Awol One & Factor
Only Death Can Kill You

Il fallait bien que ça arrive. Depuis le temps que Factor et Awol One se tournent autour et se croisent en coups de vent, il fallait bien que les deux compères mettent un jour en concordance leur planning pour donner enfin une suite au savoureux 'Try'. Les collaborations successives de Factor avec les shapeshifters Akuma et Existereo pour des opus longue durée (avec des réussites diverses, avouons-le) confirmaient que les ponts jetés entre la Californie et le pays des caribous étaient de plus en plus empruntés et que tout était désormais possible… Alors après la participation récente d'Awolrus au plaisant "Famous Nights and Empty Days", le fluet Canadien qui préside à la destinée de Side Road Records a vraisemblablement réussi à enfermer le bon vieux Tony dans son studio avec un ou deux packs de bières le temps de graver sur sillons une dizaine de titres.

Visiblement, la bière devait être à son goût, car Awol se montre à son avantage en ces lieux, délivrant de sa voix rocailleuse son quota de punchlines et de réflexions ésotériques avec une efficacité retrouvée (autrement plus convaincante que sur les anecdotiques "The War of Art" et "Awol One"). "Determined to be famous but you're destined to be infamous. Watching the trailer, say hi to your neighbour, do me a favor, sucker, and stop rapping! […] It's like numbers, they make up the code of life, and eternal existence". C'est bien le Awol des bons jours qui est au micro. Celui qui partage volontiers ses souvenirs d'enfance doux-amers et qui sait qu'un silence en dit parfois plus que mille mots. Celui qui sait qu'une simple phrase ou un proverbe bien trouvé peut parfois contenir plus de richesses que tout un roman. Celui qui chante mieux que personne la solitude et la monotonie de la vie. Celui qui se veut misanthrope mais qui continue d'autopsier à longueur de titres la douleur et les addictions futiles de ses contemporains (et de sa propre personne)…

"Kinda like a psychiatrist, with all the anxiety attacks. Lendin' a hear to the needy, I wanna hear the worst for the worst". Bref, c'est le poète de comptoir au style détaché, à la logique floue et à l'assurance inimitable, auquel on s'est franchement attaché depuis "Three Eyed Cows". "On Sunday, I'ma sleep away the pain and on Monday, I'ma face it again […] Wakin' up again, one day older". Si le débonnaire Tony garde donc son penchant pour le cynisme et laisse entendre par endroits ce mal de vivre qui lui va si bien (enfin, façon de parler), on l'aura rarement entendu aussi à son aise ces derniers temps : décontracté, nonchalant, mais vif et pas anesthésié pour un sou (si ce n'est sur l'outro où les litres de bière ingurgités pendant l'enregistrement commencent vraisemblablement à faire leur effet), toujours tenu en éveil par des productions de Factor clairement à sa convenance.

Des compositions simples mais mélodiques, dont le parfum de blues colle bien aux élucubrations alcoolisés d'Awol, avec force d'instrus ouatés, voiles de fumés, basses amples et rythmiques lancinantes. Dans l'ensemble, les ambiances dominicales qui hantent ce nouveau projet ne dénotent pas dans la discographie déjà fournie du beatmaker du Saskatchewan (les guitares sèches sont à nouveau au rendez-vous!). Mais avec les années, il semble que le voisin de soso tende à gagner en endurance et en épaisseur sonore (comme en atteste le fouillé 'Alpha Omegatron' et ses cordes pincées obsédantes). Il faut dire que, vu le nombre d'albums qu'il a déjà au compteur, Factor commence à être rodé aux ficelles du métier.

Alors, pour mettre le projet sur les bons rails, il décoche sa flèche la plus aiguisée dès l'entame, avec un 'Sunrise Sandwich' irrésistible. Porté par une ligne de basse superbe, un midtempo imperturbable, quelques notes d'accordéon et un triangle discret, Awolrus y rayonne. "Smashin' stupid frequencies!" Sur de nombreux titres, les partitions cinématographiques (souvent aériennes, mais parfois plus dynamiques) de Factor vont d'ailleurs comme un gant aux confessions de l'ex-vandale. Quelques exemples? La flûte mystérieuse et la mélodie stop & go de 'Meat Trunk', la guitare neurasthénique de 'Old Babies' ou encore le long sample vocal mélancolique qui tient lieu de refrain à 'Sunday Mourning'. A l'image de ceux qui ont le mieux mis en lumière le talent de Walrus jusqu'ici (nommément Mike Nardone et Daddy Kev), Factor sait habiller comme il faut le charisme naturel du emcee angelino, sans jamais trop en faire et sans jamais essayer de tirer la couverture.

A l'occasion, les deux amis se prennent quand même les pieds dans le tapis. Même si Factor fait preuve d'une constance rare, il finit un peu l'album sur les rotules (comme en atteste un 'Smokin' Coffee' qui joue, une fois n'est pas coutume, la carte des dissonances mais tourne un peu vide) et son académisme indécrottable pourra comme toujours heurter les oreilles les plus aventureuses… En outre, l'ami Awol a pour sa part tendance à inviter trop de convives à sa table. Pour sympathiques qu'ils soient, les défilés de flows de 'Wake Up' ou 'Digital Angel' restent des offrandes superflues qui font momentanément dévier l'album de sa trajectoire intimiste. Pour autant, l'ouverture prônée par Awol (et traditionnelle dans les disques chapeautés par Factor) a parfois du bon, à l'image d'un 'One More Time' euphorisant où le sociétaire de l'English League, Matre, fait forte impression à coup de métaphores sermoniennes sur un fond de congas polyrythmique.

Et dans l'ensemble, c'est bien sur une impression franchement positive qu'on termine l'écoute de ce "Only Death Can Kill You" qui s'avère conforme à nos attentes (ce qui n'est pas un mince exploit par les temps qui courent) et qui confirme le regain de forme d'Awol One annoncé par "Splitsville" et "The Chemikillz". Avec ce petit album accessible, bien construit et bien amené, Awol et Factor signent bel et bien l'une des rares satisfactions rapologiques de cette année 2007. Il serait dommage de passer à côté.

Cobalt
Juillet 2007
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Label: Cornerstone RAS
Production: Factor
Année: Avril 2007

01. Sunrise Sandwich
02. Old Babies
03. Meat Trunk
04. Digital Angel (feat. Mascaria, Gel Roc & Ominous)
05. Sunday Mourning
06. One More Time (feat. Matre)
07. Alpha Omegatron
08. Woke Up (feat. Big Bear, 40Ounce & Royal-T)
09. Smokin Coffee
10. Only Death

Best Cuts: 'Sunrise Sandwich', 'One More Time', 'Sunday Mourning'

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