Jay-Z
The Blueprint 2 [The Gift & The Curse]

2001 aura été une année faste pour un Jaÿ-Z au sommet de son art. Entre un "The Blueprint" couronné de succès et encensé par les critiques de tous bords, l'exercice périlleux d'un "Unplugged" réussi haut la main et une bataille microphonique désormais légendaire avec Nas, Shawn Carter aura relevé tous les défis. Pourtant cette année, entaché par le scandale R-Kelly, "The Best Of Both Worlds" a eu l'effet d'un pétard mouillé. Une vraie déconvenue pour le Jigga Man habitué à des ventes astronomiques. Le second volume de sa série "Blueprint" était donc attendu pour de nombreuses raisons... D'autant plus que ce nouvel LP est le premier double album de Jaÿ-Z et constitue donc un challenge dont très peu se sont sortis avec les honneurs. En vrai boulimique de travail, Jay-Z n'a pas fait les choses à moitié et nous offre cette fois pas moins de 25 nouveaux titres.

S'il fallait le résumer en quelques mots, disons que "The Blueprint 2" se partage entre un "The Gift", blindé de featurings, ouvertement commercial et dénué de la moindre trace de créativité ou d'originalité et un "The Curse" bien plus réussi qui trouve un semblant d'âme lorsque les thèmes se font plus personnels mais qui n'atteint que trop rarement des sommets.

Soucieux d'aller de l'avant et de ne pas se reposer sur ses acquis, Jay-Z a voulu une fois de plus mener la meute et a décidé de ne pas se reposer entièrement sur les sons émotionnels gorgés de soul qui avaient fait de "The Blueprint" un classique. Mais c'est en partie sur ce parti pris que le bat blesse.... Nous y reviendrons plus tard. En attendant, lorsque l'on pose "The Gift" sur la platine, le revers est sévère. Ce premier disque détruit rapidement nos espoirs en faisant dans le recyclage lourd. Sans discrimination, Jay y recycle aussi bien des titres connus (à commencer par l'horrible single ''03 Bonnie & Clyde', resucée totale et éhontée du 'Me & My Girlfriend' de Tupac) que ses propres formules ('Hovi Baby', 'What They Gonna Do') et un peu de dirty south (sur 'Poppin' Tags'). L'ombre de Biggie et 2Pac flotte un peu trop dans l'esprit de Shawn Carter et cela tend à devenir indécent. Si sa discussion imaginaire avec Big sur 'A Dream' s'avère donner un concept track intéressant, on se demande pourquoi Jay a souhaité y inclure le couplet classique de 'Juicy'. En tout cas, cette fascination morbide nuit clairement à la production de Jay qui perd une part de son identité en se prosternant devant ces deux idoles.

Néanmoins, cela tient plus de l'anecdote. Et "The Blueprint 2" est avant tout une déception de par la qualité douteuse de sa production. Les compositions sont convenues et peu imaginatives. Comme le veut la tradition, les Neptunes sont venus tirer l'ensemble vers le bas avec leurs 3 instruments et leur Bontempi. Leur soupe laisse souvent un goût amer car, même lorsqu'ils ont fait l'effort de travailler un peu leurs instrumentaux, Pharrell s'est senti obligé de poser ses vocaux guimauves aseptisés sur les refrains ('Excuse Me Miss'). Dans les 5 tracks qui leur sont alloués, on sauvera juste le funk salace d'un 'Fuck All Nite' au titre explicite… parce que c'est un hit en puissance. Même si son apport est bien plus estimable, Timbaland fait aussi dans le service minimum ('What They Gonna Do') et l'on ne retrouve le duo d'enfer de "Vol. 3" que sur '2 Many Hoes' lorsque Timbo nous sort une pure bombe de son arsenal à base de violons orientaux charcutés et intégrés dans une toile dense de rythmes entrecroisés. Pour leur part, en se départant de la soul fortement émotionnelle qui imprégnait leur travail et "The Blueprint", Kanye West et Just Blaze ne se montrent pas sous leur meilleur jour. Ce n'est que lorsqu'ils reviennent à leurs premiers amours avec des basses lourdes, des écrins de cuivres et quelques samples vocaux que l'on retrouve un peu de magie ('Some People Hate', 'Some How Some Way', 'Bitches & Sisters'). En moyenne, force est de constater cependant que c'est un vrai désenchantement. La satisfaction : voir No I.D. (producteur des trois premiers Common) faire son grand retour avec un 'All Around The World' imparable dont la soul écrase la concurrence et nous ouvre grand les oreilles pour écouter Jay nous conter ses exploits et ses rencontres partout sur le globe. Ailleurs, même les grandes figures font dans la paresse. Collant bien à l'ambiance générale de redite, Dr. Dre refourgue même à Jigga une version à peine remaniée de son 'The Watcher' en y ajoutant au passage un refrain irritant de Truth Hurts. Mais on ne tirera pas trop sur ce titre car lorsque Rakim prend le micro il met tout le monde d'accord et magnifie le beat en se l'appropriant et en s'immisçant dans ses moindres espaces. Une leçon de flow qui laisse présager du meilleur pour "Oh My God!".

