Chamillionaire
The Sound of Revenge

"Le succès est la plus belle des revanches". Chamillionaire, rappeur en vue issu de Houston, Texas, met ce credo en musique pendant plus d'une heure dans "The Sound of Revenge". A l'heure où la saga de 50 Cent a maintenant été déclinée sur la majorité des supports offerts par l'entertainment moderne, on est en droit de profiter de cette chronique pour faire le point. Rap mainstream ou underground : courant majeur ou sous-terrain, la voie étroite ou la grand' route, cela fait maintenant une quinzaine d'années que nous sommes habitués à ce charivari. Bras de fer qui n'en est pas vraiment un, en termes économiques en tout cas, ce manège-là n'en finit pourtant pas d'animer les débats. Car d'un côté les "élus", quand ils ne se sont pas endormis trop longtemps dans les canapés confortables des clubs à la mode, vont parfois rechercher de la crédibilité là où les sons vivent et où la flamme de la passion vibre encore. Mais de l'autre côté, les spéléologues de la musique et autres frappés d'invention permanente n'ont pas l'intention de brûler leur jeunesse relative à attendre l'improbable et fourbe appel d'une quelconque major.

Alors qui a raison, qui a tort, tout dépend. Tout dépend de ce qui est à prouver dans la musique. Si un rappeur cherche uniquement à véhiculer une sensibilité au travers du don qu'il a pour les rimes et/ou pour les boucles sonores, il sait d'avance qu'il court au devant d'un long chemin d'embûches. S'il s'en fiche et qu'il a du talent, attendez un peu et il sera culte. Un jour. S'il met un peu d'eau dans son vin, son heure pourra venir plus tôt et il sera toujours temps pour lui de peaufiner son art ultérieurement. Ou pas. Une chose est sûre : à un moment donné, de l'un ou l'autre côté de la fine ligne rouge séparant les deux carrières possibles, des remords seront émis, ceux de n'avoir pas fait le bon choix, de s'être trompé de voie. C'est ainsi. Régulièrement, on annonce la mort de l'underground, la résurrection du mainstream, ou bien l'inverse, c'est selon.

Mais en dernier lieu, où se trouve vraiment la reconnaissance? Dans le son, répond Chamillionaire, dans sa vérité. Dans la sincérité de son grain et dans son impact. "I'ma show you how to get your shine on”. Ecoutons-le. "The Sound of Revenge" est le premier album solo du celui que l'on se prend vite à appeler Cham, diminutif coquin de "The Chamillitary Man". LP intervenant après la sortie de forces mixtapes puis une menue embrouille avec son comparse de H-Town Paul Wall et l'écurie Swishahouse, il paraît sous le label de Prince, pour que les choses soient claires. Force est de constater que Cham a été pisté comme une bombe.

Mais la pression est matée dès l'entame. "The future can't really trade me / Like I'm in the place of Mc Grady”. Cloches, chœurs soul, voix suave et plages d'easy listening pour une profession de foi beaucoup plus chaloupée que réellement agressive. C'est que ce caméléon est bel et bien multiple, alliant du G funk pour la street credibility ("Treat your money like a slut”) à un flow élastique pour émouvoir nos oreilles, dans une palette allant de la voix rauque au chant de jeune premier – agrémenté au besoin de petits beats sud-américains.

Peu de thèmes originaux sont abordés dans ce disque. Mais comme dans une épreuve sur figure imposée, le richissime reptile choisit plutôt d'aborder avec originalité des thèmes rebattus. Il le fait avec une distance notable, parfois touchante. C'est le cas pour le beau sexe. Passage obligé, objet des plus grandes parades dépassant souvent le stade du ridicule, l'enjeu amoureux est quelque peu détourné ici. Si les titres 'Grown and Sexy' et 'Peepin' Me' sont suffisamment démonstratifs et nerveux pour être authentifiés "from the hood", ils étonnent aussi par d'autres aspects. "God must've been workin' hard when He's been shapin' you”. De l'allumage relâché, la testostérone assez maîtrisée pour qu'elle soit presque second degré. Le tout sur des rythmes laid back ou cheap-orientalisant. Du grand art. "I don't remember her name but she looked like an angel" : sur 'Think I'm Crazy', Cham se fait soudain le confident d'une femme abusée. Le beau parleur fait montre de ses qualités d'écoute, à mesure que l'on est hypnotisé par des lignes claires de basse-synthé-percus mêlées au featuring habité de Natalie. Envoûtant.

