Illogic
Write To Death II [The Missing Pieces]

Le changement est la seule constante. Blueprint l'avait déjà annoncé. Alors malgré une carrière solo qui frise la perfection et un statut unique dans ce paysage underground qui a connu de profonds bouleversements depuis le début du millénaire, Illogic continue de prendre des risques et de bousculer ses habitudes. "Usually calm and approachable / I stand still and let the venom that leaves my lips choke you / This might not be the Illogic you're used to". Une fois l'heure venue de donner suite au mémorable "Write To Death", le leader du collectif Spitball aurait pu se contenter de reprendre les mêmes ingrédients que sur cet album ou sur "Celestial Clockwork" (qui tranchaient déjà avec le reste de sa discographie). Mais non, c'était plus fort que lui. En conséquence, on ne trouve pas vraiment trace ici de l'ambiance embrumée ou des spoken words habités qui peuplaient les recoins du premier volume. Illogic s'éloigne même un tantinet du concept original de la série pour s'orienter vers un album plus éclaté, qui se veut l'occasion pour le meilleur ami de Blueprint de nous dévoiler certaines collaborations enregistrées au cours de ces dernières années avec une poignée de producteurs d'horizons divers et variés. Du coup, pour la première fois, Illogic ne confie pas les rênes de son album à un seul et unique beatmaker. S'il renouvelle sa confiance à Eyamme, il s'autorise en effet beaucoup d'infidélités dans ce second volume commun.

Ainsi l'ancien d'Orphanage fait du pied aux proches du label chicagoan Birthwrite ou donne leur chance à de nouveaux visages. Il en profite même pour inviter un Blockhead qui se rappelle de l'époque où il était le producteur fétiche du Aesop Rock de "Float". Avec son violoncelle grave et son piano mélancolique, son 'An Ocean' dégage une poésie sombre qui donne des frissons. Du coup, ce nouvel opus voit cohabiter des ambiances disparates. Une confession bouleversante laisse sans prévenir la place à un massacre de wack, tandis qu'un instru en équilibre instable succède à une mélodie angélique. Un hymne taillé pour la scène alterne avec un autoportrait mystique sur fond de guitares trébuchantes. Claviers galactiques ou sombres, guitares jazzy ou désossées, sonorités surnaturelles ou profondément ancrées dans le béton… On navigue au gré des envies et des rencontres d'Illogic. Bien entendu, en allant frapper à tant de portes, Ill s'expose à quelques mauvaises surprises. Comme notre ami est réputé pour son bon goût, ces dernières ne sont heureusement pas vraiment légion. N'empêche qu'avec ses gros sabots et sa rythmique de camionneur, 'Time Is Coming' peine à convaincre… sans parler du navrant et daté posse cut 'Quit'. Heureusement, la majorité des participants tient fermement la barre.

Et Eyamme est fidèle à lui-même. Tout en évoluant vers un son moins éthéré mais non moins complexe, il continue de confectionner des instrumentaux à la fois propices à l'introspection et subtilement évolutifs. Exactement le genre de compositions qui convient le mieux au meilleur auteur de l'école Weightless. On pourrait à nouveau vous chanter les louanges de 'I Can Only Give You Love', mais pour changer on vantera plutôt le mesmérisme de 'They Wonder Why I'm Insane'. Hésitant constamment entre une flûte intrigante, une contrebasse chaloupée, quelques tentations d'Orient et une volée de claviers incontrôlables, cette entrée en matière laisse des traces dans les synapses. Surtout qu'inspiré par cette ambiance envoûtante, Illogic se lance dans une démonstration édifiante, mettant le modèle américain devant ses propres contradictions et démontant un à un les engrenages à l'origine du chaos mondial actuel. Chacun de ses missiles est téléguidée avec une précision chirurgicale et touche sa cible avec fracas.

"We've touched the stars but can't hold a child's hand / Can't wait to reach stars but can't define what we stand […] It's ok to ask questions / Just pay your taxes / And they'll tell you half-truths to keep you spinning on their axis […] No passion for our own / But for our neighbours we're driven / And this is the world that I have to raise kids in ?!!".

N'allez donc pas croire n'importe quoi: le changement se fait dans la continuité. Du bout des lèvres d'Illogic se dessinent toujours des images évocatrices où se tissent des récits mystifiants. Et quand il décide de personnifier la Terre sur les claviers apaisants de 'Liquid Meets Land', on se dit que lui seul pouvait réussir ce pari sans tomber dans le moralisme bêta ou sans provoquer des bâillements intempestifs. On n'en finit plus d'être ébahi par le talent du "weightless rhymesayer with mechanical pencils", par ces petits détails tellement vrais qui parsèment chacune de ses rimes, par ces petites remarques qui sonnent comme des vérités séculaires. Fragments autobiographiques, questionnements philosophiques, brillantes associations d'idées, réflexions militantes, phases pleines de double sens, histoire d'amour contrarié : tout ce que l'on aime chez Illogic est là et bien là. Les équilibres sont simplement modifiés avec ces egotrips lettrés et racés qui abondent, déversant à un rythme régulier leur quota de punchlines assassines et de commentaires bien sentis et permettant à Illogic de chevaucher le beat avec un swing naturel.

Au bout du compte, en faisant quelques raccourcis, on pourrait dire que ce second volume des aventures d'Illogic sur Dove !nk est quelque part à mi-chemin entre le emceeing pur et dur de "Off The Clock" et la complexité fascinante de "Celestial Clockwork". Mais il y a autre chose. Direct, aventureux, personnel, poétique, engagé, arrogant: "Write To Death II" est un peu de tout ça. Conséquence du parti-pris altruiste de départ, ce solide essai souffre d'un manque de cohérence avoué, revendiqué même… Il s'écoute dès lors comme un patchwork hétérogène mais le plus souvent fascinant qui prouve, si besoin en était, la versatilité et la polyvalence tout-terrain du prodige de Columbus. Même si les pièces sont un peu moins bien assortis qu'à l'accoutumée, le dernier puzzle d'Illogic garde un pouvoir d'attraction peu commun. "I found that life is what you make it so I made it a song". Quelle bonne idée!

Cobalt
Août 2005
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Label: Dove !nk Recordings
Production: Eyamme, Blockhead, Overflow, Periphery, Ill Poetic, Drum and Knowledge, Walter Rocktight, Earmint, DrunkLo & Tru Skillz
Année: Juillet 2005

01. They Wonder Why I'm Insane
02. Stay Sleep
03. Time Is Coming
04. An Ocean
05. I Can Only Give You Love
06. Yellow (feat. Ill Poetic & Homeskillit)
07. Get Up [Remix]
08. Capsized
09. Liquid Meets Land (feat. Andrew Bagadounts)
10. I've Been Here
11. Quit (feat. Fess & Bru Lei)
12. The Missing Pieces

Best Cuts: 'I Can Only Give You Love', 'An Ocean', 'They Wonder Why I'm Insane'

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