Daedelus
Denies The Day's Demise

Définir l'univers musical d'Alfred Weisberg-Roberts a.k.a. Daedelus n'est pas chose facile. Avec "Denies The Day's Demise", cet exercice devient encore plus périlleux. Cet album constitue en effet un break dans la tradition des travaux précédents du producteur californien, une échappée en solitaire. Un électron libre dans la discographie déjà riche en temps forts de l'auteur des incontournables "The Weather" et "Exquisite Corpse".

En choisissant de rendre hommage à la musique traditionnelle brésilienne et plus particulièrement à la samba, en injectant dans la plupart des titres des éléments de percussion batacuda, Daedelus accouche ici d'un album d'une rare originalité. Au passage, il s'éloigne nettement de l'abstract hip-hop expérimental auquel il nous avait habitué, pour rejoindre avec allégresse les territoires de l'électro downtempo, du breakbeat et de la pop électronique à tendance tropicale. Le tout est parfaitement cohérent et s'enchaîne sans aucun temps mort. Le rythme est effréné, l'ensemble est parfaitement maîtrisé et ce, pendant près d'une heure.

Contenant son lot de collages baroques et insolites, de rythmiques saturées à l'apparente déconstruction, de samples lumineux de cordes et de cuivres tirés de films des années 20 et 30, "Denies The Day's Demise" est un disque d'une étonnante complexité qui alterne savamment plages assourdissantes et zen attitude. Aussi bien au niveau des structures des morceaux proprement dites que sur le plan des thèmes choisis, Daedelus y affirme, pour notre plus grand bonheur, sa volonté de mélanger les genres les plus éloignés. Il démontre l'incroyable étendue de ses influences pour un résultat totalement novateur.

Daedelus parvient en effet ici à se renouveler, sans pour autant renier ce qui a fait son succès passé. En choisissant de construire ce disque à partir de sources sonores intemporelles (universelles?) à la fois datées et actuelles (les exotiques 'Bahia' et 'Petite Samba'), il fait mouche. Cet album, à la différence de ses prédécesseurs, contient une nette majorité de lignes jouée au synthétiseur par Daedelus lui-même (citons le polyphonique 'Nouveau Nova' qui sonne comme si J.-S. Bach avait composé ses fugues sous ecstasy à l'aide d'un clavier Moog). C'est certainement en cela que réside sa véritable spécificité. Le beatmaker angelino s'essaie même avec brio au chant sur la sublime ballade bossa-nova 'Viva Vida' ; il fallait oser et c'est très réussi. Les samples jouent donc ici plus un rôle d'accompagnement que de réelle ossature. Ils ne sont à la base d'un morceau qu'à de rares exceptions près (c'est le cas sur le titre introductif 'At My Heels').

N'hésitant pas à entremêler sons électroniques et acoustiques (mélodica, clarinette et surtout guitare sèche viennent enrichir des mélodies synthétiques sur presque tous les titres) ou à casser la structure naturelle d'un titre comme sur 'Like Clockwork Springs', Daedelus s'amuse à brouiller les pistes. Toujours avec ce même esprit anti-conformiste, il enchaîne sur 'Lights Out' avec un thème décalé et festif qui parait plutôt destiné aux écoles de samba de Rio de Janeiro qu'aux amateurs de musiques actuelles, à la suite d'une intro hip-hop au climat sombre. De cet apparent fouillis, se dégagent tensions ('Sawtooth EKG' et ses hachures, le percussif 'Our Last Stand' dans un style proche d'Aphex Twin période "Ambient Works") et respirations (la douceur d'un 'Samba Legrand' tout en finesse). Le tout avec ce son unique, reconnaissable entre tous, qui faisait déjà de Daedelus, l'un de nos artistes favoris.

La force de ce LP réside également dans la qualité des mélodies proposées (le mélancolique 'Sunrise' et son thème de toute beauté, l'excellent 'Sundown' bercé par la voix savoureuse d'Amir Yaghmai). Sans jamais donner dans le minimalisme, Daedelus parvient aussi à créer avec une déconcertante facilité des ambiances cinématographiques qui fonctionnent à merveille (citons 'Patent Pending' avec ses flûtes en suspens qui rappelle la musique des films noirs hollywoodien des 50's), allant même jusqu'à lorgner vers l'ambient ('Never None The Wiser' et son beat junglisant).

Dans l'ensemble, "Denies The Day's Demise" s'avère donc être un album à la fois dansant et intelligent. Une bonne claque qui fait autant appel au corps qu'à la tête, qui possède l'aptitude singulière de réconcilier fans d'Autechre et abonnés des dancefloors, et qui pourra aussi bien s'écouter au lever qu'en soirée (si possible bien arrosée). À la fois rétro et expérimental, accessible et complexe, déjanté, ludique et revigorant, cet album très personnel est tout simplement indispensable pour celui qui cherche à percer les méandres labyrinthiques de l'esprit créatif d'Alfred Weisberg-Roberts. Pour ne rien gâcher, cet opus ensoleillé colle parfaitement à l'été. Perso, je ne parviens plus à le retirer de ma platine.

Kid Charlemagne
Août 2006
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Label: Ninja Tune
Production: Daedelus
Année: Mai 2006

01. At My Heels
02. Sundown
03. Nouveau Nova
04. Viva Vida
05. Samba Legrand
06. Like Clockwork Springs
07. Lights Out
08. Bahia
09. Out Last Stand
10. Patent Pending
11. Sawtooth EKG
12. Dreamt Of Drowning
13. Sunrise
14. Petite Samba
15. Never None The Wiser

Best Cuts: 'Sundown', 'Samba Legrand', 'Viva Vida', 'Sunrise'.

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