Remote Control Frequencies
20,000

Depuis Chicago, la scène hip-hop a toujours su montrer le meilleur d'elle-même et proposer aux curieux une floppée de collectifs et de musiciens aux influences bariolées. Bien entendu, si Common pourrait être perçu comme la tête de proue et le vibrant symbole de l'activisme de Chi-Town, son ombre ne doit en rien occulter l'existence de nombreux artistes talentueux ; qu'ils soient regroupés au sein de l'éminent Galapagos 4 ou bien qu'ils se nomment The Opus, Molemen, All Natural, Thaione Davis ou le duo boom-bap jazzy Maintenance Crew...

Le label chicagoan The Secret Life Of Sound fait partie de ces petites structures prometteuses tant elles sont capables de s'ouvrir à de multiples directions. Porteurs d'une musique sans frontière prédéfinie autre que celle de la pensée, les artistes qui y naviguent se nomment R-Rock, Kaptain Nemo, P.J. Sumroc, le vétéran Sharkula ou encore Zombie Mountain. La richesse de la musique pratiquée ici doit tout à l'esprit original du label : dépasser le cadre des genres, mélanger les influences.

Partie intégrante du label, Remote Control Frequencies participe évidemment de cet état d'esprit ouvert sur ce qui l'entoure. Désormais trio de musiciens, l'ancien duo porteur du projet RCF est en réalité l'unique initiative de R-Rock, producteur multi-instrumentaliste issu à la base de la noise music. Une influence musicale que l'on retrouve d'ailleurs par petites touches éparses dans les opus sortis sur The Secret Life Of Sound (notamment un CD-R regroupant des remixes de morceaux de Merzbow, empereur nippon de la noise music). Initié à la fin des années 90, le projet accompagne les pérégrinations de R-Rock à travers les Etats-Unis ; depuis sa Caroline du Nord natale jusqu'à Seattle, Pittsburgh puis enfin Chicago. Ses voyages lui offrent des rencontres. Et ces rencontres, des collaborations entre plusieurs musiciens, rassemblant peu à peu du matériel sonore qui va servir à l'élaboration future de la première mouture de ce ''20,000'', obscur street-cd qui voit le jour dans le courant de l'année 2005. L'année suivante, c'est un lifting nécessaire qui est opéré sur ce premier opus des RCF. Ne touchant en rien au tracklisting en lui-même, R-Rock décide d'offrir un écrin plus professionnel à ce concept-album.

Librement inspirés des célèbres aventures du scientifique Pierre Aronnax, de son fidèle domestique Conseil et du harponneur Ned Land, ''20,000'' reprend la trame principale du roman ''Vingt mille lieux sous les mers'' de Jules Verne qui vient nous conter la capture de ces trois-là par le Capitaine Némo, énigmatique commandant du sous-marin Nautilus et personnage principal du roman. Ainsi l'album de débuter lors de l'entrée des trois aventuriers dans le Nautilus ; ces derniers découvrant alors le monde qui les entoure, la personnalité du capitaine Némo sur ''King Of The 7 Seas'' ou encore une plongée fantastique au plus profond des mers. Un voyage fantastique transposé en musique.

Par le biais de R-Rock, d'abord, metteur en son principal de l'album entièrement produit par ses soins. Au travers des 13 parties de ce ''20,000'', R-Rock met en place un univers fantastique aux influences clairement diverses. On navigue ainsi aisément entre les genres, suivant les courants musicaux comme un marin les étoiles afin de s'orienter. Une mixture composée de beats hip-hop saupoudrés d'éléments noise apaisés mais bien présents (les guitares électriques agressives en guise d'accompagnement sonore) ou encore d'un jazz avant-gardiste du meilleur accabit (le sub-aquatique 'Dakkar's Blues' habillé du saxophone alto de Wally Shoup; jazzman collaborateur entre autres de Thurston Moore). La palette musicale de ''20,000'' semble s'étendre du rap au rock en s'engoufrant dans tous les interstices possibles. Ainsi, on retrouve le refrain trés pop du séduisant 'Water From The Stars' ou encore la guitare de Jon Erickson sur 'Portholes In My Lounge'. La mixture est savoureuse tant R-Rock parvient à inclure à chaque moment de quoi rappeler à l'auditeur les origines clairement affirmées de l'album par le biais de l'utilisation de nombreux breakbeats habillés comme il faut (tantôt d'extraits de films pour une quelconque adaptation du roman de Jules Verne 'Nautilus Two', tantôt d'éléments électroniques accompagnés par la clarinette de Michael Thomas Jackson, musicien expérimental s'il en est, pour un 'Radio 20K' électrifié).

