L'Exécuteur de Hong-Kong
Temps Précieux

L'Exécuteur de Hong-Kong. Quelle idée de prendre un blase pareil ! Pourtant, il n'aura pas fallu longtemps, tout au plus une écoute ou deux de 'Ciel Rouge' et 'Cosa Nostra', pour nous convaincre voilà 3 ans que le premier "EP" de ces deux énergumènes méritait une place d'honneur dans nos colonnes. Alors maintenant que Terence Style et Mag Spencer plongent dans le grand bain avec un premier album "Temps Précieux", on suit évidemment leur performance avec attention. Pour bien coller avec les images invoquées par leur patronyme exotique, les deux gaillards ont opté pour une pochette pour le moins rétro au bon parfum d'Asie. Pourtant, ici encore (en dehors d'un hommage sans détour à Bruce Lee), Hong-Kong n'est pas que le décor exotique des films de kung-fu et de karaté qui ont bercé la jeunesse de Terence. C'est aussi et surtout un horizon, un rêve, une image durablement imprimée sur la rétine… Mais surtout pas une obsession.

Car l'Exécuteur, c'est tout sauf un gimmick. "Comme toi, je vis avec ma part de douleur, ma part de doute et ma part de rêve". Disons-le d'emblée : l'Exécuteur, c'est avant tout une plume et un univers comme l'Hexagone rapologique en a rarement vue. Une plume qui mêle avec beaucoup d'habileté, fatalisme et espoir, dérision et autodérision, gravité et éclats de rire, poésie et humour, rêve et dur constat de la réalité… "Je suis parti de rien, j'arrive à zéro". Débarrassé des clichés et de cette vaine quête de respectabilité / crédibilité qui sclérose les textes de ses compatriotes, Terence Style a l'assurance de ceux qui n'ont rien à perdre et qui comptent uniquement sur leur personnalité et leur fighting spirit pour faire la différence. A raison.

Avec son flow direct, sans fioritures et sans grandes envolées vocales, quelque part entre slam et rap conventionnel, le style de Terence peut décontenancer au premier abord. Tout comme ses références à Sim, Paul Préboist, Arsène Lupin ou Bébél, ceci dit! Mais son timbre de voix chaud, son imaginaire fécond, son sens de la formule et sa gouaille inédite impriment un charme étrange qui force l'adhésion. Un charme sur lequel plane l'ombre insidieuse d'un Gainsbarre ressuscité. Terriblement humain. Toujours sur le fil. A la limite de la sortie de route. Inclassable. Allergique aux étiquettes prédécoupées.

"Je suis personne en ce bas-monde, personne, juste une poussière […] Cherche son rôle dans la masse, mais se sent perdu. Ecorché vif comme beaucoup". Entre autoportraits sincères, bonnes tranches de rigolade, questionnements intérieurs ou radiographie d'un monde à la dérive, Terence est définitivement un personnage à part. Un homme simple, généreux, un brin idéaliste, plein de lubies, de prises de positions et de passions (Ah ! cet océan qui l'obsède par son calme irréel). "La France avale déjà suffisamment de comprimés. / Il nous reste tout de même la bière, les femmes et les films de Steven Seagal / L'odeur de la lavande et le chant des cigales. / Elle est pas trop pourrie cette rime !? / Je te fais passer du cauchemar au dream. / Mets de la joie dans ton cœur et du cyanure dans ton ice-cream".

A bien y regarder, on ne voit pas franchement qui d'autre que lui pourrait faire cohabiter avec autant de naturel un hymne hypnotique aux substances illicites (l'enivrant 'Vol au-dessus d'un Canapé' et sa basse anesthésiée), un exercice de style macabre comme le bal des vampires de cet 'Entretien Sous La Pleine Lune' et un titre comme l'émouvant 'Force et Amour' (mis en musique une fois n'est pas coutume par Lord Funk) où Terence n'hésite pas à mettre en avant ses faiblesses : "Il me faut la force d'aller au bout de mes rêves, en ce monde où folie et violence ne font pas de trêve. Il me faut de l'amour. Il me faut de la force".