Comme sur "Hard Knock Life", l'abondance d'invités est aussi pour quelque chose dans le manque de cohérence de ce nouveau projet. Si l'on est content de voir M.O.P. toujours survoltés réduire en pièces l'instru de 'U Don't Know' pour officialiser leur intronisation dans l'écurie Roc-A-Fella (mais pourquoi ne pas leur avoir donné une nouvelle création ?!), on se serait bien passé des miaulements incessants des nombreux pantins R&B conviés au buffet ou de la participation désastreuse des guignols de State Property sur 'As One' (qui re-pompe sans vergogne Earth, Wind & Fire). On est souvent contraint malgré nous à une petite pression sur la touche Fast Forward. Heureusement, le trio avec Beanie Sigel et Scarface est reconstitué pour un hymne autobiographique à l'acharnement et la volonté… Au rayon des rares bonnes surprises, Lenny Kravitz fait une apparition couronné de succès sur 'Guns & Roses' (une des bombes du LP) en grande partie grâce à la belle reconversion de l'Heavyweight Lover Heavy D en producteur de luxe.

Mais la responsabilité de la faillite de l'entreprise incombe aussi à Jay-Z qui se contente souvent de bien peu en abordant des thèmes archi-vus et en alignant les lieux communs au lieu de mettre du sentiment et d'apporter un vision originale. C'est simple : les thèmes ne font qu'aller du "les groupies sont des chiennes" au "je suis le meilleur" en passant par "mon crew est le meilleur" ou "bougez-vos fesses"! Le degré zéro de la créativité, à quelques exceptions près heureusement. Ainsi, sur 'Meet The Parents', Jay se rappelle qu'il est un très bon lyriciste quand il veut en décrivant l'engrenage social qui, entre familles monoparentales et violence, mène les enfants du ghetto à prendre des chemins de traverse dangereux et parfois fatals. 'I Did It My Way' marque des points pour la version des faits que Jay donne de l'épisode malheureux du poignardage de Lance Rivera qui a failli lui coûter quelques années à l'ombre. Jigga se montre aussi assez fort lorsqu'il répond aux critiques. Sur "The Curse" on a ainsi le droit à une suite anti-hater. Les hostilités commencent fort avec l'exquis 'Some People Hate' qui renvoie tous les critiques dans le coin du ring mais les choses se corsent vite et l'album retombe dans ses travers malgré les efforts de Jay. 'Blueprint 2' prend le relais et s'écoute comme une suite de 'The Takover'. Autant dire que Nas en prend pour son grade lorsque Jay-Hova met en avant les nombreuses contradictions qui nourrissent le personnage mais le morceau est coulé par un refrain mou et sans saveur. Mais le pire est à venir avec l'infâme bouse Neptunienne 'Nigga Please'. Ce court passage est symptomatique du bilan très mitigé de ce nouvel album. Et dans l'ensemble on a la douloureuse impression que Jay cachetonne sans conviction… Juste histoire de pondre de nouveaux titres.

Il y avait sur ce "Blueprint 2" assez de bons titres pour faire un simple très dense mais en pêchant par gourmandise Jay nous déçoit. Dans l'état, on oscille constamment entre de belles réussites et des ratages complets au gré des instrumentaux. Il y a bien sûr de quoi trouver son bonheur au milieu de cette débauche de morceaux mais, dans l'absolu, "The Blueprint 2" est un collage disparate qui s'inscrit comme un des moins bons albums de Hovi. Mauvaise année pour Shawn Carter…

Cobalt
Décembre 2002
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Label: Roc-A-Fella
Production: Just Blaze, The Neptunes, Kanye West, Timbaland, No I.D., Dr. Dre, Chalamane, Heavy D, Digga, Ron Feemster, Jimmy Kendrix & Big Chuck
Année: Décembre 2002

Disc 1 : The Gift
01. A Dream (feat. Faith Evans & Notorious B.I.G.)
02. Hovi Baby
03. The Watcher 2 (feat. Dr. Dre, Rakim & The Truth)
04. '03 Bonnie & Clyde (feat. Beyonce Knowles)
05. Excuse Me Miss
06. What They Gonna Do (feat. Sean Paul)
07. All Around The World (feat. LaToiya Williams)
08. Poppin' Tags (feat. Big Boi, Killer Mike & Twista)
09. F**k All Nite
10. The Bounce
11. I Did It My Way

Disc 2 : The Curse
01. Diamond is Forever
02. Guns & Roses (feat. Lenny Kravitz)
03. U Don't Know [Remix] (feat. M.O.P.)
04. Meet The Parents
05. Some How Some Way (feat. Beanie Sigel & Scarface)
06. Some People Hate
07. Blueprint2
08. Ni**a Please (feat. Young Chris)
09. 2 Many Hoes
10. As One (feat. Memphis Bleek, Freeway, Young Guns, Peedi Crakk, Sparks & Rell)
11. A Ballad For The Fallen Soldier

Bonus Tracks :
23. Show You How
24. B*****s & Sisters
25. What They Gonna Do Part II

Best Cuts: '2 Many Hoes', 'Some People Hate', 'All Around The World'

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