Blueprint
1988

1988. Le Golden Age. L'année ultime. L'année charnière faisant entrer le rap dans l'ère de la modernité et donnant ses lettres de noblesse à l'art du sample. 12 mois à graver dans le marbre. 1993 et 1995 sont coiffées sur la ligne… Malgré les classiques qu'elles ont enfanté, elles ne pourront jamais rivaliser avec l'année favorite de Blueprint et de tous les b-boys vieillissants. Imaginez un peu le décor: Public Enemy sortait "It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back", tandis que Boogie Down Productions, Stetsasonic, Ultramagnetic MC's, N.W.A., EPMD, Slick Rick, Rakim, JVC Force, Jazzy Jay, Super Lover Cee & Casanova Rud, le Juice Crew et le Flavor Unit au complet venaient tous leur faire de la concurrence dans les bacs. De La Soul faisait ses premiers pas sous l'œil bienveillant des Jungle Brothers tandis qu'Ice-T lançait son Rhyme Syndicate dans le grand bain et posait au côté de sa sublime Darlene sur la pochette de "Power". Cash Money était le roi des platines, Chubb Rock portait des lunettes de soleil et King Tee posait les fondations du Likwit Crew. Chaque mois (ou presque) surgissait un disque qui semblait ouvrir de nouvelles portes et offrir de nouvelles perspectives au rap. La belle époque… Enfin, nous voilà, 17 ans plus tard. Rendez-vous est pris avec Blueprint. Lui qui a profité de l'an passé pour s'imposer définitivement comme l'un des emcees/producteurs les plus doués de sa génération décide en effet de rendre hommage à cette année et à ses artistes pas comme les autres.

"Ain't no time to be moving at a slow pace". Alors, une fois de plus, Printmatic surprend et est là où on ne l'attend pas. Son hommage n'a en effet rien de conventionnel, d'académique ou d'avilissant. Bien entendu, les clins d'œil et les breakbeats historiques sont là, mais l'album est surtout l'occasion pour Blueprint d'un retour aux sources, à la base, à un boom-bap inventif mais débarrassé des artifices et du superflu. Print laisse donc pour un temps de côté les univers sonores alambiqués et ésotériques des fantastiques "Celestial Clockwork" et autres "The Weightroom" pour revenir à un son minimaliste plus brut, plus direct, plus spontané. Un style de production où les samples se font offensifs et ravageurs. "Sometimes I'm on some bassline 808 shit / Now I'm on some old dirty drum break shit". Dès l'introduction sur fond de human beatbox et de "88" entonnés vigoureusement par un posse en furie, le réveil est brutal pour tous ceux qui s'attendaient à des ambiances brumeuses ou post-apocalyptiques. Ici, les batteries sont propulsives et l'économie est de rigueur. Une guitare imposante et menaçante, une note d'orgue de fin du monde longuement étirée; il n'en faut pas plus à Printmatic pour faire de 'Boom Box' un hymne irrésistible à l'âge d'or des ghetto blasters, à cette ère où le respect se gagnait à coup de décibels irrévérencieuses. "You know the sound / Everywhere I go, I get asked to turn it down". Le beat écrasant (sous perfusion de Schoolly D) et la boucle de guitare électrique rentre-dedans de 'Anything Is Possible' enfoncent le clou tandis que les cuts précis de DJ Rare Groove parsèment l'album à intervalles rapprochés. Chemin faisant, l'air de rien, Blueprint parvient à s'approcher de l'essence du Golden Age, quand le manque de moyens était avantageusement comblé par une débauche d'énergie et d'idées.