Pour bien mettre en valeur le phrasé sobre et la personnalité iconoclaste de Terence, autant dire que le travail du beatmaker relevait de l'orfèvrerie sur mesure. Ca tombe bien: Mag Spencer connaît bien Terence! Comme sur leur "EP" fondateur, il a intelligemment opté pour des compositions raffinées mais sans œillères qui vont comme un gant à Terence, servi par des samples soigneusement sélectionnés et dosés ainsi que par des arrangements subtils… tout en ombres chinoises. Ainsi Mag n'a pas peur de changer le couvert en plein milieu du repas ou de triturer ses ingrédients en cours de morceau pour tromper l'ennui. A l'écoute, l'album démontre un vrai sens de la mise en scène, aussi à l'aise dans les scènes d'action que dans les coups de blues ou les moments de détente. "La noirceur de la nuit et l'éclat du soleil se mélangent".

Lorsque Terence se fait des films, Maguito le projette au volant d'un coupé sur les routes encombrées de palmiers de Miami avec pour bande son une guitare électrique aérienne et un synthé ronflant furieusement eighties ('La Nuit de l'Exécuteur'). A l'opposé, quand il joue cartes sur table et nous dépeint froidement les murs d'incompréhension, de violence et d'hypocrisie qui servent de décor à nos vies ('Proies et Prédateurs'), Mag montre qu'il sait jouer sur les nuances de gris, avec une basse qui colle à la peau, une rythmique implacable et un piano propice aux confessions nocturnes. Entre ombre et lumière, l'album s'écoute donc d'une traite avec un plaisir non dissimulé.

Bien entendu, avec 20 titres au programme, il y a inévitablement quelques baisses de tension sur la route, à l'image du monotone 'Joke and Smoke', du très laborieux 'Les Epreuves' ou d'une version de 'L'Inimitable' entachée par un refrain chanté inutile… Vu la longueur du disque, on ne leur en tiendra pas rigueur. Surtout qu'avec les allitérations fleuries de Terence, des lignes de basses épaisses, quelques notes de clavier, une poignée de boucles soul classieuses, des beats ciselés, des guitares électriques et une pincée de blues, le producteur francilien fait le plus souvent des merveilles (Cf. l'addictif 'Pancho Winchester Morales' ou le mélancolique 'Soul Boulevard' pour plus de preuves).

"Si les dingues volent, j'suis le chef d'escadrille, surfant sur une vague de ciment, smurfant avec les sentiments". Tout est dit. Evidemment, la mixture du duo n'est toujours pas à mettre entre toutes les oreilles et certains pourront rester insensibles à ce rap irrévérencieux qui fait la part belle aux ambiances et qui prend un malin plaisir à dynamiter les stéréotypes. Dommage pour eux, car "Temps Précieux" est indéniablement l'album qu'on attendait de la part de l'Exécuteur de Hong-Kong. Un album dense, multiple, original, tragi-comique et étrangement envoûtant qui s'impose comme l'un des disques les plus marquants en provenance de nos contrées ces dernières années… "La vie est hard mais j'ai le sourire". Nous aussi.

Cobalt
Décembre 2006
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Label: Guy De Luxe Productions / 2Good Distribution
Production: Mag Spencer, Lord Funk, Sebteix
Année: Novembre 2006

01. Bienvenue à Hong-Kong
02. Force et Amour (feat. Cassidu Gabriella)
03. Joke and Smoke
04. Vol Au-Dessus D'Un Canapé
05. Proies et Prédateurs
06. Le Renard du Parc
07. L'Inimitable (feat. Julius)
08. Les Epreuves (feat. Bilka 47)
09. La Nuit de L'Exécuteur (feat. Cassidu Gabriella)
10. La Botte Secrète des Grands
11. Temps Précieux
12. Pancho Winchester Morales
13. Soul Boulevard
14. Run Away People
15. Synthèse
16. Entretien Sous La Pleine Lune (feat. Sinbad L'Elégant)
17. Voyages
+ Bonus Tracks : Le Pollueur – Mon Navire Tangue – Cosa Nostra

Best Cuts: 'Pancho Winchester Morales', 'Force et Amour', 'Temps Précieux'

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