Mais l'album ne serait pas ce qu'il est sans la présence de Kaptain Nemo. Rimeur en eaux troubles originaire de Chicago, il est la voix qui se cache derrière la narration des pérégrinations de nos héros, que ce soit à travers le rap déclamé sur 'King Of The 7 Seas' ou le chant envoûtant de 'Water From The Stars'. S'il n'est pas le meilleur MC que la Windy City ait enfanté, il n'en reste pas moins un rappeur solide au flow entraînant, notamment lorsqu'il tente de se faufiler avec habileté entre les percussions occasionnelles de 'Twenty Thousand' accompagné pour l'occasion par Johnny Fear, rappeur texan de son état, pour l'un des morceaux qui flirte le plus avec les racines hip-hop du projet. Au fil des lieux parcourus au plus profond du disque, les mots se font de plus en plus précieux, comme si la pression exercée sur le petit édifice, la noirceur des profondeurs sous-marines n'autorisaient plus quiconque à parler autant afin d'économiser le peu d'air qu'il reste en réserve. Ainsi, outre les morceaux évoqués auparavant, Kaptain Nemo n'intervient plus que sporadiquement pour un surprenant essai pop-rock sur 'Walls' pour terminer sa course épuisé aprés la débauche d'énergie qu'aura nécessité cette plongée en apnée, véritable voyage onirique où l'évasion spirituelle se dégage des honneurs des cieux pour s'enfoncer avec crainte (mais aussi appétit) au sein de la plus profonde des failles somnolant loin en-dessous du niveau de la mer.

Bâti sur ce paradoxe, ''20,000'' insiste finalement sur une situation des plus ambigüe: bien que plongeant de plus en plus dans les profondeurs, c'est en réalité de multiples fenêtres qui s'ouvrent à l'auditeur à l'écoute de ce projet de Remote Control Frequencies. Ce sont celles d'un DJ Shadow ou d'un William S. Burroughs quand R-Rock met en pratique son savoir-faire du collage/sampling comme ces deux références incontournables du genre ou lorsqu'il emprunte furtivement ces guitares noise déchainées. Présenté dés l'introduction comme un hip-hop de l'ère moderne, avant d'être un essai d'anticipation retranscrit sur la portée, c'est un essai de réadaptation à l'identité originelle de la musique que Remote Control Frequencies présente ici. Une ouverture sur l'environnement musical, l'héritage de ceux passés bien avant, parvenir à saisir tout ceci pour en offrir la meilleure des mixtures possibles ; plongeant loin dans les cavités que l'histoire musicale tissa au fur et à mesure que s'égrénèrent les albums de rénovateurs sans cesse à l'écoute de ce que le futur avait à leur offrir.

Tel The Secret Life Of Sound, il paraît désormais nécessaire de faire sienne la devise que le label tente de défendre avant tout: "I do not believe in styles anymore".

Newton
Janvier 2008

Cet album ainsi que les sorties passées et à venir de The Secret Sound Of Life sont à dénicher sur le site officiel.
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Label: The Secret Life Of Sound
Production: R-Rock
Année: 2006

01. Nautilus One
02. King Of The 7 Seas
03. Water From The Stars
04. Twenty Thousand (feat. Johnny Fear)
05. Journey To The Bottom Of The Sea
06. Nautilus Two
07. Brainfreeze
08. Dakkar's Blues (feat. Wally Shoup)
09. This Is Now
10. Walls
11. Portholes In My Lounge (feat. Jon Erickson)
12. Radio 20K (feat. Michael Thomas Jackson)
13. Nautilus Three

Best Cuts: 'Dakkar's Blues', 'Twenty Thousand', 'Radio 20K'

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