Hommage vibrant à toute une époque, "1988" est cependant tout sauf une resucée sans âme du travail des glorieux prédécesseurs de Blueprint. Il parvient en effet à ne jamais tomber dans l'exercice de style vain et reste avant tout un projet varié et fondamentalement personnel. On retrouve ainsi certains signes distinctifs du beatmaker de l'Ohio. Alors, les pianos sont souvent enivrants, les nappes ont un parfum de mystère et les samples de voix ont ce petit quelque chose en plus… On retrouve aussi ces arrangements bien sentis, ce mixage révélateur de détails discrets et ces textures délicates. Après quelques écoutes, on se dit même que 'Kill Me First' aurait pu figurer en bonne place sur le "Life Sentences" de Greenhouse Effect. "1988" s'écoute comme une synthèse des influences et des talents de Blueprint. A bien y réfléchir, la force de Blueprint est d'ailleurs probablement de savoir évoluer constamment, sans pour autant chercher à brouiller les pistes à tout prix. En tout cas, force est de constater que la production de "1988" s'expose difficilement à la critique. Tout juste remarquera-t-on que 'Big Girls Need Love Too' manque un peu de finesse (à tous les niveaux). Rien de bien grave. Car '1988' efface tous les bémols éventuels. Basse fretless enveloppante, notes de piano lumineuses, déluge de scratches et rythmique dense… Tout simplement sublime.

Evoquée plus haut, la filiation avec les précédents disques de Blueprint se retrouve aussi dans les textes. Mélange instable de conscience sociale, de manifestes hip-hop passionnés, de storytelling et d'arrogance microphonique, "1988" est à la fois un concentré des thèmes forts du golden age et un condensé des sujets qui ont toujours animé les lèvres du boss de Weightless. En quelque sorte, le reflet parfait du constant tiraillement de Blueprint entre l'egotrip de ses débuts et le goût de l'introspection qui n'a cessé de grandir en lui. "I came in this rap game with one goal: be the baddest motherfucker with a pad and a pen". Côté pile, Blueprint envoie ses adversaires au tapis avec quelques punchlines percutantes, affiche un sourire démoniaque ou nous fait un remake de "Les Hommes Préfèrent Les Grosses" sur un ton sarcastique. Côté face, il dénonce les violences policières, crache sa haine à la face d'une ancienne compagne et raconte comment l'illégalité vient tromper l'ennui et la misère pour tous les enfants grandissant dans l'ignorance. "His only baby-sitter was the TV screen / He was force-fed pop culture, watching in silence / Talk-shows, curse words, sex and violence". Il dit aussi ses doutes, les leçons retenues au cours d'une carrière déjà riche en expériences mais aussi son dégoût d'un milieu rap peuplé de requins et d'esprits étriqués.

Alors, Blueprint a beau relativiser l'importance de son art et de cette musique, sur un 'Liberated' en forme de grand déballage, on sent bien que ce rap lui tient à cœur. Parsemé de détails qui sentent le vécu, les textes trahissent son engagement total, viscéral. Avec son flow expressif et polymorphe, le leader vocal de Soul Position nous conduit avec aisance au cœur de tous ces thèmes et ces sentiments qui lui occupent l'esprit. Sa maîtrise microphonique et sa capacité à animer le moindre beat par sa seule présence semblent plus évidentes que jamais. Et lorsqu'il lâche crânement: "Add me to any beat, you got a banger", il n'est pas si loin de la vérité. Plus qu'un concept album, "1988" est surtout une façon pour Blueprint de reconnaître ses influences tout en s'en émancipant. Conscient de ses responsabilités et fier de son statut d'indépendant, Blueprint continue de travailler à un rythme effréné, avec ce souci constant de la qualité qui se ressent toujours sur disque. Logiquement, "1988" est une nouvelle réussite pour le compagnon de route d'Illogic. "Got my label off the ground, put on my folks / Dropped some classics but right now we're all still broke". Il ne reste plus qu'à espérer que la nouvelle puissance de feu offerte par sa signature sur Rhymesayers lui permettra enfin d'être reconnu à sa juste valeur et de garnir un peu son compte en banque. Il le mérite bien. Fresh for 2005, you suckas!

Cobalt
Avril 2005
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Label: Rhymesayers Ent. / 2Good
Production: Blueprint
Année: Mars 2005

01. Intro
02. Anything Is Possible
03. 1988
04. Inner City Native Son
05. Tramp
06. Boom Box
07. Trouble On My Mind
08. Lo-Fi Funk (feat. Aesop Rock)
09. Big Girls Need Love Too
10. Fresh
11. Where's Your Girlfriend At?
12. Kill Me First (feat. CJ The Cynic)
13. Liberated

Best Cuts: '1988', 'Boom Box', 'Kill Me First'

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