Alors si l'ensemble peut décevoir, c'est certainement parce qu'il manque d'unité. Il s'en faut de peu pour que la cohérence soit là, mais l'ampleur de la tâche est trop grande. Trop de diversité et rien de suffisamment solide pour faire cohabiter tel titre de transition, sans relief, avec un hymne régionaliste ou un skit étendu. D'autres passages sont inaboutis, comme 'Picture Perfect' où Cham et Bun B. déroulent sur un sample d'orgue hammond. Ou encore la production épaisse de 'Fly as the Sky', relevée par la voix éraillée d'un Lil'Wayne hélas moins tout feu tout flamme que sur le remarqué "Tha Carter II".

Ces imperfections sont pourtant loin de faire oublier les pépites contenues dans l'album. Les deux plages les plus puissantes sont placées très tôt et électrisent l'écoute. Récit du cambriolage que représente l'arrivée de la première livraison de Cham, 'In The Trunk' galvanise un ego trip par son rythme martial, implacable. "Don't hate me, go to church first”. Le véritable hit arrive ensuite avec 'Ridin', production immédiatement efficace, simple et sans bavures. On ressent dans le flow de Cham la vitesse de la course et les pauses comme autant d'abris. Krayzie Bone enfonce le clou : voilà un titre compact et explosif, le panache d'une course poursuite à la Bullitt. On lui pardonne même sa fin potache.

'Rain', le titre RnB, offre une pause douce et même sensible. Faux soldat au grand cœur, le caméléon laisse les autres – Scarface, Billy Cook – dire ce qu'il ressent. "I'm a make it through for sure". Certainement la production la plus travaillée du disque, 'Frontin' amène l'ambiance ténue et factice du début des années 80, puis y ajoute le flow charismatique du texan. Les bonus tracks 'Rider' et 'Bad Guy' prolongent la performance au-delà des 90 minutes d'écoute. Mais le titre révélant toute la chaleur dans le flow du riche reptile est sans nul doute 'Void in My Life'. La rythmique est épurée, presque Old School, le travail sonore mettant en valeur les différents registres de voix que prend Cham avec une aisance inégalée. Les deux derniers titres paraissent ainsi éclairés d'une lumière spéciale, humble, révélant l'intérêt d'un album varié, où tout est plus subtil et ouvert qu'il n'y paraît. Always think twice.

Billyjack
Mars 2006
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Label: Universal Records
Production: Chamillionaire
Année: 2005

Disc 1
01. Sound of Revenge (Intro)
02. In the Trunk
03. Turn It Up (feat. Lil' Flip)
04. Ridin (feat. Krayzie Bone)
05. No Stitchin'
06. Southern Takeover (feat. Killer Mike and Pastor Troy)
07. Radio Interruption
08. Frontin
09. Grown and Sexy
10. Think I'm Crazy (feat. Natalie)
11. Rain (feat. Scarface and Billy Cook)
12. Picture Perfect (feat. Bun B.)
13. Fly as the Sky (feat. Lil Wayne and Rasaq)
14. Peepin' Me
15. Void in My Life
16. Outro

Disc 2
01. Turn It Up Remix
02. Grind Time
03. Rider
04. Hate in Ya Eyes
05. Bad Guy

Best Cuts: 'Ridin'; 'Think I'm Crazy'; 'Void In My Life'

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