au détour d'un 'Profit' à mélodie pour clavecin guindé qu'en Jamaïque pour le très ennuyeux 'The Boston Top' (qui bien qu'étant une ode amusante aux meilleurs donuts de la ville peine à trouver un écho positif dans nos oreilles). On passera aussi rapidement sur les talents rocks de son éminence, même s'il faut souligner qu'il est l'interprète de tous les instruments joués sur 'Live @ 5'. Ou sur 'Inside Your Mind' où Mr Dead (remember Metabolics?) et MC Paul Barman naviguent dans les eaux troubles de l'art lyrical abstrait, soutenus par une production paranoïaque et perturbée. Bref il y a de tout. Mais il faut ici signifier une chose, c'est que cet album est une espèce de pot pourri où se retrouvent mélangées des pistes pouvant avoir dix ans d'âge avec d'autres nouvellement composées. Et cet élément nous éveille à une chose, c'est que pour rendre un projet aussi consistant musicalement, surtout sous la forme d'un concept (certes moins profond qu'à son habitude) franchement cocasse, il faut avoir une sacrée dose de talent. Et comment ne pas être étonné de constater qu'on ne saurait pas dire quel morceau a été fait il y a 10 ans et l'autre avant-hier?! Une preuve parmi d'autres du génie de Paul : sa musique est intemporelle, toujours inventive, toujours inspirée. Les éloges pourraient être longs, alors arrêtons-nous là. Voilà, c'est sur 'Think Or Die' que Paul baisse le store et ferme la boutique. Légèrement ennuyeuse, la production laisse tout de même transpirer cette saveur de révérence que l'on prendra plus pour un "à bientôt" que pour un "adieu".

A travers ce disque original, Paul nous délivre un secret : il a trouvé la source de la fontaine de jouvence. Qui après vingt ans de carrière peut se targuer d'apporter encore quelque chose à la musique à laquelle il a contribué dès ses débuts? Rester à la surface ou dans le vent, il y en a qui y arrivent… Mais Paul est de ceux qui se renouvèlent sans cesse. Et ça dans le hip hop, c'est quasi unique. Paul nous a accompagné à chaque étape de cette grande aventure musicale, artiste complet ayant participé à toutes ses évolutions quand il n'en était pas lui-même l'instigateur. "Itstrumental" est le reflet d'un artiste qui a su tirer les conclusions justes de ses constantes remises en question musicales. Un maître quoi. Bref, l'album est bon. Long live the Prince.

Finesse
Janvier 2006
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Label: Female Fun
Production: Prince Paul
Année: Mai 2005

01. MVU (Act 1)
02. It's A Stick Up!
03. Flattery
04. My Friend The Popmaster
05. Inside Your Mind
06. El Ka Bong
07. MVU (Act 2)
08. Yes, I Do Love Them Ho's!
09. What Are You Afraid Of?
10. I Want You (I'm an 80's man)
11. Profit
12. The Boston Top
13. MVU (Act 3)
14. And The Winner Is?
15. Gangstas My Style
16. The Night My Girlfriend Left Me
17. Live @ 5
18. MVU (Final Act)
19. Think Or Die

Best Cuts: 'It's A Stick Up!', 'My Friend The Popmaster', 'What Are You Afraid Of?'

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