Qwel & Mike Gao
Caffeine Dream

Depuis le début de sa carrière, Qwel prend un malin plaisir à se construire une discographie officieuse, en parallèle des albums qui atteignent à rythme plus ou moins régulier les bacs de tous les bons disquaires. Ces dernières années, chaque tournée à travers les contrées américaines devient ainsi l'occasion pour le leader des Typical Cats de sortir un petit CD-R contenant sa dose d'inédits et autres gâteries destinées à satisfaire l'appétit des fans les plus voraces des friandises de l'écurie Galapagos4. Le plus souvent, ces projets s'avèrent de sympathiques bonus pour les adeptes du chicagoan, mais leur contenu n'a clairement pas vocation à dépasser le cadre des initiés convaincus du talent de Qwelly. Pourtant, le dernier venu de cette lignée de side-projects "Caffeine Dream" (qui vient d'atteindre toutes les meilleures enseignes du web) a quelque chose en plus… Un quelque chose qui s'appelle Mike Gao…

En effet, dans la foulée du somptueux "The Harvest", Qwel a visiblement décidé de réaliser intégralement chacun de ses nouveaux projets (qu'il s'agisse d'un album studio ou d'un tour-CD) avec un seul producteur, histoire de donner à chaque disque ce petit supplément de force, d'âme et de cohérence qui manquait souvent à ses premiers essais solos. Après s'être acoquiné avec Maker et Jackson Jones, le leader des Typical Cats a donc eu la bonne idée de faire appel aux services du talentueux Mike Gao (vu très à son avantage l'an passé en soutien de Mestizo sur le réussi "Blindfaith").

Une ligne de basse ondoyante, un piano qui s'immisce parfaitement dans ses intervalles, une batterie ciselée, une guitare mélancolique magnifique et quelques échos électro intrigants… Dès que 'Crazy As Me' prend forme et laisse son charme triste s'immiscer entre nos oreilles, Mike montre qu'il sait décidément y faire pour superposer les couches de samples à bon escient, sans surcharger ses concoctions, sans tomber dans la démonstration inutile ou sans perdre de vue que son rôle est de mettre en valeur la voix de son hôte. En allégeant le style mis en avant sur "Blindfaith", en diversifiant subtilement sa palette, il continue de refuser d'entrer dans des cases toutes faites… Du coup, entre 'Escapism' et sa section de cuivres soul accrocheuse, le tendu 'JP Morgan' et ses violons hitchcockiens (pour ne pas dire malsains), et 'Vital Signs' et son électro-jazz confortable, le début du parcours pourrait difficilement être plus bigarré et séduisant à la fois.

Pas de doute : Mike aime visiblement surprendre son auditoire, aller là où on ne l'attend pas forcément, changer de décor dès que l'envie lui en prend (comme au beau milieu du touchant 'Umbrella'). Après une entrée en matière rageuse, il consacre ainsi la seconde partie de ce mini-album à osciller habillement entre atmosphères automnales (où le jazz se taille souvent la part du lion), pauses instrumentales et tentatives de déstabilisation (à l'image du beat 808 de 'The Fool'). Même s'il aime varier les plaisirs, Mike n'est pas un révolutionnaire d'un point de vue purement formel et certains pourront évidemment qualifier son travail d'académique (à juste titre, quoique). Il n'en reste pas moins que, comme nombre des beatmakers résidents de G4, il parvient à tirer son épingle du jeu et de la masse, grâce à un vrai savoir-faire et, pour sa part, à une adaptabilité peu commune. Caméléon, il se plie ainsi en quatre pour illustrer l'état d'esprit changeant de Qwel (au risque de rester parfois un peu trop en retrait).

Vivifié par ces compositions soignées, Adam attaque en tout cas le micro avec intensité, avec cette rage viscérale de dire et d'écrire qui l'a rarement quitté depuis "If It Ain't Been In A Pawnshop, Then It Can't Play The Blues"… Et autant le dire, sa plume reste l'une des plus incisives du rap contemporain. Précise mais imagée à la fois, évocatrice et intelligible, alliant forme et fond à merveille, elle reste fascinante et dessine au fil des albums les contours incertains d'un emcee complexe et accessible à la fois. Un emcee qui continue lui aussi d'échapper aux étiquettes et qui semble avoir trouvé désormais la bonne formule après des débuts louvoyants, fasciné (et consterné) par l'évolution du rap mais aussi du monde. "We're all fucked up […] How am I supposed to see Zion through these eyes that rather die?"

Alors les syllabes tombent les unes après les autres avec une précision diabolique (et souvent à une vitesse folle), comme autant de dominos dévoilant peu à peu les recoins de son esprit. Avec ces premiers dominos, on sent que le rimeur à gages de la Windy City espère déclencher la réaction en chaîne, la prise de conscience… Avec l'espoir sous-jacent que ces textes aident quelqu'un, quelque part, et annoncent enfin le déclin d'une civilisation qui avance les yeux bandés vers l'inconnu et qui ne lui donne pas forcément le sourire ('Crazy As Me'). Une civilisation où l'humain devient quantité négligeable et où même les parents préfèrent droguer leurs enfants à coup de cachetons ou de programmes télé, dès lors qu'ils se montrent un peu trop agités, plutôt que de s'occuper d'eux ou de débourser quelques euros en baby-sitting ('Attention Diseficit Disorder'). Une civilisation qui semble vouée à détruire son environnement… même si cette vérité dérange (sic).

Dans l'attente de ce changement de plus en plus improbable, Qwel fait contre mauvaise fortune bon cœur et traîne son spleen sur sillon, sondant sa douleur pour en tirer quelques ballades envoûtantes (se faisant même météorologue de la vie sur le poétique 'Umbrella') ou rêvant à haute voix d'un futur meilleur. "Rainy rainy days, won't you go away ?" Dans le flot ininterrompu de mots et d'images qui coule de ses lèvres, l'émotion et l'humanité de Qwel affleurent ainsi partout. C'est d'ailleurs sa force la plus évidente : savoir varier imperceptiblement le ton d'un titre à l'autre pour s'adapter à toutes les ambiances, tout en gardant son caractère et en imprimant chaque titre de sa personnalité…

Au bout du compte, fidèle aux obsessions qui taraudent Qwel depuis le début de sa carrière, parcouru par toute une batterie de productions expertes et des ambiances souvent dépressives, ce petit tour-cd parvient donc à emporter l'adhésion avec une facilité surprenante… Alors que "Freezer Burner" s'apprête à débouler dans les bacs pour sceller l'alliance entre Meaty Ogre et Qwel, espérons que ce "Caffeine Dream" ne restera pas qu'une aventure sans lendemain. Car pour l'instant, cette alliance avec Mike Gao s'impose en une trentaine de minutes comme l'un des épisodes les plus palpitants de la carrière d'Adam Vincent Schreiber. Après une brève période de désintérêt des sorties en provenance du camp G4, Qwel nous donne envie de nous replonger dans le froid glacial de l'hiver chicagoan qui approche.

Cobalt
Octobre 2006
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Label: Galapagos4
Production: Mike Gao
Année: Septembre 2006

01. Crazy As Me
02. Escapism
03. JP Morgan
04. Vital Signs
05. Fleeting Memory
06. Umbrella
07. Rise And Shine
08. Remote Control
09. Caffeine Dream
10. The Fool
11. Attention Diseficit Disorder
12. About Design
13. Oh She Was
14. Shomer Shabbos

Best Cuts: 'Attention Diseficit Disorder', 'Escapism', 'Crazy As Me'.

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