Epic & Nomad
Epic & Nomad

"Some stars in the universe will never be bright / They go unseen by sight / Undiscovered in the night / Ain't nothing shining on 'em so they can't reflect light". Dans les provinces continentales oubliées du Saskatchewan et d'Alberta où les hivers canadiens sont glaciaires et les étés suffocants, un drôle de rap étoilé a vu le jour. Du fait de son isolement et du peu d'attention que lui ont accordé les médias jusqu'ici, la scène de Saskatoon et de ses environs s'est développée hors du temps et des modes avec pour seules forces des idées et des personnalités hors du commun. Sous le giron de Clothes Horse Records et Side Road Records, ses acteurs sont parvenus à imposer un ton à part, profondément local et personnel. A bien y regarder, c'est un peu le même topo pour le camp Shadow Animals qui, réfugié dans les contrées belges de Kortrijk, a réussi à se forger une identité en se départissant peu à peu de l'ombre anticonienne qui planait plus que de raison sur ses premières œuvres. Depuis leur alliance avec le canadien Bleubird et Stacs of Stamina sur le superbe Gunporn "Pretty Pretty Please", Cavemen Speak et leurs associés semblent en effet avoir trouvé leur voie… Avec ces parcours pas si éloignés (malgré la distance), il fallait bien que la route de CHR croise celle des auteurs de "Wooden Cast"…

Du moins sous la forme d'une correspondance internet, puisque comme le révèle le Homesick Nomad sur 'from Canada to Belgium with love', il n'a encore jamais rencontré Epic et ses compères nord-américains en chair et en os. Ceci ne les a pas empêché d'être sur la même longueur d'onde pour pondre un album intimiste au spleen revendiqué. Pour autant, comme souvent avec Epic, il serait bien aventureux de réduire cet opus à ces seuls qualificatifs. Car plus les années passent, plus le trentenaire à la chevelure argentée (qui se définit volontiers comme un vieux ou un père de famille) est difficile à étiqueter. "You either gonna hate me or love me […] It's 2005, I'm still rapping emotional!" Epic, c'est un phrasé étrange, parfois hésitant, parfois maladroit, fragile en apparence mais pourtant plein d'assurance. Un style à part; mélange instable d'analyses sociales d'intérêt local, de phases b-boy à l'ancienne, d'envolées humanistes, de second degré et de confessions déstabilisantes. Un charisme pour le moins singulier et indiscutablement canadien. Vous en connaissez beaucoup des emcees qui commencent un album par: "You can't stop me! I live to play hockey, take my kids to rink" avant de se lancer dans un manifeste pacifiste? Ou des artistes qui parlent de la maladie de leur soeur sans pour autant s'épancher ou tomber dans le voyeurisme? C'est ça, Epic.

Dans un autre registre (pas si éloigné que ça en fait), quelque part entre chant et spoken word, Nomad est toujours à la limite, sensible, touchant… "I thank everyone around me 'cause I'm feeling ok / But I'ma keep on singing sad songs anyway". 'time flows by', belle chronique du repli sur soi qui guette notre société friande d'activités chronophages, lui donne l'occasion de montrer toute l'étendue de son talent. Sans forcer, une vraie complicité s'installe entre Epic et Nomad. Les contributions répétées de Siaz et de la voix caverneuse de Cam the Wizzard renforcent le sentiment de communauté d'esprit qui se dégage peu à peu de l'ensemble (même si l'album aurait sûrement gagné à rester confiné à son duo de "stars"). En tout cas, comme chez Gunporn, il semble que les rencontres réussissent vraiment bien aux Belges de Shadow Animals… Ici, en observateurs dépités de l'aliénation et de la médiocrité ambiante, Epic, Nomad et leurs acolytes sont sur la même longueur d'onde. Conscients que, tandis que la teneur des débats publics vole de plus en plus bas, les problèmes continuent de s'amonceler, ils dépeignent des tableaux sombres mais parsemés d'espoir. Sans jamais en rajouter dans le pathos, ils s'autorisent même quelques moments plus légers et décousus à l'image d'un 'act on stage' qui tourne en dérision leurs prestations scénographiques.

Si soso fait une apparition à la production du posse-cut transcontinental 'from Canada to Belgium with love', c'est à Maki (déjà vu au côté de Nobs ou de la californienne Neila) que les deux associés d'un jour ont confié l'habillage sonore de leur rencontre. Le résultat est soigné et confirme les prédispositions entendues sur le "Local Only" d'Epic. En dehors d'une poignée de partitions insignifiantes (car trop monotones), les compositions de Maki frappent juste. Minimalistes, neurasthéniques, elles donnent de l'intensité et du corps aux écrits du duo avec des ingrédients simples mais bien choisis: guitares acoustiques mélancoliques, batteries vivantes mais discrètes, claviers froids et par endroits ces petits détails qui serrent la gorge, comme le clavecin désuet de 'certain radius' ou les accents métalliques du magistral 'hot 2006 mentality'.

"On a road trip, I'm far from home, in parts unknown, looking for something better / Progression or more than just writing about rapping". Sur le fond, il n'y a rien de fondamentalement renversant dans cette rencontre intercontinentale, si ce n'est une volonté de ne jamais marcher dans les clous… Pourtant la petite équipe parvient à imposer ses différences et à trouver le ton juste en installant une ambiance par laquelle on se laisse porter tout au long de la trentaine de minutes de cet opus sensible et généreux. Introspectif et un brin dépressif, le premier jet commun d'Epic et Nomad a l'élégance de réunir les univers de ses auteurs tout en ayant sa propre identité. "I search this earth looking for treasures / A partner in life to have a birth together". Oui, il y a définitivement quelque chose d'étrange et d'anachronique dans le charme de cet album… Tant mieux.

Cobalt
Février 2006
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Label: Clothes Horse Records
Production: Maki, soso
Année: Décembre 2005

01. hot 2006 mentality
02. another left wing peace song (feat. DJ Brace)
03. time flows by
04. from Canada to Belgium with love (feat. Cam The Wizzard & Siaz)
05. my name is nomad
06. days n times [whats really good]
07. isolation interlude (feat. Cam The Wizzard)
08. I can't hide (feat. Cam The Wizzard & Siaz)
09. certain radius
10. act on stage (feat. Cam The Wizzard)

Best Cuts: 'hot 2006 mentality'; 'my name is nomad'; 'another left wing peace song'

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